La question du chômage et de l’inactivité des jeunes est devenue l’un des problèmes majeurs de notre pays. La plupart des gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis plus de quatre décennies ont essayé de la résoudre sans y parvenir. Plusieurs réformes et de multiples projets ont été entrepris ou envisagés ces dernières années, des progrès parfois enregistrés. Mais le mal du chômage et le désœuvrement de l’immense majorité des jeunes de moins de 35 ans avancent plus vite que les efforts entrepris pour les enrayer.
Notre pays fait face à une situation jamais connue dans le passé avec des incidences sociologiques, psychologiques et économiques qui posent le débat en des termes nouveaux. Il résulte de tout cela que la problématique de l’emploi des jeunes ne peut plus être abordée de façon classique et mécanique comme par le passé, qu’elle se heurte à des obstacles d’un genre nouveau et qu’elle exige des efforts d’imagination et une volonté politique assumée.
Les réponses de type mécanique et instrumental qui sont actuellement envisagées sous estiment la situation de détresse et l’hypothèque que la jeunesse fait peser sur notre société. En ces moments où l’urgence de se pencher sur ce grand corps malade de notre pays apparait de plus en plus clairement, la prise de conscience collective est de plus en plus lente, les réponses des pouvoirs publics de plus en plus inopérantes à la racine et la confiance des jeunes en leur pays de plus en plus en déperdition. Voilà donc ce à quoi nous ont mené ces deux dernières décennies : une politique de naissance non contrôlée et non accompagnée qui a détruit les liens sociaux avec comme corollaire des structures d’encadrement et d’accompagnement (famille, quartier, commune) en voie d’affaiblissement.
De ce fait, la crise de l’emploi des jeunes conjugue aujourd’hui ses effets avec deux autres crises
– la crise du lien social due à l’instabilité de la famille qui met les jeunes sous pression, au mode d’urbanisation, au niveau d’étude de plus en plus élevé dans cette couche de la population. Les amortisseurs sociaux qui devaient servir de régulateur sont en dépression et inopérants face au désœuvrement de la jeunesse qui constitue aujourd’hui un facteur déterminant de dislocation du lien familial, social et national.
– La crise du lien national liée à un malaise profond et à l’immobilisme des pouvoirs publics (c’est ainsi que la jeunesse le perçoit). Dans la situation actuelle où la distance entre les pouvoirs publics et la jeunesse est de plus en plus prégnante, cette crise aboutit à un mal vivre et à un mal être qui ouvrent la voie à un besoin vital de changement et d’aventure. Bien entendu ces handicaps sont selon le cas aggravés par une pyramide des âges bosselée avec des jeunes de moins de 35 ans qui forment à eux seuls plus de 73% de la population entière. Plus des 4/5 d’entre eux sont sans activités et dans la plupart du cas dans l’oisiveté et le désœuvrement total. On retrouve maintenant dans cette catégorie de la population et en nombre croissant de jeunes diplômés en attente d’un travail décent. La trajectoire de rajeunissement accéléré de notre pyramide démographique est impressionnante de ce point de vue.
Tout compte fait, la superposition de ces trois crises qui s’entretiennent les unes les autres est inédite. Non seulement elle illustre de manière très nette l’une des principales métamorphoses qu’a connu notre pays ces 20 dernières années mais elle interpelle également les pouvoirs publics sur l’urgence à apporter des solutions au désœuvrement de la jeunesse sous peine de se laisser dépasser, déborder et submerger par une bombe sociale dont les déflagrations pourraient accélérer la liquidation de notre héritage national.
Effondrement des repères, crise de l’exemplarité, mutations de l’information et influence des réseaux sociaux, la cohésion de la société sénégalaise n’a jamais été aussi mise à mal par cet autre processus, moins visible à l’œil nu mais néanmoins lourd de conséquences : Il s’agit d’un détachement de cette frange supérieure de la société sénégalaise que constitue la jeunesse sénégalaise. Ce processus est extrêmement périlleux.
En effet, si dans la déception, il y a encore de la place pour le dialogue, dans le détachement, c’est la relation même qui, lentement, se décompose et génère une volonté de rupture, laquelle peut se concrétiser par une révolte ou de multiples formes de repli, parmi les plus radicales. Le divorce est alors consommé et la défiance définitive. Or, il faut tout faire pour éviter cette défiance ruineuse pour la société tant elle altère son équilibre et sa stabilité. Il y a donc une extrême urgence à mettre notre pays à l’abri de ces secousses qui rendraient difficile l’immobilisation de potentielles révoltes futures. Tout comme le temps nous presse de chercher de nouvelles méthodes d’action pour redonner du souffle et de l’espoir à la jeunesse.