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Professeur Mamadou Diouf: ce que Macky doit comprendre

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«Le Président Macky Sall et ses partenaires de la première heure doivent comprendre que l’addition de transhumants n’est ni une addition d’énergie, de créativité démocratique, institutionnelle ou économique». C’est la conviction exprimée par le Pr Mamadou Diouf, Directeur des études africaines à l’Université Columbia, à New York, aux Etats-Unis. Il observe que cette pratique politique est appelée à mourir de sa belle mort dans le contexte de la réactivation de la Cour d’enrichissement illicite et de la réalisation des audits avec l’engagement pris d’en publier les résultats et de poursuivre les corrompus. Tout en appelant à rompre avec la conception d’un président fort ayant besoin d’une majorité pour gouverner, Mamadou Diouf invite à une réflexion sur l’élection du président de la République au suffrage indirect.

Sud Quotidien : Amorcé au lendemain de la victoire de Macky Sall à l’élection présidentielle, le mouvement de migration de militants et responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) vers l’Alliance pour la République (Apr) est en train de s’amplifier. Qu’est ce qui est à l’origine de ce déplacement communément appelé transhumance politique ?

Mamadou Diouf : Si les «audits» sur l’enrichissement illicite, le pillage des ressources financières et l’appropriation des biens fonciers et immobiliers publics sont conduits à leurs termes, elles nous offriront des informations inédites sur les ressorts de l’engagement public de la classe politique. Il est important de comprendre ces ressorts pour avoir la moindre chance d’ouvrir une discussion sur la refondation morale de la société sénégalaise. Une refondation qui commande l’assainissement de l’espace politique, les réformes institutionnelles et politiques et l’aménagement d’une citoyenneté responsable, productive, où les hommes et femmes sont comptables de leurs interventions et ouverts aux sanctions qui sont associées aux charges publiques.

Le Président Macky Sall et ses partenaires de la première heure doivent comprendre que l’addition de transhumants n’est ni une addition d’énergie, de créativité démocratique, institutionnelle ou économique. La transhumance n’est stimulée que par le désir de rester dans le jeu, de jouir du pouvoir et des richesses pour s’entretenir et entretenir une clientèle et surtout pour limiter le jeu politique à une petite caste qui confisque à son seul profit l’espace publique.

De quand date son surgissement dans le jeu politique ?

Il est difficile de tracer d’une manière précise les origines de la transhumance politique. Elle est peut être une ressource structurelle de l’adhésion – elle ne se limite pas à la politique, la confrérie religieuse est aussi concernée – à une communauté donnée, politique, religieuse ou culturelle dans des sociétés pluralistes où les options disponibles sont nombreuses et toujours ouvertes. Dans celles-ci, l’adhésion n’est jamais définitive ; elle est conditionnée et fortement influencée par le gain – en termes de pouvoir, prestige, enrichissement – et l’assurance d’une présence publique. S’afficher et afficher sa munificence, ses femmes, ses maisons, ses voitures deviennent, en retour, les signaux de la réussite. Dans ces parcours, la morale n’est pas en cause.

N’est-ce pas paradoxal?

Il y a dans notre société un imaginaire de la réussite qui met en échec la morale et la bonne gouvernance… au profit d’une économie où l’argent (re)distribué, le coup de main donné ou reçu, le soutien d’une autorité religieuse ou ethnique, d’une communauté, effacent toutes les turpitudes. Autant de transactions qui sont rendues possibles par le maintien dans une position dominante dans l’appareil du pouvoir. A contrario, toute dégradation de position dans l’appareil politique ou administrative entraine la perte et de sa clientèle et de ses capacités d’enrichissement personnel. La règle de l’activité politique s’est donc réduite progressivement en une seule interrogation : comment obtenir une position qui produise des ressources et du prestige et comment la garder en toutes circonstances, la défaite de votre clan au sein d’un régime ou celle du régime auquel on faisait allégeance.

Sur quoi de telles pratiques peuvent-elles déboucher?

Le résultat est la constitution depuis l’indépendance d’une classe politique, certes réduite mais qui gouverne l’espace public. Elle est présente par ses réseaux, au niveau des communautés locales, des organisations sportives et religieuses, empêchant toute possibilité d’alternance dans les partis et dans l’Etat. Les lignes entres les générations, les idéologies et projets politiques bougent très peu. On assiste plutôt à un jeu de chaises musicales. L’axe d’ordonnancement de l’économie politique est ainsi le soutien mercenaire. Il ne respecte ni l’ordre républicain, la demande sociale des citoyens, la justice ou la démocratie. La société est complice de toutes ces dérives. Elle tolère la corruption, la déloyauté et le mensonge et le modèle islamo-wolof a joué un rôle moteur dans leur diffusion et dans l’écart de plus en plus grand entre le discours et les pratiques d’une part, les références à la morale publique traditionnelle, les enseignements des guides religieux et la bonne gouvernance, d’autre part.

Le fameux «wax wakhète» de l’ancien président Wade en est-il une illustration ?

Le président Wade a poussé cette logique du soutien mercenaire jusqu’à ses limites les plus obscènes. Il en récolte aujourd’hui les fruits. On ne peut pas jeter la pierre uniquement à Wade. Les positions centrales occupées par Jean Collin et ensuite Ousmane Tanor Dieng – dans l’Etat et le PS –, dans le dispositif de construction et de consolidation du pouvoir d’Abdou Diouf, inaugurent le renforcement du soutien mercenaire par l’instauration de la prépondérance des appareils, administratif et gouvernemental sur le parti.

En quoi exactement ?

Le recul du politique au profit de l’administratif a ouvert en effet le boulevard dans lequel la transhumance s’est épanouie et se sont évanouies les capacités citoyennes. Elle est une stratégie de conservation du pouvoir et des richesses et non de confrontation (au sein des partis et entre les partis) de projets politiques. En comparaison, Senghor avait plutôt recours à la cooptation des leaders qui s’opposaient à lui ou à l’unification des partis politiques qui se dissolvaient dans le parti dominant.

Comment se fait-il que la transhumance politique se soit développée sous le magistère de Diouf, Wade et Macky Sall alors qu’elle n’était pas de mise sous la mandature de Léopold Sédar Senghor?

Sous Diouf, la transhumance a été une technique de construction hégémonique. Rappelez-vous! Lorsqu’il accède au pouvoir, le nouveau président possédait un atout et un handicap. Il a été choisi comme Premier ministre sur la base d’une compétence technocratique. Il a progressivement usé de celle-ci pour se construire une solide clientèle au sein de l’administration et du gouvernement. Pour autant, il n’a pas été capable, durant ses dix années de primature, malgré sa charge de Secrétaire général adjoint du Parti socialiste, de s’offrir un enracinement politique local ni une clientèle politique nationale. Son handicap est qu’en accédant à la magistrature suprême, il a réussi à défaire ses rivaux dans la galaxie des structures technocratiques mais doit faire face à la vive résistance des « barons », les vieux militants de la première génération. D’abord avec Collin et ensuite avec Ousmane Tanor Dieng, Diouf fait céder le politique au profit de l’administratif et ouvre le gouvernement et la haute administration à de nouveaux acteurs et se donne les moyens d’une cooptation à grande échelle. La transhumance devenait ainsi le mécanisme de renouvellement générationnel et idéologique de la classe politique. Elle établit de manière très forte une logique de circulation des élites dans l’espace limité du pouvoir et de l’enrichissement, fermant hermétiquement la porte à une remise en cause de l’imbrication des cultures clientélistes traditionnelles, religieuses et modernes bureaucratiques. La controverse au sujet du statut du marabout, «citoyen normal» ou non et les poursuites engagées contre les «thiantacounes» en sont de parfaites illustrations.

Qu’en est-il de la touche Abdoulaye Wade ?

Wade a, d’une certaine manière, procédé comme Diouf, même s’il a imprimé à la transhumance une ampleur inégalée. La transhumance lui a permis en particulier de recruter, au sein du Ps, des administrateurs et des gouvernants. En effet, lorsqu’il accède au pouvoir le Pds n’est pas capable de fournir à l’Etat les cadres nécessaires à son fonctionnement. Il n’a pas une culture administrative pour faire fonctionner l’Etat. La transhumance avait aussi pour fonction, le démantèlement du Ps qui était un objectif central dans la stratégie retenue par Abdoulaye Wade. Il tournait ainsi la transhumance en une technique de gouvernement des hommes et des choses. Il faut croire que Wade avait une piètre idée des Sénégalais. Il n’envisage pas la société sénégalaise autrement que comme une société de mercenaires, prête à toutes les trahisons, compromissions et reniements. Au cœur de sa démarche politique, l’exploitation systématique de la vénalité, de la déloyauté et du refus d’honorer la parole donnée, autant de plaies qu’il attribue à celle-ci. En regardant l’état du paysage politique, des détenteurs de légitimités religieuse ou administrative et des accusations d’enrichissement illicite levées contre ceux qui ont dirigé le Sénégal, il est difficile de donner entièrement tort au Président Wade.

Faut-il alors désespérer des acteurs politiques ?

Non ! Il faut espérer que le Président Macky Sall évitera de prendre les chemins de traverses des présidents Diouf et Wade. Je suis persuadé que lui et ses conseillers politiques comprennent parfaitement qu’un pouvoir bâti sur la transhumance est un pouvoir fragile, inefficace, peu durable et toujours corrompu et instable. Une instabilité produite par la négociation et le chantage permanents dans lesquels se nourrissent les transhumants. Une durabilité incertaine précisément parce que les rats quittent toujours le navire quand il prend de l’eau. Certains signes tels que la multiplication des postes de ministres-conseillers – pourquoi pas conseiller tout court sinon pour l’affichage public – et la recherche d’une majorité hétéroclite pour soutenir le président et non d’une majorité plurielle capable d’animer la vie politique et le débat public, ne militent pas en faveur d’un écart du Président Sall par rapport à ses prédécesseurs. Par contre, les poursuites engagées contre le marabout des «thiantacounes» et certains de ses talibés, tout comme le redémarrage de la Cour d’enrichissement illicite et des «audits», indiquent un engagement de rupture avec les anciennes pratiques. La transhumance est impossible dans le contexte de la réactivation de la Cour et de la réalisation des audits avec l’engagement pris par le nouveau président d’en publier les résultats et de poursuivre les corrompus. La vérité qui s’impose aujourd’hui est que la réussite de l’entreprise de refondation administrative, politique et morale est conditionnée par une mobilisation permanente et sans failles ni compromis des citoyens, au service de l’assainissement de la vie publique.

Ne peut-on pas considérer la transhumance comme une plaie sénégalaise si l’on sait qu’elle n’a pas cette ampleur dans les autres pays limitrophes. On pourrait citer le Mali ou la Côte d’Ivoire où le Fpi est resté relativement stable en dépit de la chute de Laurent Gbagbo.

Paradoxalement ce qui est la plaie sénégalaise, a produit en même temps le mécanisme qui a assuré la «succes story» (D. Cruise O’Brien) du Sénégal. Le pays possède une véritable classe politique, des porteurs de légitimité hors du territoire politique et des associations de la société civile capables de s’affronter mais aussi de négocier des compromis pour éviter le pire. La circulation des élites entre différentes positions, l’absence de nœuds autoritaires durables et la présence d’un pluralisme administrative (religieux, régional et ethnique) explique la fluidité des acteurs sociaux, leur capacité de transiger et d’éviter le règlement des conflits et différends par la violence.
Il est donc nécessaire de refonder la société sénégalaise, de mettre un terme à la transhumance, sans mettre en danger les fondements de la culture qui a alimenté la « succes story» depuis la période coloniale. Il faut au contraire, la ré-imaginer et actualiser, en permanence car elle est au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler «l’exception sénégalaise».

Tout de même cette «politique du ventre » n’est-elle pas à plus ou moins long terme une menace pour la démocratie sénégalaise?

Elle est une vraie menace pour la démocratie sénégalaise. C’est pour cela qu’il faut y mettre fin ici et maintenant. La défaite du président Wade et celle à venir de son parti, le Pds, et l’élection d’un jeune Président offrent une occasion unique pour clôturer le chapitre de la transhumance et commencer à écrire le nouveau chapitre d’un Etat moderne, démocratique, transparent, garant d’une citoyenneté responsable et engagée. La mobilisation des jeunes, le 23 juin 2011, et le remarquable travail du mouvement «Y’en a marre» insistant sur le respect des instituions et du bien commun au détriment de position partisanes offrent des pistes de réflexion pratiques et théoriques sur les chemins et les acteurs de la refondation. L’institutionnalisation du jeu politique, sa démocratisation et sa massification en sont les conditions sine qua non, pour reprendre une des expressions favorites de Senghor. Elle doit être accompagnée par un renouvellement, un rajeunissement et une féminisation de la classe politique d’une part et un renforcement de l’animation de l’espace public au niveau local. Il est indispensable de faire ré-émerger une classe de notables sans ambition nationale pour créer d’autres niveaux de l’animation politique et redéfinir la géographie de la représentation nationale qui devrait être exclusivement sur une base départementale. La transhumance est aussi la conséquence du rôle central du parti dans le choix des candidats et de l’importance de la liste nationale pour l’élection des députés.

Sur quels leviers le Sénégal doit-il agir pour que l’élection ne soit plus un sujet de contentieux pré ou post électoral ?

Les douze années de l’alternance politique de 2000 illustrent parfaitement la possibilité d’un retour sur des acquis que l’on croyait définitifs. Le président Wade et le PDS se sont attelés au démantèlement de l’administration des élections et à une remise en cause de leur organisation légale et au recours excessif aux révisions constitutionnelles. Pour sécuriser le processus électoral, il est indispensable de procéder à une institutionnalisation qui échappe à la manipulation des politiciens.

Comment y arriver ?

Les Assises nationales ont ouvert des pistes intéressantes mais il est indispensable de poursuivre la réflexion et de l’élargir aux secteurs qui étaient absents de la discussion. Il faudrait aussi poursuivre la réflexion sur des questions autres que celles des élections et de la prise du pouvoir comme par exemple, la fiscalité, le pouvoir local, l’éducation, la santé, etc. Il faut repenser les élections en relation avec la question de la représentation et de sa géographie, au niveau local, national mais aussi régional. Ne faut-il pas sortir de la conception d’un président fort qui a besoin d’une majorité pour gouverner mais aussi pour abuser du pouvoir ? Ne faut-il pas sortir de l’héritage constitutionnel de la 5ème République pour recréer une “présidence normale” (F. Hollande)? Et le prix à payer pour cette rupture n’est-il pas de réfléchir sérieusement sur l’élection du président de la République au suffrage indirect pour réinventer d’autres lieux de pouvoirs et de représentations, offrant ainsi des territoires de dialogue et d’engagements citoyens.
Il faut espérer que les discussions constitutionnelles permettront d’aller au delà d’un exercice purement juridique pour prendre en considération les questions sociologiques, politiques et culturelles susceptibles de produire de nouvelles formules et modalités de représentation populaire.

sud quotidien
PS:
MAMADOU DIOUF, DIRECTEUR DE L’INSTITUT DES ETUDES AFRICAINES A COLUMBIA UNIVERSITY

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