Riche ou pauvre, on renonce toujours à une partie de soi par Birame Waltako Ndiaye

Par simplicité volontaire ou par cas de force majeure, la pauvreté traduit des désirs inassouvis. En devenant miséreux de son propre chef, le non-conformiste dévoile un grand malaise. Dans sa quête de sens, il réalise que sa condition de vie est faite de futilités et que ses efforts sont souvent vains et absurdes. De son côté, le misérable, pauvre authentique, est vraiment mal barré parce que fou de la vie. Dans sa misère persistante, il convoite madame Société, productrice de mode, fine promotrice des petits plaisirs.
Le trait distinctif entre les deux modèles est dans la manière plus ou moins décontractée de vivre la privation. Le pauvre de galerie, précarisé à dessein, assume provisoirement une posture de miséreux. Il pousse le bouchon jusqu’à compatir aux tourments des personnes qui suivent goûts et routines en vogue. Fasciné par la légèreté des prolétaires, ce pauvre de collection s’invente un îlot, croyant échapper aux vagues violentes des effets de mode.
De retour de France exactement comme à son départ, c’est-à-dire vierge de diplôme et d’épargne, Grand Joe refuse le qualificatif de pauvre. Il apprivoise, plus qu’il ne tolère, sa condition de démuni. Il s’est déjà dit rasta puis communiste. Pas de café le matin, pas plus qu’une clope, il rationalise, théorise et s’explique. Il se dit révolutionnaire et résistant au diktat de l’ordre économique et de la consommation des biens dans des quantités toujours plus importantes.
Pensons-y un instant. Il suffit que la moitié des sénégalais se disent adeptes de simplicité volontaire pour que le pays soit considéré, à tout le moins, volontairement pauvre. Faudrait-il, quand bien même, que les populations y trouvent allégresse. Qu’elles se disent : Olé olé, nous manquons de tout, mais ce n’est que bénédiction, que du bonheur, que des épreuves pour le salut eternel. Tout compte fait, la pauvreté n’est pas tant un manque de moyens qu’une accumulation de besoins hors de portée.
Aux occidentaux qui se marginalisent en simplicité volontaire, nous leur dirons : vous voulez être nécessiteux? Il y a un programme de politique publique sous les tropiques: immigration ou pauvreté choisie. Appelez-le comme vous voulez. Vous serez comblés, continuellement en extase. Non! Les adeptes de l’ascétisme ostentatoire cherchent à pouvoir rire vivement. Ils réclament de la liberté, c’est-à-dire la disponibilité du pauvre aux goûts très précis. Il cherche à réprimer son intempérance.
Quant à Grand Joe, il noie sa peine dans des contradictions successives, il mène deux combats : celui contre un atroce dénuement et celui d’une farouche résistance au mal-être. Plus que la résilience, il cherche vaguement à mépriser son existence, tantôt cynique, tantôt moraliste. Tout confus, il apprécie sa condition d’anonymat et d’humilité, mais s’expose en permanence à sa propre volonté de puissance.
Sur la grand-place, devant la boutique du quartier, Grand Joe revendique des égards, il snobe les voisins, accuse ses amis d’enfance et fantasme sur les femmes de khar Yalla. Pour son appétit de promotion sociale, il mise sur la loterie, compte autant sur ses camarades politiciens et envisage parfois de se marier avec une riche commerçante « bété-bété ». En attendant, il s’appuie sur ses griefs de persécuté social et s’adosse sur ses emportements d’illuminé comme sur deux béquilles, supports vitaux.
Comme quoi, aussi bien le dénuement que l’abondance condamnent notre capacité de jouissance aux dons de la vie. D’une manière ou d’une autre, la quête d’équilibre s’empare de nous et nous fait tourner en bourrique.
Birame Waltako Ndiaye
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