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Sénégal : dans les coulisses du JT rappé

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Alors qu’il entame sa troisième saison, le JT rappé sénégalais s’est imposé comme un impertinent contre-pied à l’info traditionnelle, faisant le « buzz » sur le Net et la chaîne 2STV. Son habillage sur fond rouge créé par Level Studio et surtout son lancement sont devenus familiers au public sénégalais : « Bienvenue installez-vous. On a des nouvelles pour vous ! » Des nouvelles qui tapent souvent là où ça fait mal.

Dans le dernier épisode, à l’occasion de la visite du roi du Maroc au Sénégal, un invité EMD, en direct de Casablanca, s’est fendu d’un couplet sur les conditions de vie des Sénégalais expatriés au Maroc. La saison 2 prenait déjà position, entre autres, sur « l’indignation à géométrie variable » des chefs d’Etat africains, en fonction du lieu où se produisent les attentats (à Paris ou en Afrique), ou le sommet USA-Afrique « dans lequel Obama a convoqué les chefs d’état africains pour… rien ! »

Aux manettes, ils sont deux : le grand avec des dreadlocks est Xuman (prononcer Roumane). Il rappe la partie française. L’autre, petit et trapu, est Keyti, il s’occupe du wolof. Depuis deux ans, pour ne pas user leur concept, ces vieux routiers du rap sénégalais, anciens des groupes Pee Froiss et Rap’Adio, ont multiplié les invités hip-hop de la nouvelle génération : PPS, Books, Mo Marginal, Ngaaka blindé, ou de l’ancienne comme Didier Awadi. Et les parodies, comme « Merci Mimi » en référence au limogeage de l’ancienne premier ministre Mimi Touré en 2014, après sa défaite aux élections municipales dans la circonscription de Dakar.

Le journal s’est décentralisé en région, lors des élections locales de 2014, avec des correspondants rappeurs à Touba-Diourbel, Ziguinchor, Saint-Louis, Rufisque et Tambacounda. « On a leur a demandé de montrer ce qui se passe chez eux, précise Xuman. On est aussi beaucoup plus mobiles pour faire des reportages, comme pendant le Forum mondial social en Tunisie. »

Comme ce journal rappé est diffusé gratuitement et qu’il a un coût, il a fallu avoir recours à des ONG : « Open Society Initiative for West Africa nous a alloué une subvention de cent mille dollars pour notre matériel et nos déplacements. » Le fait que cette ONG, qui soutient le mouvement « Y en a marre », émane du milliardaire américain George Soros est sujet à controverses. « C’est facile de critiquer en disant que l’argent vient d’ici ou de là alors qu’il n’y a pas d’alternative !, martèle Keyti. Au Sénégal, des initiatives artistiques n’ont pas survécu faute de mécènes. A aucun moment on n’a voulu nous faire aller dans certaines directions. Au contraire. On nous a dit dès le départ : « Vous avez votre liberté artistique ! »

Cette liberté de ton n’a pas été si facile à imposer. « Des directeurs commerciaux nous ont refusés sous prétexte que, même si c’est un des meilleurs programmes du marché, on parle de politique ! assure Xuman. Si une ONG veut relater un message dans le journal on en fixe le coût. On est en train de faire une campagne de sensibilisation sur la reproduction avec une ONG de santé. Depuis quelques années, les spots radios ne sont plus suffisants. On arrive à toucher les jeunes, fans de hip-hop, via les réseaux sociaux. »

« Elle aurait pu me vendre sur place… »

De leur atelier de formation en Côte d’Ivoire, en février, est né un petit journal rappé bis : le journal gbayé de Nash et Smile, diffusé sur la chaîne nationale RTI. « Chaque quinzaine, ils produisent un contenu local, explique Xuman. On communique sur Internet en se partageant des fichiers et on leur fait profiter de notre plate-forme sur les réseaux sociaux. C’est une collaboration faite pour durer. »

D’autant que l’identité linguistique ivoirienne qu’est l’argot nouchi rend ce journal gbayé particulièrement savoureux : « Il y a une forte communauté de locuteurs du nouchi. Un peu partout en Afrique, il y a un problème d’analphabétisme. Utiliser les langues locales c’est la meilleure façon d’être au cœur des préoccupations quotidiennes des populations. Leur parler de politique, de social, d’économie, d’actualité internationale dans une forme humoristique qui va droit au but. »

La rappeuse Nash excelle dans le nouchi, au point d’en avoir fait un dictionnaire : « Au Djassé d’Adjamé, un quartier très populaire d’Abidjan, elle dialoguait avec des vrais “nouchis”. J’étais perdu ! Elle aurait pu me vendre sur place… Son journal a parlé à la diaspora ivoirienne en Europe et aux dirigeants de la RTI qui se sont intéressés au projet. » Pour le reste, les deux acolytes explorent des pistes pour étendre leur JT à un autre pays, qui pourrait être le Bénin ou le Niger.

Julien Le Gros

lemonde.fr

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