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« Réforme des institutions et révolution républicaine : La constitution et l’Assemblée constituante », Par Mamadou Diop Decroix )

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I – Introduction : D’abord s’écouter
Les institutions doivent être au service de la société qu’elles sont sensées réguler. Toute société se doit de faire, à des moments cruciaux de son existence, des choix courageux, pensés de façon endogène et discutés entre ses composantes, autour des principes et règles paradigmatiques susceptibles d’assurer son équilibre, sa stabilité et sa durabilité. Pour asseoir ce corpus, nous devons prendre le temps de nous écouter ; le temps d’écouter nos récits respectifs, en particulier les récits de ceux d’entre nous qui sont défavorisés et vulnérables, (femmes et jeunes, minorités). C’est cela qui devrait fonder la réforme des institutions.
Nous savons cependant que l’exercice constitutionnel auquel le Président Sall convie ses compatriotes ne sera pas de nature à adresser les réformes majeures dont le pays a un urgent besoin. Comme je l’ai toujours craint, en 2016, nous allons devoir travailler dans la précipitation, à la manière d’une marche forcée, qui fera le lit de la confusion. Cette confusion qui, à son tour, ouvrira les vannes aux pêcheurs en eaux troubles et aux manœuvriers malveillants de tout acabit. Sans compter qu’au bout du compte, peu de nouveautés radicales en sortiront. Et l’on se mettra alors à dire : « tout ça pour ça ».
C’est pourquoi je reste convaincu que les réformes fondamentales arrivées à maturité dans notre pays ne pourront être conduites que par les acteurs majeurs de la prochaine alternance quel que soit le moment où elle adviendra.
C’est aussi pourquoi j’estime que ces acteurs-là, qu’ils soient ou non en politique, de quelque bord qu’ils puissent appartenir devraient, avant et après la prochaine présidentielle, entamer cette aventure grandiose annonciatrice d’un avenir radieux pour le Sénégal et pour l’Afrique car l’Histoire a conféré à notre pays un rôle de précurseur sur le champ politique continental. Aujourd’hui toute l’Afrique a besoin davantage d’institutions fortes que d’hommes forts pour paraphraser Obama. A propos de ces réformes majeures incontournables, voici quelques propositions formulées depuis novembre 2013 dans le cadre d’une présentation de la « Vision pour un nouveau programme alternatif ‘Gëm sunu bopp’. Les propositions issues des Assises nationales comme celles que d’autres forces politiques, sociales, économiques… pourraient détenir par devers elles montrent à suffisance que nous ne partirons pas de rien et que le résultat auquel nous parviendrions pourrait être d’une grande qualité sans perte de temps.
II – Repenser l’Etat dans la constitution.
Au Sénégal, le processus de subversion de l’Etat colonial dans sa dimension administrative n’a pas été mené jusqu’à son terme pour dire vrai. C’est ainsi que le type de rapports qu’entretenait l’administration coloniale avec les populations connaît encore de fortes survivances, sources de malentendus fréquents entre l’administration post indépendance et les populations. Nous sommes-nous posés la question de savoir pourquoi, lorsqu’il s’agit d’un recensement, d’une enquête sur les ménages ou encore de simples sondages, les réponses sont le plus souvent biaisées ? Pourquoi les situations exactes ne sont pas dévoilées ? Pourquoi cette stratégie permanente de dissimulation ? C’est simplement parce que l’Etat et ses démembrements sont perçus par les populations comme des instruments qui ne sont pas les leurs mais représentent plutôt les intérêts de « buur* » et sont les instruments de « buur ».
Aujourd’hui encore, on parle de commandement territorial pour parler des gouverneurs, des préfets et sous-préfets. Le Président de la République par qui devraient passer les ruptures nécessaires se désole de l’attitude de ses compatriotes en indiquant que « Les Sénégalais n’aiment pas être commandés » ; comme si la mission de l’Administration, celle de l’Etat, était de commander les citoyens. Cette méprise épistémologique originelle qui fonctionne dans la tête des élites politiques, légitime et prolonge les pratiques de l’Administration coloniale : « L’Administration commande et les populations obéissent ». Ainsi donc tout le système est gangréné dès le départ. C’est donc dans nos têtes que nous devons d’abord résoudre la vocation de l’Etat. Et, faut-il insister là-dessus, aussi longtemps que cette rupture cognitive ne sera pas opérée, nos institutions, quelque sophistiquées qu’elles puissent être, ne porteront rien de nouveau sur le champ de la gouvernance. Tout au plus la même conception relookée et assaisonnée à la sauce « mode d’aujourd’hui ». Rien qu’à voir les partisans du Président de la République toutes griffes dehors, dézinguant la CNRI et son projet de constitution, l’on comprend bien que l’instauration de véritables institutions républicaines et démocratiques au Sénégal ne sera pas de tout repos.
Or donc, la loyauté vis à vis de l’Etat, vis à vis du bien public n’est pas ancrée dans les cultures ce qui se justifie largement par le comportement d’une certaine frange de ceux qui, dans l’imagerie populaire, incarne l’Etat : arrogance et suffisance, décisions non concertées et donc imposées, voies de fait, en sont l’illustration sans compter le népotisme et la corruption. C’est tout cela qu’il faut réformer et il s’agit assurément d’une véritable révolution au sens de la profondeur des changements qu’elle imprime et de leur caractère transversal.
Rappelons par ailleurs que le Sénégal est un pays situé dans une sous-région de l’Afrique espace de confrontations violentes entre des intérêts stratégiques divers et antagoniques.
Au total, pour garantir la stabilité et la paix nécessaires au succès des programmes de développement, il conviendra de réformer en profondeur notre conception ultra jacobine de l’Etat. Toutes les crises et/ou réformes institutionnelles de l’ère post coloniale ont tourné autour de la problématique des pouvoirs exorbitants conférés au Président de la République dans un état lui-même centralisé à outrance :
Ce trait distinctif de l’évolution des institutions semble être corroboré par les conclusions de l’étude intitulée «Sénégal, une démocratie ‘ancienne’ en mal de réforme » du Professeur de droit constitutionnel Ismaïla Madior Fall. Il y est indiqué dès la préface que «la conclusion la plus évidente, à laquelle le lecteur de cette étude aboutit … est que le système démocratique sénégalais a un besoin urgent de réformes sérieuses [c’est moi qui souligne]». L’auteur de l’étude montre que « la première réforme majeure requise par le système politique et visant la consolidation des institutions semble donc être la nécessité de rationnaliser l’institution présidentielle et d’aménager des contrepoids à celle-ci ». En d’autres termes, « il convient de promouvoir l’indispensable rééquilibrage des institutions par le renforcement du parlement et de la juridiction constitutionnelle ». Aujourd’hui, indique l’étude, « la critique la plus partagée du présidentialisme sénégalais est que ce type de régime ne reflète pas la qualité du parcours démocratique du pays ».
Il ressort de ce qui précède que les problèmes à résoudre peuvent être complexes mais ils sont bien identifiés. Leurs solutions exigent le consensus le plus large car seul un tel consensus est à même d’assurer aux futures institutions la crédibilité et par voie de conséquence, la stabilité nécessaire au développement du Sénégal. Or, un tel consensus large, que tous s’engageront à respecter, à défendre et à sauvegarder, se construit et se forge au cœur d’un processus largement inclusif. Voilà ce qui fonde notre proposition de convocation d’une Assemblée constituante largement inclusive d’où seront exprimées toutes les préoccupations de notre peuple multi ethnique, multiconfessionnel et multi confrérique dans une approche et une forme qui seraient cependant assez différentes de celle initiée par l’actuelle commission de réforme des institutions.
C’est devenu une nécessité absolue, non reléguable au long terme. La Constituante définira les paradigmes sur lesquels se fondera le futur Etat post colonial :
• Quel équilibre fonctionnel pour les institutions de l’Etat ? Régime présidentiel ou régime parlementaire ? Ou régime mixte ?
• Institutions centrales et institutions locales ? Place et rôle des collectivités locales dans l’architecture institutionnelle du pays ? Leurs rapports avec le gouvernement central ?
• Droits des citoyens et pouvoirs locaux ? Prérogatives des exécutifs locaux en matière foncière ? Il doit être mis fin à la simple duplication du présidentialisme néo colonial dans les collectivités locales où certains présidents accaparent le foncier et en abusent.
*Le sort des initiatives du pouvoir central (lois et règlements dans le domaine du foncier). A corréler à la problématique d’une agriculture performante au double sens de la résorption du déficit alimentaire et du renforcement des capacités d’exportation du pays.
• Quelles sont, dans la constitution, les matières susceptibles de réformes par le biais du parlement et celles qui relèvent du référendum constitutionnel ?
• La durée des mandats et leur articulation ?
La Question casamançaise et l’Etat jacobin.
La crise Casamançaise est certes une crise complexe à bien des égards mais les efforts immenses qui ont été déployés depuis trois (3) décennies pour lui trouver solution ont nourri une importante littérature dans des disciplines comme l’histoire, la géographie, la sociologie, l’anthropologie, l’économie… sans oublier la science politique. Des intellectuels de divers horizons lui ont consacré des ouvrages d’un grand intérêt tel Amadou Moctar Mbow : « Unité nationale et séparatisme en Afrique subsaharienne, le cas de la Casamance au Sénégal » ou encore Me Boucounta Diallo : « La crise casamançaise, problématique et voies de solution » paru chez l’harmattan en avril (2013). Le problème, selon moi, est, pour ainsi dire, cerné. Pourquoi dès lors une solution définitive tarde – t- elle à intervenir ? Nous devons tous comprendre que les programmes de développement de la Casamance doivent être accompagnés de négociations sérieuses et ouvertes sur des formes d’organisation qui prennent en compte le désir d’identité qu’exprime la rébellion sans que cela n’aboutisse, comme certains le craignent, à amputer le pays de sa partie Sud. La prochaine constitution ne saurait faire l’impasse sur cette interpellation trentenaire.
L’Assemblée constituante traiterait aussi de la bonne gouvernance :
L’argent et la politique : S’occuper du problème de l’argent dans la politique est la corde principale qui ouvrira les mailles du filet de la bonne gouvernance : • faut-il ou non financer les partis politiques ? Si oui, selon quels critères ? • Faut-il moraliser les budgets de campagne électorale ? Si oui, comment ? Il y a l’exemple de la France qui a créé une commission nationale des comptes de campagne à laquelle les candidats présentent leurs comptes de campagne à peine un mois après le deuxième tour de scrutin ; *La déclaration de patrimoine : qui doit s’astreindre à la déclaration de patrimoine ? Dans quelles conditions ? Une déclaration étant ce qu’elle est, quels pourraient être les leviers de contrôle de la véracité de la déclaration ? • Réforme des corps de contrôle si la nécessité est avérée, en mettant de la cohérence dans leurs rapports et garantir leur autonomie par la loi (budget, nomination, plan de carrière, etc.) ;
L’Assemblée constituante connaîtrait également des questions liées aux rapports entre l’Etat et les pouvoirs religieux, confessionnels ;
Le statut des minorités et des couches défavorisées et toute autre initiative arrivée à maturité.
Pour conclure : Une constitution doit être toujours sous-tendue par une vision. Même si nous devons être ouverts aux vents fécondants, nous ne pouvons continuer à singer les constitutions d’autrui. Voici un demi-siècle que cela se fait sans qu’aucun de nos problèmes fondamentaux n’ait été réglé. Le moment n’est-il pas venu de changer de paradigme ? Oui, le moment est venu de changer de paradigme. Le président Sall en est-il capable ? Il devrait en être capable vu qu’il n’a aucun compte à rendre à un passé colonial, étant lui-même né après les indépendances. Mais lorsqu’on voit le caractère timoré des propositions qui sont avancées et tout le brouhaha qui entoure la seule question du mandat, l’on est fondé à mettre une croix sur les véritables réformes dont le pays a besoin. Il ne nous reste alors qu’à tout faire pour que la future alternance à la tête du pays soit portée par des hommes et femmes absolument convaincus des changements à apporter et prêts à tout sacrifier pour y arriver. Georges Washington et ses compagnons avaient agi de la sorte et l’Amérique d’aujourd’hui en est fière.
Mamadou Diop « Decroix »
Député à l’Assemblée nationale
Secrétaire Général d’And-Jëf/Pads
*Buur est compris comme le roi ou le prince qui détient le pouvoir de punir

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