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Projet de changement des statuts des villes comme Dakar: De la nécessite de reformer a l’obligation de performance

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XALIMANEWS: Annoncé par les tenants du pouvoir, le projet de changement de statut des villes comme Dakar a suscité une polémique, empruntant par moment des contours aux relents politiques. Mais, au-delà de ce débat qui semble passionnel, des questions légitimes se posent avec acuité : pour quoi, sur quoi et sur quels modèles des villes à forte identité historique, politique et émotionnelle pourraient-elles être l’objet de réforme ? Pour quels objectifs et sur quelle durée ? Quid des modèles étrangers ?

POLITIQUE DE PROXIMITE DE L’ETAT ET DE RESPONSABILISATION DES COLLECTIVITES LOCALES : De Diouf à Sall en passant par Wade, un processus sans cesse en mutation

Depuis 1872, date de la création de la commune de Saint-Louis, le Sénégal s’est lancé dans un processus irréversible de renforcement continu de la décentralisation. Ce processus a conduit à deux réformes majeures réalisées respectivement en 1972 et en 1996. La première réforme de 1972 pose «l’acte précurseur des libertés locales plus affirmées, avec la création des communautés rurales, la promotion de la déconcentration et la régionalisation de la planification».

Réalisée en 1996, la deuxième réforme, dans le souci d’accroitre la proximité de l’Etat et la responsabilité des collectivités locales, consacre la régionalisation avec notamment l’érection de la région en collectivité locale, la création des communes d’arrondissements, l’attribution aux collectivités locales de compétences par le transfert de neuf domaines de compétence. Cette loi de 1996 ouvre également la possibilité pour les communes de créer, par association, une structure d’entente et de coordination de leurs activités dans certains domaines de portées municipales : c’est la commune urbaine. Ainsi en 1997, les communes de la région de Dakar sont découpées en communes d’arrondissements : 19 dans la ville de Dakar, 16 à Pikine, 5 à Guédiawaye et 3 à Rufisque.

En faisant cette réforme, le président Abdou Diouf voulait expérimenter l’extension de la notion de « commune urbaine » aux autres régions. Arrivé au pouvoir en 2000, le président Wade a aussi apporté sa touche dans ce processus de consolidation de la démocratie locale. En 2002, il élève le territoire couvert par la ville de Guédiawaye dans le département de Pikine en département distinct de celui de Pikine.

En 2005, la communauté d’agglomération de Dakar qui regroupait les villes de la région de Dakar est créée sur la base d’une intercommunalité entre collectivités locales. En 2008, par n° 2008-1344 du 20 novembre 2008, trois communes d’arrondissement sont créées à Thiès : Thiès Nord, Thiès Est et Thiès Ouest portant ainsi le nombre de villes à 5, à savoir : Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque et Thiès. Mais avec l’Acte 3 de la décentralisation lancée par le président Macky Sall en mars 2013, on assiste à la généralisation des communes, à la création de conseils départementaux et à des modifications dans la répartition des compétences au sein des collectivités locales.

L’objectif visé par le président Sall était clairement affiché : « mettre en place une planification cohérente des compétences entre les collectivités locales et l’Etat. » Désormais, les communes étant de plein exercice, il devenait impossible de créer des communes d’arrondissements. C’est dans le cadre de la deuxième phase de cet Acte 3 devant parachever la première phase grâce à l’émergence de « nouveaux pôles territoriaux » que cette polémique portant sur le changement de statuts des villes est née.

CONSEQUENCES DE L’ACTE III DE LA DECENTRALISATION SUR LES VILLES : Dakar perd sa culture d’investissement

Certain spécialistes en décentralisation estiment que l’Acte 3 de la décentralisation a été mal fait avec, notamment, une communalisation intégrale jugée «trop osée». Selon eux, le chef de l’Etat en a fait des communes de plein exercice, «alors que leurs budgets ne leur permettaient pas d’investir». Des maires ne cessent de se plaindre de ces transferts de compétences par l’Etat qui ne sont pas accompagnés du transfert de moyens et de ressources nécessaires à l’exercice normal de ces compétences, comme le prévoient les dispositions de l’article 282 du Code général des Collectivités territoriales. «Si je prends le cas de la commune de la Patte d’Oie dont je suis le maire, nous avons hérité dans le cadre de la réforme de l’Acte III de la décentralisation la gestion du centre de santé Nabil Choucair et de son personnel dont la masse salariale est de 200 millions, sans le concours de ressources conséquentes. La preuve, cette année nous n’avons reçu que 51 millions dans le cadre des fonds de dotation pour l’ensemble des compétences transférées en matière de santé, d’éducation, de jeunesse, de sport, de culture, d’environnement», avait indiqué Banda Diop, maire de Patte d’Oie, en mai 2018, dans les colonnes de Sud quotidien.

Dans les collectivités locales, le personnel est souvent recruté sur «une base clientéliste, avec une vision qui s’arrête à la politique politicienne», estime un expert. Tout le contraire de la ville porteuse d’une «culture d’investissement». Prenant l’exemple de Dakar, des spécialistes constatent que non seulement elle avait la culture d’investissement, mais elle disposait aussi d’une «ingénierie» à travers un personnel municipal qualifié et capable de réaliser un plan d’aménagement durable. «La ville de Dakar n’est pas comparable à celle de Rufisque. Elle s’étend sur les 19 communes du département. Donc il y a une force départementale qui gère un puissant budget de 50 milliards, par péréquation ou pas, en tout cas avec la possibilité d’aider les communes.

La ville de Rufisque a 7 milliards de budget prévisionnel, mais recouvre tous les ans 5 milliards alors que le budget agrégé des 3 communes qu’elle polarise ne fait pas 3 milliards. Donc, cette ville-là est beaucoup plus puissante que les communes qui doivent se charger de l’exécution locale», explique Djibril Gueye, expert en décentralisation et membre du Bureau exécutif du Forum civil, la branche sénégalaise de l’ONG Transparency international (Ti).

En termes de gros investissements, il faut rappeler que tous les centres de santé dans les 19 communes ont été construits par la ville de Dakar. Grâce à l’amélioration du recouvrement des impôts, du temps du maire Pape Diop, la ville a vu ses recettes passer de 12 milliards de F CFA, en 2002, à 36 milliards de F CFA en 2008, dont la moitié consacrée à l’investissement, contre moins de 2 milliards il y a six ans. Dakar a pu ainsi refaire peau neuve, avec 270 km de réseau d’éclairage public mis en place depuis 2002. Mieux, 24 km de routes ont été aménagés, et 11 autres réhabilités. L’ouverture des centres commerciaux « Quatre C », de Colobane et des HLM, l’aménagement d’espaces publics (place Bienvenue, place du Souvenir, place Sfax…) ont contribué à embellir le décor urbain.

L’ouverture d’un Samu municipal, d’un centre gériatrique et d’une clinique ophtalmologique dit de dernière génération ont amélioré la couverture sanitaire de l’agglomération. Quant au « Crédit municipal de Dakar », il aide les démunis à démarrer une activité. Le maire Khalifa Sall, élu en 2009 grâce à une coalition d’opposition locale au président Abdoulaye Wade, n’a pas été en reste avec ses grands travaux : des investissements de 13 milliards de francs CFA sur la voirie, un éclairage public à 9 milliards, le pavage de la ville à 12 milliards, la construction du centre commercial de Kermel à 4 milliards et celui du centre Félix Eboué pour 2,5 milliards. La Ville de Dakar avait aussi acquis le centre commercial Djily Mbaye pour un montant de 1,5 milliard de francs Cfa afin de recaser «provisoirement» les vendeurs établis à Sandaga. Cependant, dès l’entrée en vigueur de l’Acte 3 de la décentralisation suivie du conflit ouvert en 2014 entre l’Etat central qui cherchait une mainmise sur la capitale et le maire qui nourrissait d’autres ambitions, presque tous les projets de la ville ont pris un coup de frein.

Trois épisodes de cette guerre entre les deux entités restent frais dans les mémoires : la sommation servie à la Mairie de Dakar par la Direction de la surveillance et du contrôle des sols (Descos, un organe dépendant de la Primature) pour arrêter les travaux de pavages sur la corniche ouest de Dakar, le blocage par l’Etat de l’emprunt obligataire lancé par la ville de Dakar dans la zone Uemoa, le différend ayant opposé la municipalité à l’ex ministre du Cadre urbain, Diène Farba Sarr, concernant l’aménagement de la Place de l’Indépendance… Aujourd’hui, «il semble que l’avènement de l’Acte III de la décentralisation ait fini par étouffer la culture d’investissement» de certaines villes, avancent des experts en décentralisation, qui se sentent du reste confirmé par le président de la république qui a indiqué que les villes «flottent parce que les communes sont de plein exercice». Une déclaration tenue le 31 décembre dernier, face à quelques journalistes, tout juste après son discours à la Nation.
PAR JEAN MICHEL DIATTA

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