Le vrai sens du ndigël
«Pour bien comprendre la véritable signification de ce concept, il nous paraît important de le replacer dans un cadre religieux et culturel beaucoup plus vaste que la simple consigne de vote, à laquelle les analystes l’ont jusqu’ici confiné, avant de retrouver le sens conjoncturel et contextuel de mot d’ordre électoral dont il a pu être investi dans certaines circonstances particulières de l’histoire du mouridisme. En effet le ndigël, en tant que recommandation ou directive émanant d’une autorité religieuse habilitée, procède des enseignements même de l’Islam qui a toujours magnifié l’unité et l’obéissance des musulmans envers les directives devant régir la vie de leur cité selon les principes divins. C’est l’objet et le sens même du terme «amr» utilisé dans de nombreux versets coraniques où le Seigneur enjoint avec insistance aux croyants de ne pas déroger à ces recommandations qui, par un effet transitif, s’identifient au projet divin : «Ô vous les croyants ! Obéissez à Dieu, obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité !»
La politique, l’unique champ d’application du ndigël
«Le ndigël représente, aujourd’hui, pour l’essentiel de ses auteurs, un des leviers majeurs des rapports clientélistes entretenus par les pouvoirs politiques et religieux au Sénégal. Ce qui constitue une usurpation manifeste qui fausse l’esprit originel à la base du ndigël. Le comportement de certains marabouts a terni l’image du ndigël. Certains n’hésitent pas à accepter d’importantes sommes d’argent venant des politiques. Ce qui fait que l’usage indu et même démagogique par certains marabouts-politiciens de cette sorte de chantage électoral, en manipulant sciemment les valeurs et symboles du mouridisme pour des intérêts crypto personnels contraires à la cause de l’Islam et à l’intérêt général, constitue, à notre sens, une usurpation manifeste qui fausse l’esprit originel à la base du ndigël. Cette «mouridophagie» s’exprime pour l’essentiel à travers les inconduites de certains «mara-gourous» : transgressions diverses, impunité juridique, manipulation délibérée des symboles mourides, démagogie, populisme, trafic d’influence, etc. Ce sont ces dérives qui alimentent, à notre avis, cette «mouridophobie» actuelle, accentuent les amalgames et clichés, dénaturent les fondements de leur voie aux yeux des mourides sincères, épaississent le débat et portent préjudice à l’image du mouridisme dans les médias dont ils caricaturent les principes et idéaux chez l’observateur non averti.»
Une nouvelle conscience mouride
«L’expansion du mouridisme et sa forte progression numérique actuelle rendent toute prise de position partisane de la hiérarchie mouride, inutile et même très dangereuse pour l’unité des mourides et de toute la Nation. En effet, du fait qu’un grand nombre de chefs de parti, d’acteurs politiques indépendants ou non, appartiennent à la même communauté dont ils partagent les idéaux et les espérances, prendre publiquement position pour un camp au détriment des autres, surtout à partir de critères non unanimement partagés et compris, risquera de plus en plus de susciter, comme dans le passé, d’inutiles velléités de contestation interne dont l’autorité califale n’a nulle besoin.
Surtout dans le contexte de transition actuel très délicat de l’ère dite «des petits-fils» marquée, comme toutes les phases de transition, par une ré-interrogation profonde des schèmes de pensée précédents, notamment sur la légitimité de l’autorité traditionnelle, sa nature, ses formes, etc. Aussi, l’état d’esprit et les conceptions de la plupart des mourides modernes, bien que s’inspirant des principes fondamentaux de leur communauté, sont fortement marquées par les évolutions psychologiques conformes au schéma républicain jacobin auquel ils sont quotidiennement soumis à travers les médias et le jeu démocratique.
De ce fait, l’usage antérieur et traditionnel du ndigël dans un tel contexte évolutif sera de plus en plus perçu comme en déphasage avec les nouvelles réalités et donnes, au risque même de creuser un fossé grandissant entre la hiérarchie mouride -jugée en décalage avec les intérêts du peuple mouride- et sa base naturelle.»