Quitter un pays pauvre pour un autre n’est généralement pas dans l’ordre naturel des choses, et si cela devait être le cas, qu’aurait alors à offrir l’Afrique, en dehors de sa légendaire hospitalité?
Si, par miracle, il devait y avoir un «retour massif» vers la «mère patrie», comment se ferait-il? Le Sénégal n’a pas d’ambassade à Port-au-Prince. Simple détail bureaucratique pour Wade, 83 ans. «Papy», comme on le surnomme, défendra son idée cette semaine au sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, en Éthiopie.
Aux «frères haïtiens» voulant retourner «aux sources», il s’engage à offrir les meilleures terres du Sénégal, un pays du Sahel. «Ils ont droit à l’Afrique, comme moi j’ai droit à l’Afrique… Israël a été créé comme ça!» Son scénario ressemble plutôt à celui du Liberia, fondé au XIXe siècle par des esclaves américains affranchis.
Sur les ondes de RFI (Radio-France Internationale), le dramaturge haïtien Éric Sauray a aussitôt déclaré : «L’Afrique est une terre d’imagination pour les Haïtiens, pas de recours.» Il a raison. Une trentaine d’Haïtiens seulement auraient accepté de s’installer au Sénégal, qui a donné 1 M$ d’aide d’urgence à l’ancienne «Perle des Antilles». C’est peu, mais la grande majorité de ses 12 millions d’habitants se débattent avec moins de deux dollars par jour. L’Afrique du Sud, où vit l’ex-président Jean-Bertrand Aristide depuis son expulsion de Port-au-Prince en 2004, a envoyé un avion rempli de médicaments et une quarantaine de médecins. Le Nigeria, le pays le plus peuplé du continent, une centaine de policiers. Le petit Rwanda, 100 000 $.
Au-delà de la généreuse, mais farfelue idée d’Abdoulaye Wade, le continent le plus pauvre de la planète ne veut pas laisser aux pays riches le monopole de la solidarité avec Haïti. À l’heure du 50e anniversaire des indépendances africaines, c’est, après tout, la première république noire au monde.