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[Reportage] Ibou, tailleur à Dakar, autour de 900 euros pour toute une famille

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Au cœur de la Médina, quartier historique de Dakar, Ibou, tailleur de 38 ans, a accepté d’arrêter un moment ses machines à coudre pour parler argent et dévoiler son porte-monnaie à Eco89 autour d’un thé. C’était quelques jours après la korité.

La fête qui marque la fin du ramadan au Sénégal représente un pic d’activité pour les tailleurs dans tout le pays. Les familles sénégalaises commandent pour l’occasion des boubous de cérémonie tous plus chatoyants les uns que les autres.

Même si l’élégant et toujours souriant Ibou se spécialise davantage en tenues occidentales, le tailleur a reçu cette année la commande de dix boubous de fête, qu’il facture entre 30 et 53 euros pièce.

C’est sa mère, couturière, qui l’a initié à l’usage de la machine à coudre. Le reste, il l’a appris « dans les livres ». Aujourd’hui, l’artisan affirme reconnaître les mensurations d’un client « d’un seul coup d’œil ». Il a son propre atelier et embauche jusqu’à trois employés certains jours.

S’il rêve d’ouvrir un jour un magasin dans lequel il vendrait ses créations, Ibou travaille pour le moment à la commande. Il facture une chemise jusqu’à 15 euros. Le prix des robes les plus élaborées peut grimper à plus de 30 euros : « J’aime mon métier et j’adore prendre des risques avec certaines coupes difficiles. Dans le travail, il faut souffrir pour réussir. »

Le rêve d’Ibou serait de pouvoir un jour venir étudier le stylisme pendant six mois en France :

« J’aimerais maintenant voir comment les stylistes travaillent en Europe. »

Chiffre d’affaires : de 1 300 à 1 800 euros par mois

Son atelier lui rapporte entre 1 300 euros et 1 800 euros par mois (853 000 et 1 181 000 francs CFA).

Mensurations, prix, date de livraison en noir et noms des commanditaires en rouge : le carnet de commande d’Ibou est tenu avec beaucoup de soin. Mais c’en est autre chose de ses comptes :

« Il m’est très difficile de dire combien je gagne chaque mois. C’est très irrégulier. »

Ces dépenses mensuelles, qui s’élèvent à un peu moins de 1 350 euros par mois, sont à moitié professionnelles, à moitié personnelles.

Dépenses professionnelles : 630 euros (413 000 francs CFA)

Loyer : 70 euros

Le local d’Ibou est situé dans une des petites rues du quartier animé et populaire de la Médina dont est originaire Youssou N’dour. Il paye 70 euros de loyer pour un atelier d’environ 10m² ouvert sur la rue.

Employés : environ 500 euros

Ibou ne délègue jamais la coupe. Mais pour la couture, il emploie un apprenti et jusqu’à trois couturiers, qu’il paye à la tâche. Les plus rapides d’entre eux peuvent gagner près de 12 euros par jour.

Tissus : 0 euro

Maintenant qu’il a beaucoup de commandes, Ibou n’a plus le temps d’aller acheter lui-même des tissus. « Les clients viennent avec le tissu de leur choix. »

Electricité : environ 50 euros

Ibou dépense entre 40 et 60 euros par mois pour faire tourner les quatre vieilles machines à coudre de son atelier.

Impôts : 10 euros

Comme la quasi totalité des petites entreprises, des vendeurs et des artisans au Sénégal, le métier de tailleur fait partie du secteur informel et n’est pas imposé. Seule la mairie de Dakar prélève chaque mois 23 euros de taxe à Ibou au titre de l’agrandissement de l’atelier aménagé sur le trottoir. Mais les agents municipaux ne viennent environ qu’un mois sur deux…

Une fois les charges professionnelles déduites, il reste entre 700 et 1 150 euros (environ 900 euros) à Ibou pour faire vivre sa famille et épargner.

Dépenses personnelles : environ 700 euros (449 000 francs CFA)

Ibou habite à quelques rues de son atelier. Hors dépenses liées à son travail, il lui reste 684 euros par mois pour vivre et il subvient aux besoins de sa femme et de ses deux jeunes enfants. C’est bien au-dessus du salaire moyen d’un ménage à Dakar, qui était de 233 euros en 2002, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).

Loyer : 150 euros

C’est ce qu’il paye pour la location du studio où il vit avec sa famille.

Nourriture et produits de consommation courante : 230 euros

L’atelier fait office de salle à manger pour le tailleur et ses employés à l’heure du repas. C’est la femme d’Ibou qui cuisine pour tout le monde.

Electricité : 75 euros

Téléphone : entre 15 et 30 euros

Ibou achète des cartes prépayées pour son téléphone et celui de sa femme. Chaque recharge lui coûte 7,50 euros. « Je n’achète pas de recharge à 15 euros car dans le quartier, tout le monde dit : “ Prête-moi un coup de fil ”. Je n’en finirai pas. »

Education : 28 euros

A 3 ans, la fille d’Ibou fait sa première rentrée cette année dans une école privée. L’inscription coûte 53 euros pour l’année, plus 22 euros chaque mois. « Il faut investir dans l’éducation », pense Ibou, qui n’a lui-même pas été toujours assidu à l’école.

Loisirs : 25 euros

Jamais de vacances pour Ibou. Mais il va à la plage à Dakar chaque dimanche avec sa famille. C’est son frère architecte qui l’emmène. Ibou lui verse trois euros pour les frais d’essence.

Aux boîtes de nuit, il préfère sortir en famille dans des restaurants-concerts qui accueillent le week-end des groupes de musique ou des comiques. Il y dépense entre 45 et 80 euros deux ou trois fois par an.

Santé : 55 euros

« Je touche du bois. Car si je tombe malade, je ne peux plus assurer la subsistance de ma famille », dit Ibou dans un sourire. Sa femme se rend une fois par an chez le gynécologue (24 euros). Les visites chez le pédiatre pour ses deux enfants, trois à quatre fois par an, coûtent 7,50 euros à chaque fois.

Aides à la famille : 100 euros

Comme le veut la tradition sénégalaise, Ibou aide aussi ses parents. Son père peut compter sur une petite retraite de gendarme. Son fils lui verse tout de même de 23 à 38 euros deux ou trois fois par an. Il donne la même somme chaque mois à sa mère. S’il le peut, Ibou fait des dons supplémentaires. Au mois d’août, il a ainsi versé plus de 75 euros à ses parents.

Epargne : l’argent restant

Une fois toutes les factures -personnelles et professionnelles- payées, Ibou met de côté l’argent qui reste. Son épargne est donc aussi cyclique que ses revenus : les très bons mois, il lui arrive de placer entre 760 et 1 000 euros sur son compte d’épargne ; mais il a souvent besoin d’y puiser pour boucler les fin de mois plus difficiles.

Le tailleur de la Médina est actuellement à la recherche d’un ordinateur d’occasion pour pouvoir se connecter à Internet à partir de chez lui. Si jamais vous passez par Dakar et que vous avez un peu de place dans vos bagages

rue89.com

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