Pour se moquer des institutions qui lui étaient hostiles, l’empereur romain Caligula avait voulu nommer son cheval favori Incitatus, sénateur. Sans en être arrivé à ces extrémités, on peut toutefois relever, sous la mandature du président Abdoulaye Wade, la nomination de certains personnages facétieux de la trempe de Farba Senghor à des postes importants de l’Etat. A se demander s’il ne cherche pas à humilier la République ? Probablement. Veut-il se venger des institutions qui ont été un obstacle à son accession au pouvoir ? Des Sénégalais qui l’ont porté au pouvoir à l’âge ou Senghor l’a quitté ? Voire. En tout état de cause, le délitement de la République affecte avant tout la plus haute fonction de l’Etat. Depuis son avènement à la magistrature suprême, en 2000, le présent a habitué l’opinion à toutes sortes de revirements, jusqu’à ce que les humoristes l’affublent du sobriquet de Me Weddi (reniement). Son fameux Wax waxet sur sa candidature a davantage ramolli la confiance à la parole publique. Il discrédite méthodiquement la démocratie en mettant au sommet de certaines institutions des personnages grotesques. Aussi une bonne partie, de ceux qui ont siégé dans les différents gouvernements sous l’alternance, n’auraient-ils jamais imaginé, même dans leurs rêves les plus fous, être un jour à la tête d’un simple service technique dans d’administration.
Des tocards
Quand, dans les premières heures de l’alternance, Marie Lucienne Tissa Mbengue a été bombardée ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Moustapha Niasse, cela a jeté un froid. La première ministre de l’Education nationale sous l’alternance a été très vite rattrapée par son diplôme. Titulaire du Bfem, institutrice de formation, elle n’avait manifestement pas l’étoffe pour diriger des fonctionnaires de classe exceptionnelle. Elle est remplacée 24 heures après sa nomination par Kansoubaly Ndiaye, un autre enseignant mais de la hiérarchie A. On croyait à une erreur de casting, mais il a fallu déchanter car cette affaire se révèlera être le premier épisode d’une longue série de désacralisation de la République. La moralité et le niveau scolaire n’étaient des paramètres intervenant dans la nomination aux hautes fonctions de l’Etat. Désormais, seuls les caprices du prince vont primer sur les principes jacobins. On se rappelle encore de Farba Senghor, personnage fantasque, catapulté ministre. La nouvelle était d’abord accueillie comme une blague par l’opinion car ignorant encore les méthodes du label Wade. L’ancien chômeur et courtier de la famille Wade a gravi de façon fulgurante les marches de la République. Ministre délégué à la Solidarité nationale, Farba Senghor a occupé, par la suite, les ministères de l’Agriculture, de l’Hydraulique rurale, de la Sécurité alimentaire et du Transport aérien. La moralité publique a payé cher la nomination de cette personne instable à des fonctions importantes. Dans l’exercice de ses fonctions, Farba enchaîne les frasques. Ministre de la République, il court derrière les cortèges du président. Dans l’affaire de l’Asecna, il est allé jusqu’à refuser le droit de grève aux syndicalistes de l’Agence. Ensuite, il débite des inepties à l’endroit du Directeur général qu’il qualifie de « niak », d’étranger. Le ministre instaure une situation de guerre généralisée contre tous ceux qu’il a identifiés comme étant des adversaires du pouvoir.
La presse a été victime de sa dérive guerrière. Elle a payé une dîme dans cette aventure cauchemardesque de la République. Lorsque les médias sénégalais ont décrété une « journée sans presse » pour protester contre l’agression des journalistes Boubacar Kambel Dieng et Kara Thioune, le ministre demande à toutes les sociétés de l’Etat de sevrer de publicité les organes « grévistes ».
Insatisfait de cette campagne de boycott, Farba organise une expédition punitive à l’encontre des journaux l’As et 24 heures chrono. « Les journalistes ignorent qu’à leur violence verbale, les gens peuvent répondre à la violence physique, », s’est-il défendu. Devant ces crimes abjects et les sottises en cascades, le président se débarrasse du collaborateur trop encombrant. Dans la métamorphose des mœurs politiques après 2000, Farba ne sera pas un cas isolé. Le jeune Modou Diagne Fada, qui n’avait à l’époque que l’expérience de député à se prévaloir, a failli trôner à la tête du ministère de la Fonction publique. Heureusement certains conseillers du président ont réussi à le dissuader. Mais, il récidive dans l’affaire Babacar Gaye. Nommé directeur de cabinet technique du chef de l’Etat en 2007, ce dernier n’avait que bac+2 pour un poste réservé aux fonctionnaires de la hiérarchie A (bac+4). Devant la clameur populaire, Babacar Gaye est dégommé et recasé dans la planque de Directeur de cabinet politique du président. Un poste inconnu de la nomenclature des institutions républicaines. D’autres personnalités ont profité de la mise en abîme des institutions pour s’incruster dans les interstices du pouvoir. L’ancien maire de Louga, Maniang Faye, titulaire du plus petit titre scolaire décerné par le système scolaire sénégalais, Certificat d’études, s’est vu attribuer le poste de président du conseil d’administration (Pca) de la compagnie Air Sénégal international. Un choix hasardeux lourdement payé par le contribuable sénégalais. A cause de son incompétence manifeste Maniang n’avait pas le pré-requis pour défendre les intérêts du Sénégal, alors que les actionnaires marocains qui étaient bien représentés dans la compagnie ont tiré leur épingle du jeu. Mamadou Lamine Massaly, Pca à Dakarnav, ne remercie jamais assez le ciel pour avoir croisé le chemin de Me Wade. Cet illettré complet est nommé à ce poste pour ses talents de mobilisateur et d’harangueur de foule lors des meetings de son bienfaiteur. Le mareyeur Pape Diop, successivement président de l’Assemblée nationale et du Senat, est la deuxième personnalité de l’Etat. Une position qui se justifie uniquement par son passé d’argentier du Pds durant les périodes difficiles dans l’opposition. Aujourd’hui, ce personnage sans bagage intellectuel fait partie des premiers cercles du pouvoir et est en position de remplacer le président en cas de vacance du pouvoir. Naturellement, Pape Diop n’a pas de complexe à gérer ces hautes fonctions. Car celui qui dirige le gouvernement n’est pas non plus un intellectuel brillant. Cartouchard de la faculté de droit et des sciences économiques, le Premier ministre a enfilé la toge d’avocat par défaut. Dans toute sa carrière, on ne lui connaît pas de dossier costaud.
Amoralité
Au conseil des ministres, Farba Senghor croisait chaque semaine des ministres qui traînent de lourdes casseroles…de mœurs. L’enquête de moralité n’est plus un obstacle à la nomination à ces prestigieuses fonctions. Certaines personnalités sous l’alternance ont répondu dans leur vie des délits d’adultère, de viol ou de détournement. L’ancien ministre Adama Sall est un cas typique de banalité des critères de désignation à de hautes fonctions. De son passage à la tête de la SOTRAC (Société de transport en commun du Cap-Vert), puis de la SAPCO (Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal) et enfin du CICES (Centre international du commerce extérieur du Sénégal), il a laissé un souvenir de mauvaise gestion jusqu’à présent inégalée. Au point que la Cour des comptes l’a formellement déclaré « incapable d’exercer une fonction publique ». Son ancien camarade socialiste Sada Ndiaye a intégré le gouvernement, en dépit des trous financiers béants qu’il a creusés au Coud et à la Sicap. Au contraire, il semblerait même que la qualité de grand détourneur assure une promotion au sein du régime libéral. Les audits de l’Armp de 2008 ont épinglé Bara Sady dans sa gestion du Port autonome de Dakar. Idem pour Amadou Kane Diallo dans la gestion du Cosec. Bara Sady garde toujours son poste alors qu’Amadou Kane Diallo a pris le galon de Ministre-conseiller. Dans ces audits, la prime revient à Awa Ndiaye. Une clé USB à 97 mille 500 francs Cfa, un tapis de prière à 15 mille 850 francs Cfa, un ordinateur à 1 million 695 mille francs Cfa, des cuillères grand modèle à 37 mille 500 francs Cfa, des couteaux grand modèle à 42 mille francs Cfa et des carafes grand modèle à 47 mille 100 francs Cfa. Bref, elle a montré tous ses talents dans la filouterie, de sorte que le président était obligé d’en faire une ministre d’Etat. De tous ces carriéristes connus du grand public à la faveur de l’alternance, Karim Wade est sans nul doute le plus heureux. Grâce à la victoire du père, le fils du président a touché le graal. Courtier dans une Banque londonienne, Karim a connu les délices du pouvoir uniquement pour des raisons filiales. Sans expérience dans l’administration sénégalaise, Karim cumule actuellement 4 postes ministériels, gère 15% du budget national et commande plus de 1000 agents de l’administration formés à bonne école. En dépit, des malversations constatées dans la gestion de l’Anoci. N’est-ce pas Wade qui disait « être ministre c’est rien, je peux nommer mon chauffeur à ce poste ».
Moquerie
L’épidémie de candidatures fantaisistes découle en grande partie de la dévaluation de la fonction de président de la République. Meïssa Fall, Bruno d’Erneville, Mansour Ndiaye, Moustapha Samb…. ces illustres inconnus n’ont pas eu peur d’agiter leurs candidatures. Les charges de président, le chômage galopant et la misère du peuple ne dissuadent point les uns et les autres. Désormais, le pouvoir renvoie à une instance de jouissance et d’enrichissement. Franchissant le seuil du palais juste après son élection, nous informe Idrissa Seck, Abdoulaye Wade lâche : « nos soucis d’argent sont terminés ». Depuis, le président se comporte avec les deniers publics comme s’il était dépositaire d’un héritage personnel. De l’argent du contribuable, il donne à qui il veut et se procure ce qu’il veut. Comme il veut.
Baye Makébé SARR