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Rapports entre immigrés et leurs proches dans leur pays d’origine: une « monétisation » croissante des relations Par Bosse Ndoye

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Dans un monde moderne où le respect, la reconnaissance sociale et la personnalité des gens sont souvent mesurés à l’aune de leur réussite financière, et ce, parfois au détriment des valeurs morales et humaines, les relations interpersonnelles sont de plus en plus « monétisées ». En d’autres termes, l’argent prend de plus en plus l’ascendant sur les valeurs humaines et les sentiments dans les rapports sociaux de tous les jours. Les relations qu’entretiennent nombre d’immigrés avec leurs proches restés dans leur pays d’origine n’échappent pas à cette « monétisation » croissante des rapports humains qui tend à devenir une règle universalisée. Ce qui fait qu’il ne serait pas étonnant pour un immigré de voir-s’il faisait les statistiques de tous les messages téléphoniques et électroniques qu’il a reçus de ses proches (restés dans son pays d’origine) depuis qu’il vit à l’étranger-que beaucoup d’entre eux gravitent, plus ou moins, directement ou indirectement, autour de l’argent.
D’aucuns vous diront que c’est très normal, et c’est parce que les temps sont durs dans leur pays qu’ils se tournent vers leurs parents et amis immigrés pour solliciter de l’aide. Car ceux-ci ont parfois, non seulement, la chance d’avoir une meilleure situation financière dans leur pays de résidence, mais ils ont souvent aussi l’avantage du taux de change plus favorable, avec des monnaies fortes pour nombre d’entre eux vivant dans les pays occidentaux. Mais, pour les immigrés ce n’est pas encourageant; c’est même souvent frustrant de ne recevoir d’appels téléphoniques ou des messages électroniques que lorsqu’on a financièrement besoin d’eux. C’est pourquoi beaucoup d’entre eux sont poussés à remettre en question la sincérité de certaines relations qu’ils entretiennent avec certains de leurs parents et amis restés dans leur pays d’origine. Ces remises en question sont d’autant plus compréhensibles que les immigrés sont souvent écartelés entre les difficultés qu’ils rencontrent dans leur lieu de résidence et les inquiétudes qu’ils éprouvent envers les leurs, vivant généralement loin d’eux.
Comme toute existence humaine, la vie de l’immigré est faite de hauts et de bas. Elle est aussi marquée par des moments de réussite et des moments d’échec, des joies et des peines …Et il y a des jours où rien ne semble marcher, où il est confronté à beaucoup de problèmes: chômage, maladie, déception amoureuse, doutes, discrimination, racisme, problèmes conjugaux et/ou familiaux … Qu’est-ce qui est plus encourageant que de recevoir, pendant ces périodes-là, des mots de soutien…? Surtout quand ceux-ci viennent des proches parents ou amis, car tout être humain sensible a besoin de réconfort et d’encouragement pour faire face et survivre à certaines épreuves ou pour se remonter le moral qu’il a parfois au plus bas. Et, il est de ces problèmes si pesants que beaucoup de gens ont besoin de s’ouvrir à leurs proches pour leur demander des conseils ou pour se soulager la conscience, car comme disait Mariama Bâ : « La confidence noie la douleur. » Pourtant pendant certains moments difficiles, il arrive à un immigré de téléphoner à ses amis ou parents pour leur expliquer un problème, une situation, mais certains parmi ceux-ci semblent parfois ne pas s’intéresser à ce qu’il leur dit ou feignent quelquefois d’ignorer ce qu’il leur explique. C’est à peine qu’ils font une prière laconique dont de la sincérité est sujette à caution. Au contraire, ils s’empressent quelquefois de lui demander un service pour de simples mondanités ou pour des choses dont beaucoup d’immigrés se passent pour pouvoir envoyer aux leurs de l’argent ou autre chose à la fin du mois. Après avoir raccroché le téléphone, à la suite de ces genres d’appel, un nombre incalculable de questions et beaucoup de doutes peuvent traverser l’esprit de cet immigré.
Pour beaucoup de gens au pays, l’immigré est un gisement argentifère ou une mine d’or qu’il faut exploiter, plutôt qu’un frère ou une sœur qui est loin de l’ambiance et de la chaleur des relations familiales; un proche parent ou ami qui a parfois troqué le soleil permanent de son pays natal avec les hivers longs et rigoureux de son pays de résidence, pour ceux qui vivent dans certaines contrées où il fait très froid presque la moitié de l’année. Il peut être aussi un parent dont l’amour paternel ou maternel qu’il devrait prodiguer à ses enfants laissés à son pays d’origine et l’amour filial qu’il devrait recevoir en retour manquent; un mari ou une femme, à qui l’amour de sa ou de son partenaire manque, parce qu’ils n’ont pas toujours la chance de vivre avec dans le même pays. En somme, dans beaucoup de relations que les immigrés entretiennent avec leurs parents et amis restés dans leur pays natal, les intérêts prévalent de plus en plus sur les sentiments. Les plus malhonnêtes ou les plus impitoyables parmi ces parents et/ou amis, comme pour mettre à l’épreuve sensibilité ou la loyauté de leurs parents ou amis immigrés, peuvent fomenter des combines fallacieuses pour leur soutirer de l’argent tout en faisant fi de leur situation financière et sociale.
Souvent après un transfert d’argent effectué par un immigré, c’est celui-ci qui doit appeler pour s’assurer que la somme envoyée a été bel et bien reçue. C’est rare, pour ne pas inexistant, que la personne à qui cet argent est destiné lui téléphone en retour pour dire merci. La plupart des retours d’appel que reçoivent les immigrés, après un transfert de fonds, si tant est qu’ils en reçoivent, c’est généralement lorsqu’il y a un problème sur le code. En outre, peu de gens parmi les personnes à qui les transferts d’argent sont destinés trouvent les sommes qui leur sont envoyées suffisantes. Sans doute ignorent-ils l’énergie et les efforts qu’il a fallu déployer pour envoyer ces montants, fussent-ils modiques; ou peut-être croient-ils que les immigrés vivent dans des pays de Cocagne où l’argent se ramasse à la pelle. Beaucoup d’immigrés ont l’impression de se battre bec et ongles pour subvenir aux besoins de gens après qui il faut courir, à qui il faut téléphoner incessamment, quand il s’agit de leur demander un service pour régler certaines affaires, quelque importantes soient-elles. Ne disposant pas du don d’ubiquité, ils ont besoin de leurs parents ou amis pour les aider à régler certains projets ou dossiers dans leur pays d’origine.
Certains expatriés sont si traumatisés qu’ils hésitent à décrocher leur téléphone quand ils voient que c’est un appel provenant de leur pays d’origine, surtout à l’approche de certains événements qui sont l’occasion de faire beaucoup de dépenses. D’autres n’arrêtent pas de changer de numéro, tant ils se font harceler, et ils ont peur de faire des promesses qu’ils ne pourront pas tenir. Il arrive que certains immigrés souhaitant aller en vacances vers leur pays d’origine soient demandés d’envoyer l’argent de leur billet plutôt que de venir, parce que leur famille en a besoin pour une quelconque raison. Ce qui est, dans certains cas, d’un cynisme et d’un égoïsme inimaginables. Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est la sensation de bonheur qu’un immigré éprouve en se retrouvant parmi les siens, le courage qu’il lui redonne et la tranquillité d’esprit qu’il lui procure, ne-serait-ce que le temps de s’éloigner de l’univers pressant, oppressant et souvent stressant de son pays de résidence. Surtout si cet immigré vit en Occident qui semble être un lieu de pression permanente.
Comble de malheur, beaucoup d’immigrés qui se sont sacrifiés pour leur famille et amis, ont eu la déception de leur vie, une fois rentrés définitivement chez eux. N’ayant pas pu économiser assez d’argent pour se couler une retraite douce et tranquille, dans une belle maison, ils ont parfois été la risée de leur famille. À force de subvenir aux besoins des autres, ils avaient juste oublié leur propre personne. A ces moments-là, ils se sont rendu compte de la méchanceté et de l’ingratitude de beaucoup de gens, à travers des propos acrimonieux venant parfois de personnes qu’ils ont aidées, ne fût-ce qu’une fois pendant la période de vaches grasses.
Je ne me fais pas l’avocat des immigrés, mais cette remarque nombre d’entre eux l’ont faite. Est-ce à dire que qu’il faut cesser d’aider ses amis et parents se trouvant dans son pays d’origine? Non évidemment, parce qu’en partie, c’est grâce à eux ou bien pour eux que beaucoup de gens ont quitté leur pays, parfois, dans des conditions périlleuses pour pouvoir les aider. Il est toutefois utile de rappeler que c’est bien de sentir que l’argent n’est pas le facteur le plus important dans les relations humaines en général, a fortiori dans celles qui unissent les immigrés à leurs parents et amis restés au pays natal, mais les sentiments humains, les liens de parenté et d’amitié. Comme le disait Tenzin Gyatso: « la meilleure des relations est celle dans laquelle l’amour que chacun porte à l’autre dépasse le besoin que vous avez de l’autre. » Nos sociétés sont en train de perdre beaucoup de bonnes valeurs qui ont jadis contribué à la consolidation et à la « bonne santé » des relations familiales et amicales. Cette question, pour le moins tabou, mérite d’être abordée, car par hypocrisie pudiquement couverte sous le manteau de la compromission, beaucoup d’immigrés et leurs proches restés au pays, sous prétexte de ne pas heurter certaines sensibilités, refusent de se dire la vérité en face, ce qui peut encore plus nuire à leurs relations.
Bosse Ndoye

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