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Sénégal: dans l’enfer des femmes stériles

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Souvent victimes de la pression venant de la belle-famille, de la société et même parfois du mari, les femmes qui ne parviennent pas à procréer au bout de quelques mois  voire quelques années de mariage sont la risée de la communauté au Sénégal. Ces femmes dites stériles, qui vivent sans l’ombre d’un enfant, se voient ainsi diabolisées et regardées d’un mauvais œil par cet entourage immédiat qui, pourtant devrait les couvrir et les soutenir dans l’épreuve. Lequel considère qu’un mariage n’a de sens que s’il abouti à la conception d’un ou des enfants. Face à ce poids de la société, et conscientes du fait que la nativité, en plus d’être un symbole de bonheur et de richesse, a un enjeu d’héritage et de présence, ces femmes «stériles» sont prêtes à tous les sacrifices pour surmonter le problème et faire plaisir à leur homme, que cela réussisse ou pas. Ces témoignages de quelques femmes qui ont vécu ou continuent de vive ce «drame» interne en disent long sur le malaise ou le mal vivre des couples sans un enfant dans notre pays. Sud Quotidien vous plonge dans la misère des femmes «improductives».
«On n’y peut rien, c’est comme ça. Une femme sans enfant vit mal sa situation dans son couple, sa belle famille, son entourage. Tout le monde s’occupe de tes affaires. Chacun s’interroge sur la durée de ton mariage. Dès fois, certains, plus audacieux et en général membres de ta belle famille, se permettent même de te le dire en face». Cette confidence de L.G. une commerçante, en dit long sur le malaise ou le mal vivre des couples qui peinent à «concevoir» un enfant. Le poids de la société, le regard de l’autre, les pressions internes venant de la belle famille et, parfois même, du mari – qui finit par céder face à la pression de ses proches – expose et installe nombre de femmes sénégalaises dans des situations inconfortables.
Ces femmes stériles étant indexées comme étant les principales responsables de la situation parce qu’infécondes, l’homme lui n’y est pour rien, aux yeux de l’opinion majoritaire. Dès lors, c’est aux femmes de se débrouiller, de se… «soigner» pour remédier à la situation et sauver leur couple. S’il y a des analyses, c’est à elles de les faire. Et gare à celle qui osera, à la demande du médecin traitant, du gynécologue… demander à son époux de faire des tests à son tour pour situer les responsabilités. Même si la tendance est en train de changer positivement avec les nouvelles générations surtout éduquées qui acceptent de se soumettre à des tests médicaux au même titre que leurs épouses.
En effet, la perception du mariage, dans la société sénégalaise, est telle que chaque femme, épouse doit «offrir» à son mari une progéniture, un héritier. Donc, le mariage rime toujours avec la naissance d’un ou des enfants, sans quoi, l’union n’a pas de sens. Conséquences : beaucoup de femmes, qui ont la malchance, au bout de quelques années de mariage, de ne pas tomber enceintes, ne connaissent plus la paix et la stabilité dans leur couple. «Parce que la pression est là, elle vous hante», relève toujours L.G.
LES BELLES FAMILLES NE SONT PAS TOUJOURS… BELLES
La dame âgée d’une quarantaine d’année partage son aventure: «ma belle famille est bien connue ici à Dakar car elle fait partie des dignitaires lébous. Avant qu’il (ndlr-mon mari) ne m’épouse, je l’ai connu 3 ans auparavant. Depuis lors, il m’a soutenu moralement et financièrement. Dans mon travail aussi. Nous n’avons jamais eu de problèmes. Il me comprenait et m’aimait bien. En plus, quand je devais voyager, il n’en faisait pas un problème parce qu’il savait que je tenais à lui. Ainsi, nous menions une belle vie dans notre appartement qu’il avait loué non loin de sa maison familiale. Chaque week-end, nous nous rendions chez sa mère où nous passions la journée jusque tard dans la nuit», se rappelle-t-elle.
«Ma belle-famille, au tout début de mon mariage, m’avait bien accueilli et bien traité. Elle m’appréciait bien et nous nous entendions merveilleusement. Je me souviens, quand je revenais de mes voyages, je leur apportais, à tous, des cadeaux et de l’argent. Et ma vie était vraiment belle, je ne me plaignais pas», dit-elle. L.G poursuivit son histoire : «Après 3 ans de vie commune avec mon époux, je n’arrivais pas à tomber enceinte. Là, ma vie a commencé à prendre une nouvelle tournure. Parce que ma belle mère et mes belles sœurs, avec qui j’avais une complicité totale et une entente parfaite, ont commencé à changer vis-à-vis de moi», confie-t-elle.
«CE QUI FAIT MAL, C’EST QUE MA BELLE MERE CONSIDERE QUE JE SUIS STERILE»
C’est le début des déboires. Les parents de mon époux me voyaient incapable de leur donner un petit fils (ou petite fille), un neveu, donc un héritier à leur fils. « Un jour, je me souviens, ma belle-mère m’a appelé au téléphone pour me demander de passer la voir à la descente. Comme je la respectais bien et l’aimais beaucoup, bien que je devais terminer mon travail à 20h30, ce jour là, à 18h j’ai fermé ma boutique pour aller la rejoindre», a-t-elle expliqué. Et de poursuivre: «à mon arrivée, j’ai senti que ça n’allait pas. Car d’habitude, c’est avec un large sourire qu’elle m’accueillait, ce qui n’était pas le cas ce jour là. Après des réponses glaciales à mes salutations, elle m’a demandé de prendre place à côté d’elle. Et, quelle ne fut ma surprise… J’ai été très choquée quand elle a abordé le sujet. Ce qui fait mal, c’est que ma belle-mère considère que si son fils n’arrive pas à avoir un enfant, j’en suis la principale coupable».
Selon la jeune commerçante, sa belle mère l’a traitée de tous les noms et l’accuse d’être stérile. Parce que, dit-elle, son fils est en parfaite santé. Heureusement, elle n’a pas perdu son sans froid. «Je n’ai pas pipé un seul mot car, je ne savais pas quoi lui répondre. Quand elle a fini, je me suis juste levée pour essuyer mes larmes et repartir. Quand j’ai raconté l’histoire à mon époux, ça ne lui a pas plu. D’ailleurs, il s’est même disputé avec sa mère. Ça m’a fait un vrai choc de voir mon mari être en mal avec sa mère à cause de moi».
DIVORCER POUR RECONCILIER… UNE FAMILLE
Et L.G se retrouve dans l’obligation de trouver des solutions à ce malentendu entre une mère et son fils, par sa…faute. A l’en croire, elle a tout tenté, en allant voir certains des oncles de son mari avec qui elle gardait de bonnes relations, pour leur expliquer la situation. «Mais ça n’à rien changé. Mon époux ne s’entendait plus avec sa famille à cause de moi. Parce que cette dernière voulait une femme capable de leur donner un enfant. Et moi je n’en avais pas. De jour en jour, les choses empiraient et je sentais que l’homme que j’aimais, n’étais plus heureux», raconte-t-elle.
La solution qui s’offre désormais à L.G, c’est de proposer le divorce pour aider son mari à retrouver les siens. «Une nuit, j’ai abordé le sujet avec lui. Je lui ai demandé de m’accorder le divorce pour pouvoir tenter sa chance avec une autre et être enfin heureux avec sa famille. Une nouvelle qui l’a surpris et qui l’a perturbé car, il ne voulait pas m’entendre prononcer de telles choses qu’il prenait pour des «idioties». Mon mari a même pleuré cette nuit-là. Je me rappelle et il a essayé de me consoler», déclare-t-elle.
L’idée du divorce n’ayant pas prospéré, il faut recourir à la médecine et aux tradipraticiens. En vain ! «Le temps passait, je me soignais, lui aussi faisait ses consultations. Je me rendais même chez des guérisseurs pour avoir leur soutien et cela n’a rien changé. Bien que l’on n’ait aucun problème, je ne pouvais plus supporter son malheur dont je me prenais pour responsable. Comme je l’aimais, je lui ai prié de me libérer. C’est ainsi qu’il m’a accordé, malgré lui, le divorce», confie-t-elle.
EN REALITE, L.G. N’ETAIT PAS LE PROBLEME
La séparation à l’amiable ouvre de nouvelles perspectives et a permis d’éclairer sur la «stérilité» ou non de la bonne dame. A en croire L.G., depuis 4 ans maintenant qu’elle s’est séparée de son époux, la mère du jeune homme a tout fait pour lui trouver une autre femme et il n’a toujours pas d’enfants. «Quant à moi, comme tu le vois, je me suis recasée ça fait juste 1 an et  demi. Et, je suis à 4 mois de grossesse. Je prie le bon Dieu de m’aider à conduire cette grossesse à terme et d’avoir cet enfant dans la paix la plus absolue», se réjouit-t-elle. Pour finir, l’air triste, elle confie: «néanmoins, mon ex-mari et moi gardons toujours de bonnes relations. Je sais aussi qu’il n’est pas heureux avec sa nouvelle épouse et en veut terriblement à sa famille, surtout à sa mère».
L. G n’est pas la seule à avoir vécu ce calvaire dans son foyer pour n’avoir pu «faire» d’enfants. Ndèye Yacine Thiam aussi en pâtit. Mariée, il y a 8 ans, à l’âge de 20 ans, nous raconte-t-elle, cette native de Saint-Louis, qui n’arrive jusqu’à présent à voir le sourire d’un enfant à ses cotés, raconte ses jours sombres avec ses belles sœurs et leur voisinage. «Moi, j’ai quitté mon foyer à cause de mes belles-sœurs qui ne pouvaient plus me supporter car je ne pouvais donner un enfant à leur frère. Je n’avais jamais la paix et tout le temps elles cherchaient à me créer des problèmes. Elles me lançaient des propos injurieux et malsains», narre-t-elle.
BELLES-SŒURS : L’AUTRE SOURCE DU MAL
La guerre ouverte engagée contre sa personne de se limitait pas seulement à la maison. Elles transposaient le conflit jusqu’en dehors du ménage: toutes les rencontres familiales, les cérémonies étaient des occasions pour la déstabiliser. «Même dans les cérémonies, quand on se croisait, elles cherchaient toujours le moyen de me déstabiliser ou de m’humilier devant les gens. Quand il s’agissait de faire les louanges à quelqu’un, elles faisaient tout pour me provoquer dans leur parole. A chaque fois, j’essayais  de me retenir pour ne pas tomber dans leur piège. Mais, je n’arrivais pas à connaitre la paix avec ces dernières», déplore-t-elle.
Heureusement, et contrairement à L.G., Ndèye Yacine Thiam pouvait compter sur le soutien de sa belle-mère. «Il y avait à côté de tout ça un soutien, une belle mère extraordinaire. Elle n’avait aucun problème et me prenait comme sa propre fille. Ce que ces dernières me faisaient ne lui plaisait pas. A chaque fois, elle essayait de les rappeler à la raison. A mon mari aussi, souvent elle lui parlait», témoigne-telle.
Néanmoins, Satan a un détour, elles ont eu raison de l’époux et ont réussi à briser le couple. «Mes belles sœurs ont réussi à convaincre mon époux qui a cherché une deuxième femme. Même avec l’arrivée de  celle-ci, mon époux était toujours attaché à moi. Mais quelques temps après avoir convolé en secondes noces, il m’a complètement délaissée au profit de l’autre pour qui, il avait plus de considération et de respect. Il n’avait plus mon temps et a fini par me laisser tomber. Devant cette situation, je suis allée voir deux marabouts qui m’ont confirmé que des femmes m’ont jeté un sort pour me séparer de mon époux. Ma grande sœur et moi avons tout fait pour que je récupère mon homme, mais c’était sans succès», chagrine-t-elle.
Face à une telle situation insupportable, regagner la maison familiale est devenu un impératif pour Ndèye Yacine Thiam. Toutefois, le contact n’est pas rompu car, dit-t-elle: «à chaque fois que je suis à Dakar, je passe dire un bonjour à mon ex-belle-mère dans sa boutique».
LES MEMES CAUSES NE PRODUISENT PAS LES MEMES EFFETS
Autant de témoignages de victimes qui montrent que l’infécondité est un fléau qui crée beaucoup de malheureux au Sénégal. Elle est à la base de la destruction de nombreux mariages. Et souvent ce sont les femmes qui paient les pots cassés. Anta Ndiaye ne fait pas exception à la règle. Cette habitante de Louga a fait son témoignage. Contrairement aux autres, Anta a été torturée par son propre mari qui l’a répudiée, parce que ne pouvant plus la supporter. Notre interlocutrice raconte qu’elle a trop souffert dans son premier mariage.
«Mon mariage n’a duré que 5 ans, mais j’en porte toujours les séquelles. Et pourtant, l’homme avec qui je me suis marié était un ami de mon oncle. Il a fréquenté notre maison familiale pendant des années avant qu’on ne tombe amoureux l’un de l’autre. Quand on s’est uni, il m’a ouvert une boutique de cosmétiques car, dit-il, ne voulait pas d’une femme au foyer. Les deux premières années de notre mariage étaient parfaites. On vivait en paix et le bonheur absolu et on s’aimait. Des mois après, j’ai constaté des changements chez-lui. Il n’était plus le même et rentrait tardivement de son travail, ce qu’il ne faisait pas avant. Dès fois, quand je lui servais à manger le soir, il disait ne pas avoir faim. Ainsi, j’ai remarqué qu’il ne s’intéressait plus à moi comme au début de notre union. Ce, jusqu’au jour où il me dit ouvertement son envie d’avoir un enfant».
DESIREUX D’UN ENFANT: LE MARI LACHE LA «BOMBE»
Désormais, Anta Ndiaye a trouvé une réponse à ses interrogations. Les explications du changement de comportement de son mari résident dans le désir de celui-ci d’avoir un enfant. «J’étais très chagrinée de le voir souffrir pour ça. On a commencé à aller voir des médecins mais aussi les tradipraticiens. A notre 3ème année de mariage, alors que nous suivions toujours nos traitements, il m’a informé qu’il va prendre une deuxième femme. Cela ne m’a pas plu mais, comme il s’agissait de son bonheur, j’avais accepté car tout ce qui comptait pour moi c’est qu’il soit heureux».
Et, seulement «six mois après, ma coépouse est tombée enceinte. En ce moment je pensais qu’il allait être soulagé puisque son vœu s’est réalisé. Mais après l’accouchement de cette dernière, il m’a demandé de retourner chez mes parents, le temps qu’il réfléchisse sur notre relation. Ce que je n’ai pas voulu entendre. Ainsi, je lui ai proposé de réunir les parents pour prendre une décision et m’accorder le divorce si c’est ce qu’il voulait.  On a fini par le faire et me revoilà chez mes parents depuis quelques temps. Et, le pire, c’est que je n’ai même plus envie de me marier. Malgré tout, je poursuis mes traitements», révèle la dame.
OUSTAZ AIOUNE SALL, PRECHEUR A SUD FM, «Dieu donne des  enfants à qui il veut»
Si la sociologie aborde le phénomène sous cet angle, la religion circonscrit entièrement le mariage dans le domaine divin. En effet, de l’avis d’oustaz Alioune Sall, prêcheur et chef du Desk religieux de Sud Fm, le contrat du mariage ne prévoit en aucun cas des enfants. Le couple vit dans l’espérance d’en avoir, mais ni l’un, ni l’autre des conjoints ne doit être tenu pour responsable de l’absence d’enfant au sein du foyer.
Selon oustaz Alioune Sall, dans la Sourate «A’achura» (Démocratie ou Dialogue) du Saint-Coran, Dieu, par sa Grandeur, s’attribue toutes les prérogatives concernant ce qui arrive ici-bas et ce qui s’en suivra même. Il dit: «c’est à Moi qu’il incombe de donner à une femme des enfants, tous des garçons, ou uniquement des filles, ou encore de lui en priver tout simplement». Et, «le maître de maison (le mari) doit être en mesure de savoir cela et d’empêcher que sa femme soit traitée d’ «inféconde». Il doit avoir une certaine autorité pour que de tels propos ne se profèrent à l’endroit de sa femme», nous apprend-il.
D’ailleurs, relève oustaz Sall, l’enfant ne se conçoit pas seulement par la femme, l’homme y joue sa partition (50% même): «le souci peut être d’un côté comme de l’autre. Pour en avoir le cœur net, voir un docteur est vivement conseillé. Car, un bon suivi médical et parfois même une opération chirurgicale, suffisent pour résoudre le problème, si Dieu le veut. Comme dit d’ailleurs le proverbe français: ‘’l’homme propose, Dieu dispose’’. Pour les femmes, il ne faudrait pas s’attacher à la fameuse formule: ‘’Ce que femme veut, Dieu le veut’’», conseille-t-il.
Il n’a pas manqué de déconseiller de s’attacher les services de charlatans ou soi-disant marabouts capables de tout. «Plusieurs marabouts, pour ne pas dire charlatans, soutiennent pouvoir soigner la stérilité. Mais s’adresser à un spécialiste peut rassurer ou orienter. S’il y a un défaut dans les constituants fondamentaux du fœtus qui aboutissent à l’enfant, aucun marabout ne peut prétendre guérir la femme dans une telle situation. Par conséquent, si l’analyse faite, avec l’aide d’un docteur, est concluante, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de disfonctionnements chez les deux partenaires, le problème peut être une affaire de génie que certains guérisseurs peuvent résoudre», soutient-il.
N’empêche, rappelle oustaz Alioune Sall, « tout relève du domaine divin ». Toutefois, des prières peuvent être formulées selon le cas. Et, «les marabouts qui font de la publicité à la télé en disant pouvoir traiter ce phénomène ne sont pas forcément les meilleurs dans le domaine. Les professionnels réagissent par des actes plus que par des paroles», fait remarquer Oustaz Alioune Sall.
HADIYA TANDIAN, DOCTEUR EN SOCIOLOGIE , «La nativité, en plus d’être un symbole de bonheur  et de richesse, a un enjeu d’héritage et de présence»
S’il y a un fait sociologique jugé difficile à expliquer, c’est bien la stérilité. La femme qui s’y frotte, affronte conjointement le désarroi, consciente que la nativité, en plus d’être un symbole de bonheur et de richesse, a un enjeu d’héritage et de présence. Pour le sociologue Hadiya Tandian,  les questions de la stérilité et celle des abus sexuels ne sont pas tout à fait liées. Dans chaque domaine, il y a des brebis  galeuses, c‘est-à-dire des personnes qui ne sont pas maîtres dans l’art, mais qui s’efforcent d’amadouer ceux qui sont en mauvaise posture.
Selon le Docteur en sociologie Hadiya Tandian, s’il y a un fait sociologique difficile à expliquer, c’est bien la stérilité. La femme qui s’y frotte, frotte conjointement le désarroi. Les questions de la stérilité et celle des abus sexuels ne sont pas tout à fait liées. Mais dans chaque domaine, il y a des brebis galeuses, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas maîtres dans l’art, mais qui s’efforcent d’amadouer ceux qui sont en mauvaise posture. Et, ceux qui exercent dans ce secteur manquent parfois de perspectives. Ils profitent de la faiblesse et de la naïveté de ces femmes déchues pour se préoccuper d’autre chose que de sa guérison.
En effet, souligne-t-il, ces femmes qui sont sous le coup de l’infertilité, sont en général désemparées. La nativité, en plus d’être un symbole de bonheur et de richesse, a un enjeu d’héritage et de présence. «Dans la société africaine, la femme, quand elle ne procrée pas, commence à douter d’elle. L’entourage, du fait de la valeur importante qu’acquiert le mariage, la tourne en dérision. Elle devient la risée du regard social et est victime de commérages», révèle M. Tandian.
D’ailleurs, déplore le sociologue en service à l’Institut de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES), un grand nombre de divorces est noté chez les femmes sans enfants. «La  recherche de remèdes devient imminente mais, si voir un gynécologue est relégué au second plan aujourd’hui, c’est à cause du manque de moyens. La connaissance des marabouts étant louée partout au Sénégal, elles se résolvent à y chercher secours. La gynécologie, loin d’être un rite chez-nous, recueille un refus d’assimilation de la part de certains», explique-t-il.
Pour Hadiya Tandian, du mariage, dérivent beaucoup de bienfaits. «C’est un lien structurant qui engendre de nouveaux statuts. Et non porteur de fruits, un bouc-émissaire est vite recherché, d’où la stigmatisation». Cependant, il faut toutefois rappeler que si la religion n’avait pas recommandé le mariage, personne ne se serait privé d’une liberté certaine. «On se marie par amour dans l’espoir de fonder une famille. La société en fait une chose plus propre à elle qu’à Dieu. Cette dimension sociale du mariage fait même déposséder Dieu d’une de ses prérogatives», conclut M. Tandian.
FATOU KINE CAMARA, PRESIDENTE AJS , «Il est temps que la société comprenne ces victimes…»
Selon Mme Fatou Kiné Camara, présidente de l’Association des Juristes Sénégalaises, la société devrait aider les femmes «stériles» au lieu de les stigmatiser ou les incriminer. «Il est temps que la société comprenne ces victimes et qu’enfin on se retourne vers les violeurs en appliquant en justice  les peines prévues par la loi. La loi prévoit cinq ans de prison minimum et dix ans maximum ou encore plus de dix ans en cas de séquestration. Mais à chaque fois, on trouve des circonstances atténuantes pour le violeur. Et vous, en tant que journalistes, vous devrez nous aider à ce niveau, en évoquant que les juges sont très indulgents lorsque des violeurs encourent des peines de deux ans pour leurs actes», accorde-t-elle.
Pour la juriste, avant, la polygamie n’était pas si répandue. C’était seulement lorsque la femme n’avait pas d’enfant que l’homme prenait une deuxième. Mais la première couvait tous les enfants. Si c’était du côté de l’homme, la femme avait un amant avec lequel il avait des enfants pour couvrir l’impuissance du mari. Cela se faisait en toute discrétion, les gens du dehors n’y savaient rien.
De nos jours, pour se soustraire de ce fardeau qu’est la stérilité, nombre de femmes sont prêtes à tout ou presque. Pis, plusieurs d’entre elles sont victimes d’abus sexuel. Cela résulte de l’œuvre de ceux qui prétendent être des guérisseurs de tout. Ici, des femmes, perdant tout espoir de sentir un jour le bonheur de mettre au monde un enfant, se retrouvent dans de telles postures. A la fois profiteurs et charlatans, ces gens qui ne craignent point, on dirait, Allah (Dieu) se laissent emporter par leur instinct animal, profitant de la désolation de ces dames «improductives», condamne-t-elle.
Conséquences : ces dernières se retrouvent entre le marteau et l’enclume, car se situant entre le désarroi et le rejet catégorique de leur entourage. Certains évoqueront la naïveté là où d’autres seront plus cléments en avançant l’envoûtement. Ce qui n’est pas à exclure de nos jours, vu le nombre exponentiel de féticheurs existant au Sénégal. Parce que certains de ces tradipraticiens n’hésitent pas à assouvir leur désir, quel qu’en soit le prix, leur connaissance est souvent taxée de médiocre et les pratiquants craints de toute force.
A en croire Fatou Kiné Camara, le phénomène prend de l’ampleur, le tribunal reçoit beaucoup de cas d’abus sexuels dûs à ces mâles affamés. Seulement, du point de vue statistique, la juriste ne saurait avancer un chiffre. «C’est un phénomène qui prend du large, tous les moyens sont utilisés pour violenter sexuellement les femmes. C’est un sujet tabou, personne ne veut partager l’expérience vécue. Traumatisme et peur pourront l’expliquer».

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