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Projet d’attribution d’une concession intégrale de 30 ans à la SDE: une option à hauts risques

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A l’évocation du projet d’attribution d’une concession intégrale de l’hydraulique publique pour 30 ans à la Sde, c’est un flot de propos réprobateurs que lancent nombre de professionnels. Ils n’ont pas hésité à arroser cette décision sidérante de maintes critiques qui en disent long sur les motivations contradictoires du gouvernement qui semble vouloir noyer les choix faits en 1996. Une option jugée illogique et dénuée de toute pertinence.

Encore une incohérence du régime libéral ! A quelques mois de la fin du contrat d’affermage liant l’Etat du Sénégal et la Sde (Sénégalaise des eaux), vient de se voir confier une étude sur le secteur de l’eau. L’objectif de cette opération est d’octroyer à la filiale du groupe Bouygues une concession intégrale de 30 ans sur toute l’hydraulique publique. Prévue pour regrouper les 3 entités que sont la Sones, la Sde et l’Onas, la future concession engloberait par conséquent l’eau potable, l’assainissement et la gestion des eaux pluviales. Un protocole a d’ailleurs été paraphé en ce sens, le 12 mai 2011. L’Etat du Sénégal y envisage, en plus de la production et de la distribution d’eau potable dans les centres urbains et périurbains, de céder la gestion exclusive des eaux usées et des eaux de pluie à la Sde. Cette réforme institutionnelle du secteur hydraulique qui devrait entrer en vigueur, en janvier 2012, à un mois de la prochaine présidentielle, a fait sortir de leurs gongs les professionnels du secteur. Ces derniers se sont interrogés sur les raisons ayant conduit à une mesure qui trouble la visibilité du secteur de l’eau.

Indignés par la manière dont l’Etat s’y est pris, notamment dans un « contexte politiquement chargé », des professionnels ayant requis l’anonymat sont d’avis que la concession de 30 ans n’est pas la meilleure option. Ils soulignent ainsi qu’avec 51% des actions, l’actionnaire majoritaire va fixer ses prix en fonction de ses investissements, avec le risque que cela entraine une hausse. Une crainte d’autant plus fondée que l’assainissement qui nécessite des investissements coûteux devra pour son amortissement passer nécessairement par une application de la vérité des prix.

Pour d’autres, les risques liés à la concession intégrale sur plusieurs années sont multiples. Le cas échéant, l’Etat devra convaincre les bailleurs qu’il leur garantit de rentrer dans leurs fonds octroyés sous forme de prêts non concessionnels.

Pour l’hydraulicien Antoine Diockel Thiaw, un retour à la globalisation des trois entités est impossible. Il estime que cette formule prendrait le contre-pied de la réforme entreprise en 1993 sur le secteur de l’eau qui avait scindé le secteur en hydraulique rurale, urbaine et agricole. Cet ingénieur du génie civil est surtout sceptique sur le fait qu’un tel schéma puisse revoir le jour. Il est d’avis « qu’aucun privé ne s’engagera dans une concession dans ce contexte car elle est politiquement lourde ». Pour plusieurs raisons. D’abord, la concession intégrale est un schéma qui nécessite de gros investissements et le plus souvent sans recettes. De plus, le prix de l’eau qui est subventionné par l’administration est resté le même. Un équilibre qui sera sûrement perturbé par le futur concessionnaire.

De l’avis général, dans l’hypothèse de la concession, les financements vont se faire à des taux non concessionnels entrainant du coup une hausse des tarifs. Pour nombre de professionnels, avec l’option retenue par l’Etat le risque majeur est le retrait pur et simple des bailleurs de fonds du secteur. Faut-il préciser qu’entre 1997 et 2004, ces derniers y ont injecté 320 milliards de FCFA (150 milliards pour le Programme sectoriel eau (Pse) et 170 milliards pour le Programme eau à long terme (Pelt)). Créé en 2005, le Programme eau potable et assainissement du millénaire (Pepam) nécessite un financement de 500 milliards pour la période 2005-2015 que des bailleurs de fonds sont prêts à accompagner pour permettre au Sénégal d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) en matière de desserte en eau potable et d’accès à l’assainissement en milieux urbain et rural. Ce sont donc tous ces financements qui sont menacés par la cession intégrale du secteur à un privé. S’y ajoute que l’Etat n’est pas préparé à cause, précise-t-on de l’inexistence de régulateur dans le secteur. « L’Etat n’y verra que du feu car c’est le concessionnaire qui gère le financement », explique-t-on dans le milieu.

Pour ne rien arranger, Antoine Diockel Thiaw estime que ce projet de concession poserait des problèmes pour combler le déficit de 20 000 mètres cubes à Dakar et compromettrait la poursuite du financement de projets en cours. « La réforme est en panne. L’assainissement est en retard. Si les financements ne suivent pas les prix de l’eau vont connaitre une hausse et la réalisation des objectifs d’assainissement sera compromise », s’inquiète Thiaw.

Des limites de l’affermage

Singulier pari donc que d’espérer un financement important du futur concessionnaire d’autant que dans le schéma actuel d’affermage, l’assainissement ne s’est pas développé faute d’investissement conséquent. Toutefois, même si la concession intégrale constitue aux yeux de beaucoup de professionnels une hérésie, les faiblesses de l’affermage n’en sont pas moins surlignées au feutre. Par cette réforme partie du constat que le réseau n’etait pas développé, de l’importance du déficit de la fourniture en eau de Dakar et de la gestion peu saine du secteur et la réticence des bailleurs de fonds au financement, la Sde s’engageait à fixer un tarif transparent à réviser périodiquement mais également à surveiller les paramètres de performance comme la qualité de l’eau, la distribution et à assurer l’entretien. Quinze ans après, le tableau affiché par la Sde n’est pas très limpide au plan comptable. La Sones nage dans le flou total dans les livres de la Sde surtout qu’elle ne dispose pas de moyens de contrôle, notamment sur la facturation et la distribution alors qu’elle est payée sur le chiffre d’affaires de cette dernière. On dénonce également l’absence de visibilité dans les comptes de la Sde, l’impossibilité pour la Sones de vérifier les comptes de la Sde mais également de jeter un coup d’œil sur les charges, les amortissements. Pis, même pour fixer les prix de revient de l’eau, certaines données proviennent de la Sde à qui il arrive de réaliser certains marchés pour le compte de la Sonees comme l’extension du réseau pour un coût de 5 milliards.

Aussi de l’avis de Thiaw, la Sde a des efforts à faire du point de vue comptable quand d’autres se posent la question de savoir si ses comptes sont audités. Plus généralement, on indique que l’affermage aurait pu être amélioré en affirmant mieux le rôle de la Sones et en responsabilisant davantage la Sde dans les investissements. Affiner davantage l’affermage signifie pour nos interlocuteurs renforcer les prérogatives de la Sones en lui assignant des objectifs clairs à respecter et enfin, en lui permettant de souscrire directement des engagements avec les bailleurs.

D’autres critiques vont à la centrale d’achat de la Sde propriété au groupe Bouygues où elle s’approvisionne régulièrement. Comme c’est par exemple le cas pour un logiciel de gestion dont le coût est estimé à 3 milliards de francs Cfa. Pour beaucoup, cette centrale d’achat est une niche de surfacturation et crée de la valeur ajoutée pour l’extérieur, même si on indique que la Sde ne peut être compétitive en s’approvisionnant au Sénégal où « les fournisseurs consultés sont généralement mieux disant. »

Toutefois en dépit de ces insuffisances, l’affermage a produit au plan financier quelques résultats satisfaisants. « Entre avril 1996 et 2003, la Sones a atteint l’équilibre financier. En 1998, l’Etat a apuré ses arriérés et en 2003 le point d’équilibre a été atteint », se félicite Antoine Thiaw qui exige toutefois la clarification des relations financières entre l’Etat et la Sones. Tout en pointant du doigt le gel des tarifs de l’eau qui a porté la créance de l’Etat vis-à-vis de la Sde et de la Sones à 30 milliards de FCFA suite à des accumulations d’arriérés de l’administration (université etc.).

Concession ou compromission

Comment en est on arrivé là ? Pourquoi attribuer un secteur aussi stratégique et sensible que celui de l’hydraulique urbaine et l’assainissement à une société étrangère ? Selon des interlocuteurs proches du dossier, ce sont les tergiversations et l’impréparation du pouvoir actuel qui ont conduit à cette situation. « D’abord, en 2006, s’il y a eu un prolongement du contrat de 3 ans pour la Sde, c’est à cause de l’impréparation de l’Etat qui n’avait pas d’autre solution de rechange, n’avait pas fait d’appels d’offres. L’Etat a également fait montre de manque d’anticipation dans la reconduite du contrat », précise encore Thiaw.

Une situation qu’on a voulu éviter en 2010 en confiant une étude d’évaluation institutionnelle du financement de l’hydraulique à la société Nodalis. Mais l’initiative fera long feu. L’étude-diagnostic « qui était sur la bonne voie », sera stoppée nette sur ordre du président Wade. Par la suite les termes de référence sur une étude pour une concession seront confiés à l’Apix mais son étude n’arrivera jamais à terme. C’est finalement au fermier actuel que sera confiée l’étude au terme de laquelle la concession du secteur devra lui être attribuée. Une pilule difficile à avaler pour les professionnels du secteur qui ne peuvent comprendre qu’on ait confié l’étude devant conduire à la concession au futur concessionnaire lui même. Ce qui leur fait dire que cette concession est une compromission. Même si on voit mal la Sde accepter la concession intégrale et devoir investir dans l’assainissement qui est un gouffre à sous. Qu’est ce qui a donc motivé la Sde d’accepter un protocole devant conduire à la concession ? A cette question, nos interlocuteurs répondent en chœur : « Elle ne veut pas perdre le marché de la commercialisation de l’eau. Mais on voit mal la Sde accepter une concession surtout dans ce contexte préélectoral. » Autrement dit, le projet de concession est une gesticulation qui manque de crédibilité. Quoiqu’il en soit, nos interlocuteurs pensent que si cela devait être la solution ultime, la concession contrôlée présenterait un meilleur avantage en ce sens qu’elle permettrait une harmonisation des investissements et leur rationalisation. Les objectifs de rentabilité et de concession intégrale leur paraissant incompatibles. L’option la plus rentable à leurs yeux étant toutefois de continuer le contrat d’affermage pour ne pas courir le risque de voir les bailleurs fermer le robinet du financement. Parmi les autres pistes indiquées, il y a le morcellement de la concession au profit du privé national ou des collectivités locales. Seulement dans ce cas, « on perd l’avantage de la péréquation car les villes de l’intérieur ne pourraient jamais maintenir leur prix actuels », prévient Thiaw, ajoutant que la concession partielle risque de faire plonger le service et de baisser la qualité de l’eau.

Quid d’un retour à la gestion publique de l’eau ? L’exemple de la Sénélec empêtrée dans des difficultés de trésorerie et un déficit chronique de production fait frémir et fait craindre un schéma pareil. Même si l’on est d’avis que l’eau est un bien public, un droit humain. « L’eau est public, si elle est bien gérée, pourquoi pas ? », martèle-t-on. Mais pour Thiaw, un retour à la gestion publique de l’hydraulique n’est même pas envisageable. « Ce n’est pas possible », dit-il.

Mamby Diouf


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