Il ne fait plus le moindre doute que l’immunité parlementaire des députés libéraux Ousmane Ngom, Omar Sarr et Abdoulaye Baldé sera levée, ce jeudi 10 janvier 2013. Comme un scénario écrit par avance, le processus engagé pour l’inculpation de ces wadistes paraît aussi irréversible qu’une prédestination. Serigne Mbacké Ndiaye, porte-parole du déchu président Wade, l’avait de manière prémonitoire prédit : « si nous perdons le pouvoir, nous irons tous en prison. »
Avait-il conscience de la gravité des actes prédation dont s’étaient rendus coupables des tenants du régime précédent ? Ou alors avait-il mesuré toute l’amplitude de l’esprit de vengeance que le successeur de Wade, quel qu’il fut, allait user pour leur payer en retour des pratiques vexatoires, monnaie courante de 2000 à 2012 ? Qu’en serait-il si le pouvoir avait échu dans les mains du candidat de Benno Siggil Sénégal, Moustapha Niasse qui, le couteau entre les dents, le verbe haut, et la bave aux lèvres ne cessait de menacer les libéraux de ses foudres ? Qu’aurait fait Ousmane Tanor Dieng de ses adversaires « bleus », si les urnes lui avaient ouvert les portes du Palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor ? Lui qui a été pendant 12 ans voué aux gémonies, traîné dans la boue, ses amis embastillés dès les premières heures de l’alternance, et dont le parti a été laminé, délesté de ses bases et de ses pontes ?
La manipulation des institutions, l’instrumentalisation de la police, de la justice, les achats de consciences les liquidations politiques, les assassinats déguisés, les formes de corruption, de concussion et de chantage avaient fait assurément beaucoup de victimes innocentes dans l’opposition jusque dans les rangs des alliés. En fait, il y a eu tellement de victimes expiatoires des facétieux hobbies du vieux Président, en réalité, qu’inéluctablement, les futurs vainqueurs pouvaient difficilement les passer par pertes et profits.
Embardée punitive
Justice immanente, justice des vainqueurs ou tout simplement un juste retour à la Justice tout court ? La détermination du pouvoir actuel de traquer par tous les moyens les détenteurs de biens mal acquis n’a égale que son insatiable désir de prendre une revanche sur les inquisiteurs et autres cerbères d’hier.
Plus que l’accès d’éthique, la volonté de transparence ou de bonne gouvernance, c’est sans doute ce besoin obsessionnel de vengeance qui anime le pouvoir actuel dans tous les actes posés jusqu’ici pour faire payer aux anciens dignitaires wadistes leur arrogance d’hier. Cette embardée punitive ne disculpe pas pour autant les mis en cause. Que nenni ! L’ampleur, la variété et le poids social, économique de leurs forfaits sont tellement lourds que leurs poursuivants apparaissent désormais plus angéliques qu’ils ne le sont en réalité. Les preuves de leurs forfaitures ne seront pas alors difficiles à trouver. Elles résident d’ores et déjà dans la maléfique prophétie de Serigne Mbacké Ndiaye, témoin à charge à priori. On se demande d’ailleurs pourquoi le procureur de la République ne s’est pas jusqu’ici autosaisi pour entendre ce prédicateur, qui ne savait si bien dire. Il aurait certainement beaucoup de mal à se sortir de ces limbes tellement ses prédictions se sont justifiées.
Trop de cafouillages
Seulement voilà, beaucoup de biais entachent les procédures jusqu’ici utilisés par le ministère de la Justice, Garde des Sceaux, trop pressé d’en découdre ou d’en finir avec les présumés coupables de détournement ou d’enrichissement. Le premier est sans doute d’ordre principiel : comment expliquer la rapide réactivation de la Cour de Répression de l’enrichissement illicite (CREI), alors même que les réformes de l’institution judiciaire sont encore en chantier.
Pourquoi un tel empressement alors que la nouvelle armature judiciaire prend forme ? Tout le cafouillage dans les domaines de compétences de la CREI et de la Haute Cour de Justice provient sans doute de cette hargne grosse de bavures, de reculades, de contre-indications. Les motifs avancés pour entendre les prévenus enrichis ou les détourneurs en chefs, varient au gré des humeurs, des circonstances et des arrière-pensées du Procureur spécial de la CREI, du Parquet, sans doute du ministre elle-même, pour ne pas dire du président de la République. Des spécialistes du droit neutres, parfois même proches du régime, élèvent leur voix pour dénoncer ces turpitudes. Ils confessent volontiers que, dans un Etat de droit, les poursuites font l’objet d’une réglementation trop précise pour obéir aux humeurs et aux circonstances.
Dans la foulée de cette réforme judiciaire en chantier, certains juristes férus n’excluent pas d’ailleurs que la CREI soit frappée d’inconstitutionnalité si elle est considérée comme une justice d’exception. Ce serait un comble de ridicule pour le pouvoir qui devrait trouver alors d’autres artifices juridiques pour rattraper ces présumés prévenus. Et de toute manière, les erreurs répétées du Procureur Spécial poussent à la prudence et font douter de la vigilante compétence des conseillers juridiques du Président.
La CREI en question
En deuxième lieu, il y a certainement à s’interroger sur l’existence et le rôle de la CREI, juridiction d’exception à suffisance, politique par vocation. Elle est considérée et jugée dans les démocraties majeures comme anti-démocratique, voire anticonstitutionnelle. La CREI repose sur le principe de l’inversion de la charge de la preuve, alors que dans le droit positif des démocraties modernes, la preuve incombe au demandeur. Faire de tout homme ou femme riche un présumé coupable, avant d’être un présumé innocent, pose tout simplement un problème de sécurité, devant les potentielles possibilités d’abus d’autorité ou de position.
Le ministère de la Justice à trop joué avec le feu judiciaire, et fini par créer un vrai malaise. Tantôt il agite la procédure de mise en accusation par les audits de gestion des structures publiques gérées par les anciens dignitaires de l’ancien régime. Tant il cible l’enrichissement illicite. Des fois, c’est l’enrichissement illicite dans le cadre de l’exercice des fonctions publiques par les présumés coupables, ainsi accusés sans même savoir par quelle catégorie de juridiction. Il est vrai que leur statut d’élu freine l’élan d’une mise en accusation que le pouvoir et probablement une bonne partie de l’opinion gagnée par cet esprit de vengeance auraient voulu d’une plus grande célérité.
Où sont les vrais coupables ?
Mais là aussi, il y a comme qui dirait « tromperie sur la marchandise », car la levée de l’immunité parlementaire repose d’abord sur le principe de l’inviolabilité du statut d’élu protégé contre les abus publics et privés. Il faut des actes gravissimes avérés, réels, palpables et indéniables pour déclencher ce jugement par les pairs. Si les faits reprochés aux responsables sont réellement graves, la justice devrait, pour être juste, remonter jusqu’à l’ex-président de la République Me Wade, source, instigateur et promoteur de ces forfaits. Un grand juriste de la place, et non moins homme politique, a bien raison de s’écrier « doit-on poursuivre des complices alors que le vrai coupable est libre ? »
Cette remarque vaut autant pour les délits présumés d’enrichissement illicite, de détournement ainsi que toutes les charges pesant sur l’ex-député Alioune Aïdara Sylla. L’immunité de Me Wade l’empêche d’être poursuivi, en tant qu’ancien Président. Il est selon toute vraisemblance à l’abri de toute poursuite pour crimes économiques ou politiques. Quel intérêt aurait-on donc à traquer des soutiers et des seconds couteaux alors que le chef de gang nargue allègrement la justice et le peuple ? Et, de surcroît, combien sont-ils dans l’ancien régime à avoir bénéficié des largesses de l’ancien président, dans le régime actuel ?
A commencer par l’actuel président de la République lui-même bien que protégé par son immunité. Et puis les déclarations intempestives du ministre de la Justice, Mme Aminata Touré, décidée à fouiller dans les placards, les sols et les armoires pour en extirper les biens mal acquis cachés sont intolérables. Elles sonnent comme une instrumentalisation de l’enquête et une impensable immixtion dans l’instruction. Elles ont du reste provoqué l’ire et a cinglante réplique de Mme Innocence Ntap Ndiaye, ancien ministre et amie d’enfance de la ministre. Comme pour dire que tous les proches de Wade ne sont pas de potentiels malfaiteurs.
Déclarations incongrues
Il s’y ajoute également les menaces ouvertement professées par le président du Groupe Parlementaire de BBY, Moustapha Diakhaté. Ce dernier promettait ouvertement dans l’hémicycle de faire payer aux députés libéraux leur outrecuidante tentative de faire tomber le gouvernement de M. Abdoul Mbaye par une motion de censure avortée, par la levée de l’immunité parlementaire de leurs collègues en délicatesse avec la justice. Tout cela sonne tout simplement comme un détestable règlement de comptes, inadmissible en démocratie. En vérité, la morale dans ce cas devrait, à défaut de transcender le droit, le compléter tout au moins.
L’éthique est certes une règle non écrite, elle n’en demeure pas fondatrice des règles de conduite à l’intérieur de la Nation. Condamner symboliquement Abdoulaye Wade, révéler au cru du grand jour sa responsabilité dans le délitement social, politique et économique de notre pays justifierait davantage que ses ouailles payent pour leur complaisance. Mais, d’un autre côté, le Président Macky Sall, si friand de transparence, devrait aussi justifier l’origine de ses biens publiquement déclarés pour donner plus de poids aux poursuites engagées contre Ousmane Ngom, Oumar Sarr, Abdoulaye Baldé, Samuel Sarr, Madické Niang, Karim Wade.
Ce ciblage paraît trop labélisé, pour être totalement neutre même si, par ailleurs, leurs arrogantes attitudes du passé autant que leur gestion largement sujette à caution leur vaudraient bien un détour à la citadelle du silence. Mais le fait est que la justice, pour être juste, doit être équitable. Le droit ne peut être sélectif ou circonstancié, il est trop général et trop impersonnel pour être coupable d’hémiplégie.
Le Témoin