En avril 2015, exaspéré par les grèves interminables des enseignants, le président Macky Sall avait déclaré que «s’il doit y avoir une année blanche, il y aura une année blanche». Le mot était regrettable car nul ne saurait accepter que les situations vécues en 1988 et 1994 où, suite à des perturbations du secteur de l’éducation, des générations d’élèves et d’étudiants avaient été lourdement pénalisées. Les situations d’année blanche de 1988 et d’année invalidée en 1994 avaient des soubassements politiques et le régime du président Abdou Diouf avait été incapable d’imposer une solution de sortie de crise. La fin de l’année scolaire en cours est très périlleuse, les syndicats d’anciens enseignants mettent la pression sur le gouvernement qui déclare avoir consenti à tous les sacrifices.
Le gouvernement estime «ne pas pouvoir mettre l’ensemble du budget de l’Etat pour satisfaire une catégorie sociale inférieure en effectif à 1% de la population». Déjà, la loi de finances rectificative, qui passe ces prochains jours devant l’Assemblée nationale, prévoit des dépenses nouvelles de plus de 28 milliards de francs en faveur des enseignants dont 10 milliards de paiement de divers rappels.
Le gouvernement semble pouvoir compter sur l’impopularité de la grève des enseignants. Les parents d’élèves estiment que l’avenir de leurs enfants risque d’être mis en péril par des comportements qui friseraient un certain «jusqu’au-boutisme». Des autorités religieuses et morales ont même enjoint les syndicats enseignants de cesser les grèves et de reprendre les cours. Aussi, a-t-on entendu des syndicats d’enseignants justifier leurs grèves par des prises de positions politiques. Il s’y ajoute que les enseignants délégitiment leurs grèves en allant effectuer des vacations dans les écoles privées durant le temps où ils font des grèves interminables dans les écoles publiques pour lesquelles ils sont employés et payés par le budget de l’Etat. Des regroupements d’enseignants du public ouvrent des écoles privées, parallèlement à leurs activités de fonctionnaires.
Depuis toujours, les gouvernements du Sénégal se sont montrés d’une tolérance laxiste. Dans aucun pays au monde, des grévistes ne reçoivent l’intégralité de leurs salaires. La règle est que les syndicats utilisent les cotisations de leurs membres pour rembourser les manques à gagner pour faits de grève. Cet anachronisme, propre au Sénégal, encourage les grévistes à persister dans leur mouvement d’humeur, car assurés de recevoir de l’Etat la totalité de leurs émoluments et donc peuvent mettre à profit leur temps de grève pour glaner des revenus complémentaires et exceptionnels par des vacations.
Le gouvernement a l’obligation de régler une telle situation. Et le chef de l’Etat Macky Sall ne se met plus à envisager l’idée d’une année blanche ou d’une année invalidée. On peut donc comprendre le recours à la procédure de réquisition pour sauver l’année scolaire. En refusant d’obtempérer aux réquisitions du gouvernement, les syndicats d’enseignants auront allégrement violé la loi et exposé leurs adhérents aux rigueurs de la loi. Le gouvernement a donné le ton en brandissant la menace de la radiation et l’application de poursuites pénales contre les récalcitrants. Ce sont des possibilités qu’offrent les lois en vigueur. Les mêmes lois permettent aux grévistes d’attaquer devant les juridictions administratives de telles décisions de réquisitions mais les grévistes ont l’obligation de satisfaire préalablement auxdites réquisitions. L’actualité en France montre, qu’en dépit de leur radicalisation contre le gouvernement de Manuel Valls et la «loi travail» ou «loi El Khomri», les syndicats français sont bien obligés de satisfaire aux réquisitions décidées par les préfets. Les autorités administratives ont la latitude de décider de la réquisition de personnels grévistes lorsque «l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige». Et ce, même dans une entreprise privée ! En d’autres termes, «si l’autorité publique constate que les besoins essentiels de la population ne sont pas assurés, la puissance publique tranche».L’autorité publique qui recourt à la réquisition «s’applique à répondre aux besoins de la population, et remplit son rôle d’assurer la continuité du service public». Le refus de satisfaire à une pareille réquisition est assez grave car elle est assimilable «à une désertion militaire» et donc est susceptible de lourdes sanctions pénales et administratives.
Il n’en demeure pas moins qu’il y a au Sénégal une urgente nécessité de mettre l’intérêt général au-dessus des intérêts corporatistes et surtout éviter aux générations futures de payer des pots qu’elles n’auront pas cassés. Admettons même que les grévistes puissent avoir raison ; mais ne conviendrait-il pas de s’inscrire dans une logique de sacrifice et de volontarisme en contribuant à sauver l’année scolaire ? Il y a lieu d’appeler à ne pas détruire l’éducation publique, qui se révèle être la structure la plus intégratrice et inclusive des systèmes républicains. L’école publique est l’entité par laquelle une égalité des chances est accordée aux individus en leur permettant de se définir une voie. La ruine de l’école publique signifiera l’annihilation du mécanisme d’ascension sociale et de promotion socio-économique par le mérite. Toutes les élites politique, administrative et économique du Sénégal, y compris donc ces enseignants grévistes, sont produites par l’école publique.
L’Etat et les enseignants seront responsables devant l’histoire d’avoir empêché les citoyens de s’épanouir et de prospérer aux plans intellectuel, économique et social si la crise de l’éducation venait à perdurer.
Dans les années 1970, Abdoulaye Wade parlait de «L’obligation d’éducation» dans la revue du club «Nation et Développement» du Sénégal, évoquant les responsabilités partagées dans l’éducation. Il affirmait qu’il est une erreur de croire que la tâche de l’éducation incombe uniquement à l’Etat et à lui seul. Le temps est au dépassement pour le bien commun, par une entente durable et un règlement de tous les différends. Il demeure que ce n’est que par une éducation publique rigoureuse, accessible à tous et promotrice d’inclusion et garante d’opportunités que notre pays pourra répondre de façon efficiente à nos impératifs présents et futurs. Je me souviens d’une inscription dans ma salle de classe de l’école primaire qui disait : «L’ignorance n’est pas une circonstance atténuante, l’instruction est à la portée de tout le monde». En son temps, nous ignorions certainement la portée d’une telle affirmation, mais que notre société sera achevée si nous pouvions la répéter partout dans le Sénégal ! «Pour instruire le peuple, trois choses sont nécessaires : des écoles, des écoles et encore des écoles», disait Léon Tolstoï. Encore faudrait-il qu’il y ait des enseignants pour dispenser des cours… Un Sénégal d’égalité des chances et porté vers le progrès, ne sera possible qu’avec un système éducatif dont la composante essentielle qu’est l’école publique sera inclusive et de qualité. Aux protagonistes de la crise de prendre leur responsabilité patriotique.
Le Quotidien
Pas besoin de philosopher devant une chose limpide. La philosophie (qui a tendance à disparaître de nos jours, rappelons le) était née dans une époque des ténèbres où des savants réfléchissaient pour chercher la lumière et éloigner l’obscurité. Aujourd’hui, au 21e siècle, qualifié siècle des lumières et ère de l’information, plus besoin de philosophie. Mais, les hypocrites africains, allergiques à la lumière, font recours à la philosophie pour des objectifs inverses: quitter la lumière pour rouler les gens dans la farine de l’obscurité et des ténèbres. Ne vous étonnez donc pas que les africains soient toujours derniers au monde. Quand tout le monde était dans l’obscurité, ils y étaient aussi, quand la lumière a été retrouvée, ils trouvent les moyens de retourner ou demeurer dans l’obscurité.