La semaine dernière, une certaine presse annonçait l’organisation par les intellectuels de la diaspora africaine d’un grand rassemblement à Paris, le dimanche 30 mai, en guise de soutien au Président Wade. Au terme de notre enquête, nous avons pu établir que ce projet, monté depuis le Palais présidentiel et relayé par l’ambassade et le consulat, n’est qu’une supercherie pour berner l’opinion. Par Thierno DIALLO
Au Parti démocratique sénégalais (Pds), tous les prétextes sont bons pour mobiliser des foules derrière la cause de Wade, et même les plus fallacieux. On est en début de semaine dernière, et la tempête Clotilde Reiss n’avait pas fini de s’estomper. Alors que les médias français se délectent de la revendication du Président sénégalais sur la libération de la chercheuse, le Pds, lui, a une autre idée derrière la tête : redonner du baume au cœur de son chef, en décrochant le soutien (précieux?) des intellectuels africains en France. L’idée n’est peut-être pas saugrenue, sauf que sa faisabilité n’est pas garantie quand on sait l’esprit de transparence qui anime généralement ces élites. Le clan de Wade le sait. Il va alors prendre ses précautions, en avançant masqué. Son idée : faire organiser par l’élite de la diaspora une grande manifestation de soutien à Wade, dont le but est de démontrer à l’opinion publique internationale, aux autorités françaises surtout, que «le Président sénégalais n’est pas si impopulaire que cela». Ce plan a été stratégiquement concocté par Serigne Mbacké Ndiaye, ministre-conseiller chargé des Affaires politiques ; un plan confidentiellement relayé par l’ambassade et le consulat général du Sénégal à Paris, avec la fédération libérale de France comme maîtresse d’œuvre, mais dans l’antichambre. Et pour sa matérialisation, une grande manifestation a été calée, de façon informelle, au dimanche 30 mai.
MAIMOUNA SOURANG NDIR, L’ENTREMETTEUSE
Tout s’est accéléré avec l’arrivée à Paris du transfuge du Parti de la réforme (Pr), vers le 14 mai. Une fois sa valise posée, Serigne Mbacké Ndiaye entre en contact avec l’ambassadeur du Sénégal en France, Maïmouna Sourang Ndir. Il lui fait part de sa volonté de rencontrer les intellectuels de la diaspora au nom du président de la République. Mme Ndir l’oriente alors sur une piste bien introduite dans le milieu culturel. Cette piste se trouve être Souleymane Anta Ndiaye, membre de la délégation du Sénégal à l’Unesco. Mais c’est plutôt sa qualité de coordonnateur du Forum de la renaissance africaine (Fora) qui a valu à M. Ndiaye la recommandation de l’ambassadrice. Le ministre-conseiller ne tardera pas à entrer en contact avec ce dernier. Et le principe d’une réunion de prise de contact rapidement arrêté. Dans un premier temps, la date du mardi 18 a été proposée à Serigne Mbacké Ndiaye. Mais, l’homme est visiblement pressé. Il veut tout mettre au point avant son retour à Dakar, prévu le mercredi 19, ou avant que le plan ne soit éventré. Sur son insistance, le lundi 17 a été retenu pour une rencontre avec les intellectuels. Malgré le délai relativement court, le coordonnateur du Fora a pu mobiliser ses amis pour venir écouter le ministre-conseiller. Des responsables d’autres associations africaines ont été associés à la réunion qui s’est tenue à 18 heures dans les locaux de l’Unesco. Parmi les 28 personnes qui ont pris part à cette réunion informelle, la grande majorité n’était pas des Sénégalais. En effet, il faut préciser que le Fora, qui est apolitique, n’est pas une structure sénégalaise, mais africaine, dont l’objectif principal est «d’appuyer les efforts consentis pour faire de l’Afrique un continent développé et respecté». Dans l’assistance, il y avait également la vice-consul et présidente des femmes libérales de France, Athia Aw Niang, et Sory Camara, le «rapporteur» du vice-président de l’Assemblée nationale Amadou Ciré Sall. Dans son intervention, Serigne Mbacké Ndiaye, prudent, n’a pas demandé explicitement au Fora de soutenir une quelconque manifestation. Ou plutôt, il le fera en des termes voilés : «Le Président (est) à l’écoute des intellectuels de la diaspora, des différentes propositions qui pourraient émaner de ces derniers, pour renforcer les capacités d’agir des uns et des autres pour un réel développement du continent.» En fin de séance, tout ce beau monde se sépare sans que rien ne soit arrêté officiellement, et, donc, sans que le ministre-conseiller ne dévoile ses vraies intentions, et sans que Mme Aw ne pipe mot. «Ils (Serigne Mbacké et Athia) se sont dit qu’ils ne peuvent rien faire avec ces gens-là», glisse une source.
LA REUNION SECRETE AU CONSULAT
Mais ce n’est que partie remise. Effectivement, dès le lendemain, le ministre-conseiller et son «assistante» ponctuelle, la vice-consul, reviennent à la charge. Ils appellent seulement quelques personnes parmi celles qui étaient présentes la veille à l’Unesco pour leur convier à une réunion le soir même au consulat. Il s’agit notamment de la comtesse Emmanuelle Vidale de Fonseca, (la fille de Douta Seck), Lambert Ghahibali, un ancien ministre d’Etat du Congo Brazzaville, et un certain John Ayité Dassovi, journaliste de profession. En effet, ces derniers paraissent, à leurs yeux, des «clients» qui ne refuseront pas leur marché. Exit donc le coordonnateur du Fora Souleymane Anta Ndiaye, son Secrétaire général, le Dr Assane Wade, Bintou Seydi et les autres Sénégalais de la bande. Toujours est-il qu’au consulat, les premiers soupçons vont faire surface. Les invités s’étonneront de ne pas voir leurs camarades qui les ont invités la veille. On leur répondra qu’ils ont eu un empêchement, alors qu’ils n’étaient même pas informés de cette réunion. Une réunion qui, par contre, a vu la participation d’autres militants libéraux de Paris, ceux appartenant au clan fusionné de Amadou Ciré Sall et de Athia Aw. Ce qui laisse clairement sentir un parfum de règlement de compte politique. En effet, la fédération Pds s’est lancée le défi de prouver aux autres Libéraux qui sont avec le commissaire politique Meïssa Touré qu’elle sait mobiliser, contrairement à ce que soutiennent ses détracteurs.
Sur place, un comité de pilotage a été installé à main levée. Dans ce comité, le nom de Souleymane Anta Ndiaye est coché, à son insu évidemment. Grande fut sa surprise, quand il le découvrira dans la presse du lendemain. C’est le Togolais John Dassovi qui fait figure de principal animateur du comité qui compte également en son sein l’ancien ministre d’Etat congolais et la fille de Douta Seck. Du pain béni pour ce journaliste quinquagénaire qui «navigue pour trouver des pistes lucratives», «qui est flou», et qui est surtout connu pour son «goût prononcé pour l’argent» ; bref, un «arnaqueur» comme le décrit un confrère africain. D’ailleurs, à un de ses confidents, John Dassovi dira : «Je m’en fous des Sénégalais, ce qui m’intéresse, c’est comment tirer le maximum de sous dans cette affaire.» Ca tombe bien. Parce que des sous, il en sera beaucoup question. Un projet de budget a, en effet, été discuté pour une réussite de la manifestation. Quelques heures plus tôt, un journal en ligne avait fait état d’une «valise d’euros» de Se-rigne Mbacké Ndiaye. Dans le comité d’organisation, figurent bizarrement ce dernier, Amadou Ciré Sall, Athia Aw et d’autres militants du Pds. Alors qu’ils font croire officiellement qu’ils n’ont «rien à voir avec cette initiative qui est celle des intellectuels de la diaspora». Toujours est-il que la réunion secrète au consulat sera sanctionnée par un communiqué qui sera envoyée à une certaine presse. Il annonce «un grand rassemblement de 2 000 à 3 000 personnes pour soutenir l’action» de Wade. Le communiqué mentionne également la volonté du comité de pilotage d’inviter des artistes africains comme Ismaïla Lô, Youssou Ndour ou encore Papa Wemba. C’est dire que c’est un programme qui nécessite un soutien du Palais.
FLOU ARTISTIQUE
Au même moment, le Fora qui n’a rien vu venir commence à se méfier du ministre-conseiller, parce que ne voulant pas entacher la crédibilité de l’association. De l’autre côté, on espère un déblocage rapide «des fonds», condition préalable de la tenue de la manifestation. L’espoir est réel, puisque le mécène Abdoulaye Wade est en route pour Paris, en provenance d’Asie. Le Fora qui souhaitait depuis quelque temps lui exposer son travail, a réussi à obtenir une audience, le samedi 24 mai dernier. Mais plusieurs autres associations de la diaspora y prendront aussi part, parmi lesquelles le Rapec (Réseau africain des promoteurs et entrepreneurs culturels) dirigé par John Dassovi. A la résidence de l’ambassade, devant une soixantaine de personnes, c’est la comtesse Emmanuelle Vidale de Fonseca qui lira la déclaration du Fora qui se «réserve le droit d’élever la voix, chaque fois qu’un leader africain ou de la diaspora africaine fera l’objet de tentative de déstabilisation de la part de personnes privées ou d’institutions». Le projet de manifestation ne sera pas abordé au cours de cette rencontre. Les porteurs du projet, en l’occurrence John Dassovi et le cinéaste Charles Onana, entre autres, reviendront vers le soir pour revoir le Président. C’est Athia Aw qui les a accompagnés. Ils ont fait part de leur «astuce» au Président, en demandant bien sûr un financement. Ce qui est sûr, ils n’ont rien reçu sur place. Aujourd’hui encore, ils attendent toujours «l’accord» de Me Wade. Et au moment où nous écrivons ces lignes, ce n’est plus sûr que cette manifestation ait lieu. John Dassovi nous disait lundi soir que «rien n’est encore officiel pour la manifestation. Les choses ne sont pas encore totalement décidées ; peut-être, cela se fera à la dernière minute». Le temps de trouver de l’argent ? L’«animateur» ne répond pas. Il se contente de dire : «En tous cas, si on me demande de rassembler mes amis, ça ne me gênerait pas.» A ce jour, un flou artistique règne autour de la tenue de cette manifestation de soutien. Aura-t-elle lieu dimanche comme l’a annoncé le communiqué ? Sera-t-elle reportée ? Athia Aw n’exclut pas cette hypothèse. Et M. Dassovi, lui, est devenu injoignable.
LA FILLE DE DOUTA SECK DESISTE ; LE FORA SE DEMARQUE
C’est que le comité de pilotage installé au consulat s’est fissuré. Dès le lendemain de sa constitution en effet, certains de ses membres ont commencé à émettre des doutes. Ils ont compris qu’on voulait les utiliser à des fins non avouées, comme les dindons de la farce dans la lutte d’influence inter-libérale. «Au consulat, on nous a dit qu’il va falloir tenir une marche ou un grand rassemblement pour apporter un soutien indéfectible au Président Wade», confie Lambert Ghahibali. Qui s’interroge : «Pourquoi on nous a confinés dans un camp ?» Avant de livrer son état d’âme : «Je suis confus ; le climat me paraît morose.» De son côté, celle qui était considérée comme un symbole, la fille de Douta Seck, a préféré jeté l’éponge. Elle ne veut pas que le nom de son illustre père soit associé à des choses «pas claires». «En voyant comment s’organisent les choses, dit-elle, j’ai préféré désister. Au fait, il y a des choses que j’ignore dedans. Tout cela m’a choquée, parce que moi, j’aime que tout soit carré. Ni moi ni ma famille ne faisons plus partie de l’organisation. Je reste avec le groupe des intellectuels du Fora.» Un Fora dont un des membres a tenu à préciser : «On est associés ni de près ni de loin aux agissements de Serigne Mbacké Ndiaye, de Athia Aw et de John Dassovi ; ce n’est pas en mobilisant et en donnant des sous qu’on peut avancer. Le combat se trouve au niveau de la bataille des idées.»
Correspondant permanent en France
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