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Révision du contrat de travail à durée déterminée : Zoom sur une réforme mal aimée

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Entre soucis d’assouplissement de la législation du travail pour le patronat, ambition de booster l’emploi et menace de précarité, la nouvelle réforme du Code du travail dans son chapitre Contrat à durée déterminée (Cdd) a provoqué une grande polémique au Sénégal. Zoom sur les possibles avantages de cette réforme et la menace de précarité de l’emploi qu’il fait craindre chez les leaders syndicaux.

Le gouvernement vient d’adopter un projet de loi pour la réforme du Code du trvail qui va consacrer le renouvellent illimité du Contrat à durée déterminée (Cdd) qui va ainsi devenir, pour les chefs d’entreprises, le mode privilégié d’embauche à la place du Contrat à durée illimitée (Cdi).

L’objectif visé, à travers cette réforme, tel qu’il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale, est de ‘lever la barrière psychologique’ que constituerait la limitation du nombre des Cdd. Ce, pour ‘favoriser la possibilité de faire appel au même travailleur, lorsque de nouveaux besoins d’emploi temporaire surviennent’.

Parmi les raison invoquées pour justifier cette réforme du Cdd, figure en bonne place l’ambition de permettre aux entreprises sénégalaises de s’ajuster par rapport à la concurrence de plus en plus rude dans un contexte de crise économique et financière internationale. Ainsi, cette réforme, si elle passe, pourrait, selon ses défenseurs, permettre à l’économie nationale de redémarrer, en ce sens qu’elle va contribuer à attirer de nouveaux investissseurs dans le pays. ‘C’est un texte qui cherche un équilibre pour ouvrir l’emploi’, expliquait le ministre-conseiller, par ailleurs Directeur général de l’Apix, Aminata Niane, lors d’un déjeuner de presse le 31 mars dernier. Elle assurait en efffet, contre vents et marrée, que la réforme ne permet pas de précariser l’emploi, mais devrait consacrer ‘un sursaut sur nos conforts individuels pour permettre aux jeunes de trouver du travail et continuer à garder l’espoir de lendemains meilleurs’. Dans la même veine, Alassane Tounkara, conseiller technique au ministère de l’Emploi, de la Fonction publique et des Organisations professionnelles, soutenait que cette réforme du Code du travail vise à apporter des assouplissements qui permettraient de booster l’emploi au Sénégal. Soutenant mordicus que la réforme du Cdd n’a pas vocation à précariser l’emploi, Tounkara estime que la modification cherche à apporter des améliorations susceptibles de constituer une motivation pour les employeurs à créer plus d’emplois. ‘Si en l’état actuel de la législation, le Cdd ne peut pas être renouvelé plus d’une fois et qu’un même travailleur ne peut pas conclure avec la même entreprise plus de deux Cdd, avec la nouvelle réforme, il pourra être renouvelé chaque fois que ce serait nécessaire et donner ainsi au travailleur la chance de signer avec une entreprise plusieurs contrats’, justifie-t-il. En outre, Alassane Tounkara annonce que dans la nouvelle réforme, il est permis au travailleur de bénéficier d’une indemnité de fin de contrat suivant son ancienneté. De plus, le conseiller technique rapporte que la nouvelle réforme attribue au travailleur sous Cdd les mêmes avantages et les mêmes droits que le travailleur sous Cdi pour ce qui est des primes et autres indemnités. ‘Désormais, le travailleur sous Cdd bénéficiera de tous les avantages qui sont accordés aux travailleurs qui sont sous Cdi’, fait-il savoir.

Cette réforme du contrat à durée déterminée sera donc une aubaine pour les chefs d’entreprise, selon ces arguments en ce sens qu’ils pourraient ainsi faire le plein d’emplois en recrutant aisément pour le développement de leurs affaires sans trop de contraintes d’embauche à moyen terme.

Cependant, l’argument développé pour justifier une telle réforme, en pensant aux sans emplois, peut être considéré comme fallacieux. En effet, comme l’ont souligné certains, le Code du travail a pour principale vocation de régir les relations de travail. Donc, il s’applique aux employeurs et aux travailleurs et non aux sans emplois.

Tir groupé des politiques et des syndicalistes

A côté des ‘avantages’ listés par les théoriciens de la réforme du Code du travail, surtout dans son volet de contrat à durée déterminée, d’autres n’y voient que des inconvénients et une manière de précariser davantage l’emploi au Sénégal. En effet, premier à tirer la sonnette d’alarme, le Parti de l’indépendance et du travail (Pit) qui soutient qu’en adoptant ce projet de loi, ‘le gouvernement généralise la précarité du travail, déjà favorisée par les abus du patronat qui use de stratagèmes pour contourner les dispositions qui limitent ce renouvellement, et celles du décret 70-180 qui régit le recours à la main d’œuvre journalière’. Pour ces derniers, une telle révision pourrait se justifier dans notre législation du travail si le Cdd n’était utilisé que pour pourvoir à des besoins d’emplois temporaires. ‘Dans la pratique, il s’agit bel et bien d’occuper des emplois permanents avec la volonté nette de réduire le coût du travail. Du reste, c’est pour combattre une telle pratique, que les syndicalistes avaient obtenu, grâce à une forte mobilisation, la limitation à une seule fois, du renouvellement des Cdd’, soulignent-ils.

Pour les camarades d’Amath dansonkho qui ont sorti un mémorandum pour fustiger cette nouvelle réforme, cette dernière est d’autant plus inopportune que les contraintes auxquelles les entreprises du secteur industriel font face, les placent, objectivement, dans un processus de ‘liquidation’ des emplois permanents et temporaires. Car, pour Dansokho et compagnie, ‘au 4ème trimestre de 2009, le secteur industriel a réduit de 0,9 % l’emploi permanent, et de 2,5 %, l’emploi temporaire, en dépit d’une forte croissance de 9,7 % par rapport au 3ème trimestre. Pis encore, dès le mois de janvier 2010, les statistiques les plus récentes sur le marché du travail, données par la Direction de la planification et des études économiques (Dpee), indiquent, pour le secteur industriel, l’aggravation des pertes d’emplois de 4,2 % par rapport à décembre 2009, avec une chute drastique de la croissance de la production industrielle de moins 8,8 %. Au total, la conjoncture ne crée ni besoins d’emplois permanents, ni besoins d’emplois temporaires’, fait savoir le Pit. Ainsi, la jugeant inoportune, le Pit trouve que ‘cette révision ne vise donc nullement à lever les contraintes de notre industrie pour augmenter ou créer des emplois, même temporaires, mais vise bien à lever la barrière psychologique chez les idéologues du libéralisme économique, qui ne prennent comme référence du marché du travail, que les normes en vigueur dans les pays arabes du Golfe où il n’y a ni syndicat, ni code du travail, et où la précarité du travail et les salaires de misère sont la règle’, note le Pit dans son mémorandum.

Le Fmi et la Banque mondiale au banc des accusés

A côté de ce parti politique, des leaders syndicaux ont fait entendre leur voix pour dénoncer ce projet de loi. Sidya Ndiaye de la Fgts, qui a tenu une conférence de presse à ce propos la semaine dernière, appelle tous ceux qui sont mus par la défense des intérêts des travailleurs à se mobiliser pour contraindre d’Etat à faire machine arrière sur ce projet de loi, comme ce fut le cas en France en 2006 avec le ‘Contrat première embauche’ (Cpe). Dénonçant le silence complice de certains leaders syndicaux, Ndiaye signale que ‘c’est la précarisation totale des emplois qui est visée à travers cette réforme réactionnaire conçue et planifiée par la Banque mondiale et le Fmi, qui sont les maîtres à penser de nos dirigeants incapables de soutenir un débat d’idées avec des donneurs de leçons d’un autre âge, qui considèrent nos pays comme des champs d’expérimentation des mesures anti-sociales au mépris de toute éthique’, soutenait-il dans notre édition du mardi 18 avril dernier.

Dans la même lancée, le secrétaire général adjoint de l’Union nationale des syndicats autonomes du Sénégal (Unsas), Mamadou Diop Castro, affiche son opposition farouche à cette initiative gouvernementale. Il déclarait à l’Agence de presse sénégalaise ‘qu’au moment où on parle de travail décent, au moment où on parle de lutter pour l’éradication de la pauvreté, on va vers la précarisation, la fragilisation du tissu social, la remise en question même de la politique de l’emploi’.Enfonçant le clou plus loin, Diop Castro trouve que les facilités qui sont déjà offertes sont largement suffisantes. ‘On n’a pas besoin de toucher à la législation sociale dans le sens de libéraliser outre mesure les relations entre le patronat et les travailleurs’, dénonce-t-il.

Seyni DIOP

walf.sn

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