Une conférence internationale sur la Libye vient de se tenir à Paris pour, dit-on, «encourager le processus qui doit permettre l’organisation d’une élection présidentielle dans le pays, le 24 décembre, suivie, un mois plus tard, de Législatives. Deux scrutins clés, censés clore une décennie de chaos et de violences, après la chute, en 2011, du régime du Colonel Kadhafi». C’est que ce pays est en lambeaux depuis dix ans et cela ne relève pas du hasard.
En 2011 en effet, à la suite de l’annonce par le guide de la Jamahiriya, de créer une banque africaine pour financer le développement des pays du continent, les Occidentaux et les Américains, sentant leurs intérêts menacés, avaient créé les conditions d’une instabilité en Libye. La communauté internationale (France, Royaume-Uni et Etats-Unis notamment), par la résolution 1973, adoptée en mars 2011 par le Conseil de sécurité des Nations unies), justifie une intervention en Libye «pour protéger les populations civiles menacées par les violences, qui seraient commises par les troupes de Kadhafi» et qui permet notamment l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne en Libye.
Simplement extraordinaire ! Autoriser une intervention de forces extérieures, dans un pays souverain qui n’en a pas fait la demande, est sans doute un des aspects les plus pernicieux du Droit international, aujourd’hui consacré. Mais le «projet» était plus ténébreux et les réactions, après la mort du guide libyen, en disent long sur les véritables motivations et intentions des uns et des autres.
La secrétaire d’Etat américaine d’alors, paraphrasant la célèbre phrase de Jules César : «Veni, vidi, vici» («je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu»), va même jusqu’à s’esclaffer sur CBS News : «We came, we saw, he died» («Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort»).
Le Président des Etats-Unis déclare que la disparition de Kadhafi marque «la fin d‘un chapitre long et douloureux» pour les Libyens et appelle les autorités à bâtir un pays «démocratique» et «tolérant».
Pour le Président français, «la disparition de Mouammar Kadhafi est une étape majeure dans la lutte menée depuis plus de huit mois par le Peuple libyen, pour se libérer du régime dictatorial et violent, qui lui a été imposé pendant plus de quarante ans». C’était un discours revanchard, qui se réjouissait de la mort de celui qui, lors de sa visite officielle en France, avait donné à l’opinion française les raisons de douter de la parole de leur Président, comme le fait ressortir l’excellent documentaire de Antoine Vitkine sur les relations entre la France et la Libye.
Le Secrétaire général de l’Onu d’alors affirme qu’il s’agit d’«une transition historique pour la Libye», tout en estimant que «le chemin à parcourir pour la Libye et son Peuple va être difficile et rempli de défis».
Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, saluent «la fin d’une ère de despotisme».
L’Union africaine, divisée comme toujours sur les questions de souveraineté du continent, affirme, par son président, le Zimbabwéen Mugabe, que «Le Nigeria et l’Afrique du Sud ont trahi l’Afrique», parce que ces deux pays avaient pris parti pour le guide de la Jamahiriya libyenne.
Cela ressemblait à un chœur mondial, entonné par tout le monde, comme si la disparition de Kadhafi allait améliorer le monde.
Pourtant, la «technique» utilisée avec la Libye est utilisée, depuis toujours, par les pays occidentaux. Avec la Rhodésie du Sud, la Rhodésie du Nord (devenue la Zambie). Là, il s’agissait de garantir surtout l’intérêt de la population blanche, plus nombreuse dans le Sud. Cela s’est passé aussi au Nigeria, avec la guerre du Biafra. Le sommet de l’horreur sera le Rwanda, où on a laissé des frères, d’un même pays, s’entredéchirer et se donner la mort, à une échelle aussi incomparable qu’incompréhensible. Le même manège a été utilisé au Soudan, avec la bipartition du pays, en utilisant le levier de la religion. On a fait la même chose au Cameroun, en s’appuyant sur les séquelles de ses deux colonisateurs, anglais et français, en opposant le Nord et le Sud. On a tenté, sans succès, la chose au Sénégal aussi, avec la question de la Casamance. Au Mali, le Nord du pays n’est presque plus sous le contrôle de Bamako. Le dernier exemple est l’Ethiopie.
Mais qu’a fait l’Ethiopie pour mériter, après plusieurs années de lutte acharnée pour le bien-être de ses populations martyrisées, d’hommes et de femmes, surtout d’enfants naguère squelettiques, affamés, vivant dans un dénuement indescriptible, qu’ a donc fait l’Ethiopie pour qu’on arme les «rebelles du Tigre» qui sont sur le point de marcher sur Addis Abeba ? Et quand cela arrive, souvent comme une génération spontanée, on ne saisit la gravité de la situation que quand les puissances occidentales demandent à leurs ressortissants de quitter le pays.
La chose est là, on utilise le même scénario pour déstabiliser nos pays et personne ne dit rien, ni l’Onu, ni l’Ua, aucune récrimination, aucune réprobation. Rien. Et le monde continue de tourner, comme si de rien n’était. Si on peut le comprendre de la part de l’Onu et du Conseil de sécurité, qui fonctionnent encore, en ne reconnaissant pas la possibilité à 54 états du continent africain d’avoir le droit de dire non quand cela ne correspond pas à leurs intérêts, on ne comprend pas du tout le silence de l’Ua, dont une des parties brûle.
Le pire est que les Africains ne sont pas encore conscients que ceux qui les arment pour qu’ils s’opposent à leurs propres frères, qui soit dit en passant peuvent être de véritables tyrans, ceux qui les arment font du mal à leur pays, en détruisant ce qu’ils ont déjà construit, en supprimant des vies innocentes, et qu’ils ne seront pour ces gens, qui les ont armés, que de simples instruments de leurs ambitions. Pourquoi les Africains n’arrivent-ils pas à comprendre ce manège des Occidentaux ?
Mais là n’est pas le seul problème, quand un pays est déstabilisé sur le continent, ce sont les conséquences qui suivent qui sont préoccupantes. L’exemple de la Libye est illustratif à ce propos. Le chaos incroyable qu’on a «organisé» en Libye a créé des problèmes au Sahel : la déstabilisation du Mali, le désordre au Burkina Faso, l’insécurité au Niger et au Tchad, avec leur cortège de morts et de souffrances multiformes, pour des populations qui ne demandaient qu’à vivre paisiblement dans leur espace vital.
Pourtant l’Algérie, qui est partie prenante du conflit, est courtisée et même célébrée (on a, contre toute attente, décoré des vétérans de la guerre d’Algérie en pleine crise diplomatique entre ce pays et la France). Pourquoi ? Cela doit faire réfléchir.
Le plus insupportable, le plus indéfendable moralement est la manie qu’ont les pays occidentaux d’allumer des feux là où cela leur chante, les attiser et après jouer aux sapeurs-pompiers.
C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire cette fameuse Conférence de Paris. Pour la Libye, on a bien allumé la mèche, mais on n’est plus en mesure de circonscrire le brasier. La bataille des factions, dans un pays qui a cessé de connaître une quelconque autorité depuis la mort de Kadhafi, empêche tout analyste sérieux de faire des pronostics.
On voulait mettre la main sur les richesses de la Libye et l’intransigeance de son dirigeant empêchait toute ingérence. Et on a mis le feu au pays. Alors, de qui se moque-t-on ? Si on n’avait pas créé la situation en Libye, est-ce qu’on aurait besoin d’organiser cette Conférence à Paris pour prévenir un nouvel embrasement en Libye. Que d’hypocrisie !
Cette manie est utilisée avec les pays émergents du Sud et ce sont ceux dont les sous-sols sont riches en minerais, qui sont les plus visés. Quand ces Occidentaux ne sont pas éligibles pour décrocher des marchés généralement juteux, quand ils veulent exercer des pressions sur ces pays-là pour avoir des contrats léonins et qu’ils se voient opposer une fin de non-recevoir, alors ils cherchent des éléments de déstabilisation et de chantage intolérables.
Est-ce que les pays n’ont pas le droit de disposer d’eux-mêmes, de leurs richesses, de leurs biens librement ? Pourquoi ne peut-on pas reconnaître aux pays du Sud, singulièrement les pays africains, le droit de décider par eux-mêmes de leur destin ? Les Occidentaux s’entêtent à vouloir nous accompagner. Or, chaque fois qu’ils le font, nos pays régressent, nos populations s’enfoncent davantage dans la pauvreté. Après 10 (dix) ans d’ajustement structurel sans résultats tangibles, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont reconnu avoir fait une erreur d’appréciation. Alors, toutes les privations et autres souffrances de toutes nos populations, consécutives à des mesures inhumaines, comme la dévaluation par exemple, seront considérées comme inutiles et vaines.
S’il est une chose claire aujourd’hui, c’est que le néocolonialisme a ses jours comptés et si la rupture, puisqu’il y aura une rupture, ne se fait pas avec intelligence, elle risque d’être brutale…
Les derniers évènements survenus en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso laissent voir très clairement qu’une frange de la population africaine, la jeunesse en l’occurrence, n’est plus prête à tout accepter de la part de ceux qui traitent avec l’Afrique, particulièrement les anciens colonisateurs.
Il reste cependant un travail important à faire : amener nos dirigeants à prendre conscience du vent nouveau qui souffle sur notre continent et se hisser à la hauteur de leurs responsabilités.
Adramé DIAKHATE
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