Alain Léauthier, envoyé spécial de Marianne au Sénégal a rencontré Didier Awadi, un rappeur engagé. Il dénonce la corruption et le népotisme dans son pays. Il appelle également à la mise en place d’une politique protectionniste pour développer l’auto-suffisance alimentaire.
La quarantaine paisible, le garçon a la réputation d’être une sorte d’anti-Youssou N’dour à Dakar : ses engagements alter mondialistes et la simplicité de son mode de vie tranchent avec le goût du pouvoir et de l’argent que l’on prête à « l’Etoile de la Médina ». Même s’il refuse de se cantonner à ce rôle, Awadi a été promu un peu malgré lui artiste critique du régime le plus crédible. Et Wade a de la chance d’avoir des opposants de tel valeur. Verbatim d’un entretien mené par une douce nuit de février.
Wade a le stress du temps qui passe
Pendant ce temps, dans la banlieue, il y a un million de personnes qui vivent sans hôpital, souvent sans l’eau ni l’électricité. Rien de sérieux n’est fait pour améliorer leur existence. Wade avait carte blanche pour faire bouger ce pays. Beaucoup y croyaient. Qu’a-t-il changé ? La constitution…ça oui, il y a beaucoup touché, il l’a même tripatouillée mais la vie des gens…
L’agriculture est dans un piteux état. Il a lancé un plan pour la dynamiser, franchement on en voit pas beaucoup les effets. Il faudrait prendre des mesures protectionnistes pour défendre nos produits, les Occidentaux le font bien eux.
Mais je rêve…Wade n’est pas dans cette logique. Qui a-t-on vu s’enrichir depuis quelques années ? Son clan, celui de son parti, le PDS (Parti démocratique sénégalais). Il y a dix ans, ces gens se déplaçaient en bus, aujourd’hui ils conduisent des 4X4, des 8X8, que sais-je… Comment se sont-ils enrichis aussi vite ?
Le Sénégal est un pays relativement petit. On se connaît tous. Nous sommes allés quelquefois ensemble à l’université et l’on voit des médiocres accéder à des postes de pouvoir. Et s’enrichir. Je ne suis pas naïf, la corruption existe sous toutes les latitudes, ce n’est pas un mal spécifiquement africain. On n’attend pas de nos gouvernants qu’ils soient des saints mais il y a tout de même des limites et, dans ce pays, elles ont été franchies.
On dit de Wade qu’il est mal entouré…mais je n’entre pas dans ce petit jeu. Qu’il assume ses choix, c’est lui qui a nommé ministres et conseillers ! C’est lui aussi qui accepte de confier autant de responsabilités et de pouvoir à son fils Karim et lui rend le pire des services en agissant ainsi. Les gens sont écoeurés par cette dérive monarchique et il en fera les frais un jour ou l’autre.
Une autre Afrique est possible
Wade, comme tant de dirigeants africains, ne s’attaquent pas aux vrais problèmes : il faut protéger le peuple ! Je suis protectionniste à 200%. Nous devons renégocier nos relations commerciales et tout ce qui touche à notre souveraineté avec l’Union européenne, les Américains ou les Asiatiques. Nous devons être libres, autonomes, indépendants des grandes puissances et développer notre autosuffisance alimentaire
Je ne suis pas anti-français, j’ai bénéficié de l’aide du Centre culturel quand j’ai démarré à Dakar mais je suis révolté quand les dirigeants français nous parlent de haut de règles de bonne gouvernance nécessaires… Très bien mais que ne vont-ils le dire aussi dans les pays du Golfe, en Arabie Saoudite…Curieusement, par rapport à ces pays, ils sont muets ! Voilà de vrais enjeux !
Une autre Afrique est possible et si nos dirigeants ne le réalisent pas, la violence menace. Je ne l’encourage pas, mais je ne suis pas sûr que la société sénégalaise soit aussi apaisée que certains le croient. Aucune société n’est apaisée et la violence ne demande qu’à s’exprimer. Je suis libre de le dire c’est vrai mais c’est le minimum qu’on puisse exiger non ?
»Didier Awadi met la touche à une version enrichie de son disque « Présidents d’Afrique ». On en reparlera ici.
Pour une plongée plus détaillée dans les diverses affaires de corruption entourant le régime, il faut se procurer les livres du journaliste d’investigation Latif Coulibaly, tous disponibles chez L’Harmattan, notamment le dernier « Comptes et mécomptes de l’Ani », relatif à l’Organisation de la Conférence islamique à Dakar en mars 2008.
À lire aussi, deux romans de l’écrivaine et cinéaste franco-sénégalaise Laurence Gavron, définitivement installée dans le pays en 2002 après y avoir voyagé depuis plus de vingt ans.
Sur fond d’enquête policière, Boy Dakar, publié en 2008 et Hivernage en 2009 font pénétrer dans l’univers des petits et grands trafics où se côtoient voyous, prostitués, marabouts bidons et corrompus et Dakarois « ordinaires ». Il y est question du poids de la religion, des préjugés, de la polygamie, de la débrouille et de la survie quotidienne du « petit peuple ». tous deux disponibles aux Editions du Masque.
En effet, ce n’est plus une question d’hommes, mais de systeme.En dehors des débats république pas république, européen, américain, africain et je ne sais quoi encore, c’est une question de changement de paradigme.Il nous faut adopter d’autres types de schemes.Il faut que de nouveaux messages soient délivrés par une génération de rupture, pas de fils de (c’est la même chose que fils conducteurs) sinon tout va se re-produire (en pire) jusqu’à la fissure.
🙂