Dans son célèbre livre La trahison des clercs, Julien Benda fait mention de deux types de citoyens: les laïcs – qui sont des gens « ordinaires » composant la majorité des populations -, et les clercs pour désigner les intellectuels. À la différence des premiers qui peuvent ne pas avoir une très « grande influence » dans leur société, les seconds, grâce à leur savoir et leur comportement censé être exemplaire, ont, selon Benda, le devoir, voire l’obligation de jouer le rôle de défenseurs perpétuels et désintéressés des valeurs cléricales qui sont entre autres la justice, l’honnêteté, la vérité, le bien, la beauté, la raison, etc. Mais, malheureusement, pour des intérêts pratiques tels que la course aux richesses, la recherche effrénée de gloire et de prestige, la propagande idéologique, l’esprit de classe ou de parti…nombre d’entre ces clercs ont lamentablement failli à leurs missions au contact du monde politique et du pouvoir. Bien que Julien Benda fasse référence dans le livre aux intellectuels européens en général et français en particulier, l’on est tenté, après l’avoir parcouru, de mesurer les rapports existant entre les clercs ou prétendus tels de son pays et le pouvoir politique en place à l’aune de quelques-unes des valeurs de la cléricature.
Aussi me suis-je aventuré à jeter un petit coup d’œil sur les relations qu’entretiennent certains des intellectuels sénégalais avec le pouvoir. Ce qui est une tâche d’autant plus ardue que le rôle de ces derniers demeure souvent un sujet de controverse dans le monde en général. Pour autant, dans notre pays, quelques-uns des intellectuels – en l’occurrence des journalistes, avocats, professeurs d’université, etc.-, qui étaient réputés être de véritables chiens de garde ont retourné leur veste aussitôt qu’ils ont rejoint le camp du pouvoir. Peut-être l’avaient-ils mal mise – ce qui est très peu probable – ou ne croyaient-ils pas du tout aux idées pour lesquelles ils s’étaient battus avant de goûter aux délices du pouvoir. Cette seconde hypothèse semble de loin la plus plausible. D’autant que, d’habitude virulents et si prompts à attaquer les écarts des différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir, ils se sont tus et ont fermé les yeux sur les dérives du pouvoir en place dès que celui-ci les a nommés, qui ministre ou ministre-conseiller, qui directeur de société… Pis, ils n’hésitent même plus à prendre la plume et le micro pour défendre ses décisions iniques, dussent-ils renier leurs déclarations antérieures ou leurs écrits. Dès lors, ce n’est pas étonnant qu’ils soient devenus ses inconditionnels mercenaires et ses « idéologues ». Dans l’opposition, ce n’est guère mieux. Derrière presque toutes les valeurs que la plupart des intellectuels des partis opposants prétendent défendre, se cache le désir de déstabiliser le gouvernement en place afin de baliser la voie menant au pouvoir lors des prochaines élections. Du coup, les préoccupations du peuple sont devenues le dernier des soucis de notre élite politique. Par conséquent, se sentant trahi, celui-ci perd totalement confiance en ses dirigeants et déserte de plus en plus le terrain politique; laissant ainsi le champ libre à quelques groupes de gens qui sèment un grand chaos dans la gestion des affaires de la cité. Ce qui donne malheureusement raison à Cheikh Aliou Ndao qui affirmait dans Mbaam dictateur qu’« Il n’y a pire qu’une époque trahie par ses intellectuels. Ayant eu la chance de posséder un esprit éclairé par le savoir, leurs compatriotes ne s’attendent pas à ce qu’ils abandonnent la voie de la vérité. »
Il existe cependant d’autres clercs, de véritables francs-tireurs, qui dénoncent objectivement les dérives des élus et ne cessent de se battre pour le règne des bonnes valeurs dans la vie politique du pays. Mais dans beaucoup de cas, ils sont combattus par les sbires du pouvoir à travers chantages, intimidations… Ces situations doivent pousser les populations à plus prendre conscience de leurs forces et à briser le plafond de verre les séparant de leur élite politique. Mais dans notre pays il y a un si grand complexe des diplômes et des titres que beaucoup de gens valeureux, n’ayant pas un certain niveau d’étude, croient que les hautes sphères de l’État sont réservées juste à certaines catégories de personnes. Or, sans pour autant être un gage de compétence, les diplômes et les titres peuvent être juste ronflants.
En définitive, pour bien servir son pays rien ne vaut plus que le patriotisme, le sens des valeurs et l’abnégation. Sans pour autant négliger la connaissance et un bon entourage. Il ne faut pas perdre de vue que Luiz Ignacio Da Sylva, Lula, ancien Président du Brésil était syndicaliste et métallurgiste et Lech Walesa, ancien Président de la Pologne était électricien. Leur bas niveau d’étude, comparé à celui des élites politiques habituelles, ne les a pas empêchés de présider aux destinées de leur pays Animés qu’ils étaient par leur patriotisme et leur désir de servir, ils ont fait des réalisations pour leur peuple nonobstant les scandales dans lesquels ils ont pu être impliqués. Donc, le peuple doit s’impliquer davantage dans la gestion des affaires de la cité. Il doit réveiller et s’unir comme un seul homme pour combattre la dérive des élites.
Bosse Ndoye
Montréal
Auteur de : L’énigmatique clé de l’immigration; Une amitié, deux trajectoires; La rançon de la facilité