Amina Ndiaye Leclerc a présenté, vendredi dernier, son dernier documentaire Waldiodio Ndiaye, l’indépendance du Sénégal coréalisé avec Eric Cloué à l’Institut français. La fille de l’ancien ministre de l’Intérieur du Sénégal revient dans cette interview sur la promesse faite par Wade de réviser le procès de son père. Pour elle, Waldiodio et les autres codétenus de la prison spéciale de Kédougou de 1963 méritent une réhabilitation. La réalisatrice évoque aussi les difficultés rencontrées pour avoir des images d’archives.
Wal Fadjri : Etait-il une obligation pour vous de faire un film sur votre père Waldiodio ?
Amina NDIAYE LECLERC : C’était un devoir de mémoire. Un devoir de mémoire qui était difficile. Mais malgré cela, il fallait que je le fasse et il y a quelque chose d’invisible, je dirais qui m’a poussée. Je travaillais déjà dans l’audiovisuel, c’était mon métier de faire des films. Mais pour ce film-là, je le porte depuis toujours. J’ai commencé à l’écrire dans les années 80 chaque fois que j’ai été hospitalisée pour des maternités ou autres. C’est très important d’avoir accès à son passé, à des images d’archives. Car grâce à ça, on arrive à rétablir une vérité.
Quand il y a des conflits, je parle de l’Afrique d’une manière générale, c’est toujours le vainqueur qui réécrit l’histoire. Et à un moment donné, il est important de savoir ce qui s’est passé, non pas pour engager une polémique, – car on m’a toujours dit laisses tomber, pourquoi tu réveilles le passé ? – j’ai dit qu’il est important de se réconcilier avec son passé. Ce n’est pas faire œuvre de polémique. J’ai voulu dire ce qui s’est passé, chercher la vérité et au contraire cela peut créer un lien social. C’est se réconcilier non seulement avec soi-même, mais aussi avec l’histoire. Une nation qui n’est pas capable d’assumer ses actes, le passé avec tout ce qu’il y a eu de mal et de bien en général. Le bien on en parle toujours ; le mal ça existe aussi. En un moment donné, je pense qu’il est bon de rétablir une vérité.
Quel sentiment vous anime aujourd’hui après avoir accompli ce devoir de mémoire ?
Ah ! Je me sens sereine. Je suis contente d’avoir fait ce que j’avais à faire. J’avais dit que j’allais arrêter de faire des films avec ce documentaire. Mais là, j’ai un autre projet. Je veux faire un autre film sur mon père, une fiction, car le documentaire s’arrête à Kédougou et il y a toute la suite à réaliser.
Pourquoi n’avez-vous pas parlé de son emprisonnement à Kédougou qui fait suite à l’accusation de coup d’Etat en 62 dans ce film ?
A cette époque-là, (c’est-à-dire en 1999 date de réalisation du film : Ndlr) je n’étais pas capable de filmer Kédougou, ni d’en parler. Maintenant que j’ai évolué, j’ai vu Kédougou et j’ai imaginé sa vie là-bas, je peux faire un film sur ça. Waldiodio, après sa sortie de prison, n’a jamais parlé de Kédougou. Il n’en a jamais parlé, même pas à ma maman (sa mère qui était présente à l’entretien confirme cela : Ndlr). Sauf une seule fois, où il faisait très chaud comme ces temps-ci, on était à table, il me dit : ‘ha là là qu’est-ce qu’il fait chaud, ça me rappelle Kédougou’. C’est la seule fois qu’il a évoqué Kédougou.
Un de mes grands regrets quand j’ai fait le film, c’est de ne pas lui avoir fait parler de Kédougou. Il a été éloigné de tous lorsqu’il était dans cette prison spéciale. Ils ont tout fait pour qu’il soit oublié de tous. Ils n’ont pas réussi. Finalement, je pense que comme tous ces êtres qui sont sortis des camps de concentration, on ne parle pas de ces douleurs-là.
‘J’ai introduit une demande au niveau du ministère français de la Défense pour récupérer les images de Waldiodio classées secret défense. C’est notre mémoire. J’envisage d’aller plus loin, à savoir lancer un appel pour faire signer des pétitions pour les réclamer.’
Comment se fait-il que vous n’avez pas les images de Waldiodio prononçant son discours à la Place Protêt ?
Pour les images d’archives, j’ai été très surprise. Je savais qu’à l’époque la télévision sénégalaise était mise en place, normalement il avait des images d’archives. Mais quand je suis venue au Sénégal et que je suis partie au service d’archives, j’étais surprise de voir qu’il n’avait pas grand-chose. On m’a donné une enveloppe marquée Mamadou Dia, quand je l’ai ouverte, il y avait que la photo du gouvernement. Sur l’enveloppe Waldiodio, il avait une seule photo qu’on m’a prêtée. Il n’y a pas eu d’archives audiovisuelles sur Waldiodio.
Une autre surprise, est que le voyage de De Gaulle en 58, on l’a toujours vu sur les télévisions, j’ai acheté les images qui coûtent une fortune chez Gaumont, mais les images sont tronquées ; on ne voit jamais Waldiodio, on ne sait pas à qui De Gaulle s’adresse. J’ai vu le directeur de la télévision sénégalaise des années 60 M. Guiro, qui lui-même avait envoyé des caméras pour filmer le discours de Waldiodio à la Place Protêt, actuelle Place de l’Indépendance. Il a voulu m’indiquer comment en trouver, mais un jour, il m’a appelé pour me dire : ‘Ne te fatigues pas à chercher, c’est classé secret défense’.
Une loi en France dit qu’on peut lever le secret défense au bout de cinquante ans. J’ai introduit une demande au niveau du ministère français de la Défense pour récupérer ces images, c’est notre mémoire. Cela fait partie de notre patrimoine historique sénégalais. J’envisage d’aller plus loin, à savoir lancer un appel pour faire signer des pétitions pour réclamer ces images.
Qu’est-ce qui explique le choix de cette mosquée ou des œuvres d’art pour meubler le discours ?
Si j’ai mis ces images, c’est parce qu’il y avait un sens. Si Waldiodio n’est pas sorti fou de la prison spéciale de Kédougou, c’est grâce à la religion. Parce que, vous savez, quand on vous enferme douze ans tout seul, n’importe lequel des mortels deviendra un peu fou. Il est devenu mystique, il était avec son Coran et il priait tout le temps. C’est cela qui l’a sauvé. Je crois qu’il faut toujours trouver une ressource quand on est dans la peine. Pour les œuvres d’art, les masques, je suis artiste peintre, c’est une réponse adressée à ceux qui disent que l’Afrique n’a pas d’histoire.
Visiez-vous un but déterminé en inversant la chronologie de narration des faits dans le film ?
Ce sont des procédés de narration que l’on fait souvent au cinéma pour capter l’attention des gens. C’est vrai que le film au départ a été financé par le Centre national du cinéma en France, il fallait un élément choc pour que les gens continuent à le regarder. L’affaire du coup d’Etat, c’était étonnant. Les gens n’en croyaient pas à leurs oreilles. Parce que Senghor est une icône en France. Les Français, qui voient ça, se disent : ‘Mais ce n’est pas possible comment Senghor a pu faire cela’. Donc, on a commencé par là pour attirer l’attention des gens, pour qu’ils ne pensent pas à autre chose et qu’ils restent sur le film.
‘S’il y a une personne bien placée pour savoir ce qui s’est passé en 1962, c’est bien le président Wade. Car il était avocat des détenus pendant cette époque, il connaît bien le dossier par cœur, il sait très bien que l’équipe de Mamadou Dia n’a jamais fait de coup d’Etat et qu’elle mérite une réhabilitation’
Votre film, dites-vous, risquait de ne pas sortir si vous écorniez l’image de Senghor et là vous dites que vous vous êtes autocensurée…
Bien sûr. Sinon il ne serait pas sorti. Même aujourd’hui, c’est difficile. Je trouve qu’au Sénégal on a une liberté de paroles. Je vous donne un exemple à l’occasion des cinquante ans des indépendances, j’étais invitée à Bruxelles aux alentours du 4 avril par un festival qui faisait un Spécial sur les indépendances des pays africains et le film a été interdit. Le promoteur du festival avait deux films sur l’indépendance au programme, celui de Lumumba et de Waldiodio. On lui a dit s’il laisse passer, il n’aura pas sa subvention pour financer son festival. Pour se défendre, il a menacé d’en informer la presse. Pour les dirigeants belges, c’était surtout le film sur Lumumba qui les intéressaient. Et en interdisant les deux films, la France n’était pas visée et la Belgique non plus. Cela remue des choses. On dit souvent que la France-Afrique n’existe plus, mais elle fait toujours en surface ; ça existe toujours.
Senghor est mort, c’est plus facile. Mais elle continue à être enseignée dans les universités. Le discours de Sarkozy à Dakar a repris des écrits de Senghor pour balancer qu’on n’avait pas d’histoire, on ne se projetait pas dans l’avenir. Comment peut-on dire des choses pareilles. Quand j’ai fait ce film, j’ai eu envie de l’envoyer à Sarkozy et lui demander pourquoi il dit qu’on n’a pas d’histoire. Il faut fouiller pour connaître l’histoire de l’Afrique.
Le président Wade avait évoqué la révision du procès de votre père, qu’en est-il aujourd’hui?
Me Wade à l’occasion du 4 avril avait annoncé qu’il ordonnerait la révision du procès. Je fais confiance à Me Wade et j’attends. C’est une décision qu’il a prise de lui-même. Parce que s’il y a une personne bien placée pour savoir ce qui s’est passé en 1962, c’est bien le président Wade. Car il était avocat des détenus pendant cette époque, il connaît (bien) le dossier par cœur. Il sait très bien que l’équipe de Mamadou Dia n’a jamais fait de coup d’Etat. Il sait très bien que toute l’équipe mérite une réhabilitation. S’il a dit qu’il ordonnera la révision, c’est parce qu’il sait ce qu’il y a dans le dossier. Ce n’est pas parce que la famille Ndiaye l’a harcelé, pas du tout.
Pourquoi il n’y a pas eu d’avancée depuis l’annonce de cette révision ?
Rien n’a bougé. Je me dis pourquoi, je n’en sais rien. Je pense qu’il a eu des pressions, parce qu’il ne décide pas tout seul. Cela peut être des groupes pro-Senghor qui refusent de mettre la vérité à jour ou la France-Afrique. Je ne sais pas ce qui se passe.
Il est impératif pour vous de connaître la vérité ?
Ah oui. C’est très important. Si on réhabilite Waldiodio en lui donnant le nom de la Place de l’Indépendance, cela peut être pris pour le fait du prince. Tandis que quand vous avez une décision de justice, ce n’est plus le fait du prince, c’est inscrit dans le marbre. Et moi, c’est ce qui m’intéresse. La balle est dans le camp des autorités.