Rapports entre émigrés et leurs amis restés au pays: des relations pas toujours faciles à entretenir par Bosse Ndoye

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« Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme, est un sentiment qui manque à l’amour, la certitude », disait Honoré de Balzac. Il arrive cependant  que cette certitude soit ébranlée tant par la distance que par le temps. En tant que facteurs de séparation, d’éloignement ou de rapprochement, le temps et la distance – à l’instar d’un thermomètre – peuvent soumettre les vraies amitiés à rude épreuve en mesurant l’évolution de leur température dans la durée et dans l’espace. Ils peuvent ainsi relâcher certains liens très solides, les tendre, les éprouver au point de les briser. En ce sens, l’émigration semble être une mise à l’épreuve des relations amicales qu’entretiennent certaines personnes qui ont quitté leur  pays et leurs amis qui y sont restés.

D’aucuns diront que si le fait d’émigrer peut constituer une menace pour des relations amicales qu’entretiennent certaines personnes qui ont quitté leur pays avec leurs amis qui y sont restés, c’est seulement parce que leurs relations étaient bancales, voire malades dès le départ. Pourtant, bien des personnes, une fois loin de leur pays natal, comme par amnésie volontaire, font table rase de leurs relations et vie antérieures. Peut-être ont-elles quelque compte secret à régler avec leur passé; ce qui rend souvent leur comportement incompréhensible et inexplicable. Ayant parfois fait la connaissance de nouveaux amis, et/ou se trouvant quelquefois dans de  meilleures conditions financière ou/et professionnelle,  elles font comme si les relations passées n’existaient plus ou comme si elles étaient devenues tout à coup encombrantes… Généralement, pour ces gens-là, leurs relations amicales antérieures n’étaient que circonstancielles. C’étaient des rapports plus proches de la camaraderie que de l’amitié en tant que telle. C’est souvent parce qu’ils habitaient la même ville, le même quartier, fréquentaient la même école, faisaient les mêmes activités qu’ils s’étaient noué des liens avec les personnes de leur entourage. C’est pourquoi il ne leur sera pas difficile de les rompre, une fois qu’ils ont quitté leur pays natal. D’autres émigrés, parfois par paresse, procrastination, etc., négligent la correspondance avec leurs amis se trouvant dans leur pays d’origine, malgré tous les efforts que font ceux-ci pour essayer de toujours garder le contact et de maintenir la communication. Cette situation peut provoquer à la longue chez ces derniers une certaine frustration pouvant créer des malentendus capables de nuire à leurs relations. D’autres émigrés encore, sous prétexte qu’ils ne disposent pas d’assez de temps, négligent d’être en contact avec leurs amis dans leur pays natal. Or, quelque occupée que soit une personne, fût-elle présidente de la première puissance mondiale, elle dispose ne-serait-ce que de cinq minutes dans une journée pour téléphoner, écrire un email, ou envoyer un texto. Geste qui devrait lui faire d’autant plus plaisir que les gens à qui ces messages sont destinés sont souvent des êtres qui lui sont chers. En ces temps modernes, loin de l’époque où la communication entre les émigrés et leurs parents dans leur pays d’origine était exclusivement épistolaire, il serait anachronique de parler de distance, de temps un peu moins, tant les moyens et les outils de communication tels que Facebook, Viber, Skype…sont si nombreux et accessibles qu’en peu de temps, à presque n’importe quel endroit sur terre, toute personne mue, tant soit peu, par une bonne volonté peut transmettre et recevoir un message téléphonique ou électronique, bien qu’il soit compréhensible que certains, parfois pris dans les engrenages des difficultés de la vie quotidienne, disposent de moins de temps ou/et de moyens et d’opportunités que d’autres…L’absence de communication, de très longs silences, la distance et beaucoup d’incompréhensions sont souvent autant de causes aussi fortes qu’un puissant maelström capable de faire tanguer un bateau de l’amitié que l’on croit parfois insubmersible.

Il est toutefois important de signaler que les émigrés semblent souvent être plus sévèrement jugés dans leurs relations amicales qu’ils entretiennent avec leurs proches dans leur pays d’origine que ces derniers. Leurs faits et gestes peuvent être épiés, commentés, interprétés, parfois à tort. Alors que tel pouvait ne pas être le cas lorsqu’ils vivaient parmi les leurs. Le fait de vivre  à l’étranger semble leur conférer un nouveau statut dans l’opinion de beaucoup de personnes dans leur pays natal. C’est pourquoi ces dernières peuvent leur prêter souvent de nouvelles habitudes, de nouveaux comportements, voire une nouvelle personnalité. Ce qui rend les rapports souvent difficiles et plus complexes, bien que ces personnes-là n’aient pas toujours tort. Les relations peuvent être d’autant plus complexes qu’il sera souvent difficile de discerner la part de jalousie, de fierté, de susceptibilité et d’incompréhension dans les réactions des uns et des autres. C’est pourquoi les jugements ne sont pas toujours objectifs.

En téléphonant ou en écrivant beaucoup plus à certains de ses amis qu’à d’autres,  plus souvent à certains membres de sa famille qu’à d’autres, l’émigré peut créer des malentendus qui peuvent aller jusqu’à créer des embrouilles entre lui et certaines personnes dans son cercle d’amis ou/et entre lui et certains membres de sa famille restés au pays… Pourtant, tout le monde sait que dans toute famille ou dans n’importe quel cercle d’amis, il y a toujours des gens dont on se sent plus proche et envers qui on éprouve plus d’affinités que d’autres. Il faut être un fin équilibriste pour que cela ne se sache pas.  La manière de communiquer de l’émigré  avec ses proches restés dans son pays est une question d’autant plus délicate qu’elle peut être souvent sujette à interprétation, d’où la très grande prudence qu’elle requiert.

Il faut signaler aussi que nombre de gens au pays  d’origine des émigrés pensent que ces derniers doivent appeler souvent, et beaucoup plus qu’eux-mêmes. Ils imaginent souvent, parfois à tort,  que ceux qui sont à l’étranger, surtout dans les pays réputés riches, disposent de plus de moyens financiers et d’opportunités pour téléphoner. Par conséquent, ils devraient le faire le plus fréquemment possible. Or, si on faisait certaines comparaisons entre le coût d’un appel téléphonique venant des pays de résidence de certains immigrés vers leur pays natal et vice-versa, on verrait bien qu’il est parfois moins cher d’appeler à partir de l’Afrique vers certains pays même dits développés. La communication en ligne peut ne pas être facile, à cause parfois du décalage horaire et/ou de disponibilité et de l’accessibilité de l’Internet dans certains secteurs en Afrique par exemple. La demande répétée de services ou d’argent peut à la longue créer des malaises, voire des embrouilles nuisibles à ces relations-là.

Comme l’amour, l’amitié est un sentiment qui naît, vit, grandit et meurt si on n’en prend pas soin, quoique certains disent qu’une amitié qui meurt n’a jamais vécu. Cependant, de peur que sa flamme ne s’éteigne, il est nécessaire de la raviver et de l’entretenir réciproquement, aussi souvent que possible, même si ce n’est pas quotidiennement. Car, comme disait Shakespeare : « Qui néglige les marques de l’amitié, finit par en perdre le sentiment. »   Une amitié sincère doit être à toute épreuve, à telle enseigne que distance et le temps sont incapables de la compromettre. La proximité des demeures n’entraîne pas forcément celle des sentiments. Les distances les plus longues semblent être celles qui séparent deux cœurs, mais elles ne sont pas forcément géographiques. Les facilités de communication créées par les nouvelles technologies sont de bons moyens pour entretenir les relations à distance.

Bosse Ndoye

[email protected]

Montréal

Auteur de : L’énigmatique clé sur l’immigration et de : Une amitié, deux trajectoires.

 

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