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Sénégal : Pape Alé Niang, quand l’investigation mène en prison (par Hélène Boucher)

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Depuis le 6 novembre dernier, Pape Alé Niang journaliste et directeur du site d’information est derrière les barreaux de la maison d’arrêt et de correction de Sébikotane, non loin de la capitale.

Il est accusé d’avoir divulgué des informations secrètes autour d’une inculpation présumée de viol à l’endroit d’Ousmane Sonko, rival de l’actuel chef d’état Macky Sall. Des informations qui pourraient décrédibiliser le pouvoir, selon le procureur chargé de l’affaire.

Malgré la visite du secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, le 1er décembre à la prison, et sa demande sans concession de libération immédiate, l’étau s’avère toujours maintenu. Pour saisir l’enjeu de taille, la Coordination des associations de presse (CAP) en la personne d’Ibrahima Lissa Faye et le journaliste chroniqueur Walf TV Pape Sane osent s’exprimer.

Agressions contre la presse

Pape Alé Niang était loin de se douter qu’il allait être arrêté de force par les forces policières. Les motifs de son arrestation sont rappelés par Ibrahima Lissa Faye, pilier du CAP et directeur de publication du site Pressafrik : « diffusion d’information militaire estampillée secrète, et diffusion de fausses nouvelles tendant à nuire à la morale de l’ordre public ». « Il a été enlevé au centre-ville de Dakar en train de réparer son pneu de véhicule, manu militari jusqu’au commissariat central, en garde à vue pour trouble à l’ordre publique », poursuit-il. 

Trois jours après l’incarcération de leur confrère Pape Alé Niang, la CAP enclenche un plan d’action. La peur au ventre, une campagne de mobilisation s’érige sur les réseaux sociaux, main dans la main avec des organismes de défense comme Amnesty international et des avocats adhérant à la cause. Une grande marche de solidarité avec le peuple s’est tenue à Dakar le 18 novembre, avec pancartes et banderoles de plaidoyer hissées haut.

Confusion entre communication et information

Bien que le dernier emprisonnement au Sénégal d’un membre des médias remonte à 2004, le musellement des journalistes constitue une pression palpable du quotidien. Pape Sane, également directeur de publication du site Atlanticactu.com déplore cette affaire. Il a lui-même vécu un épisode tragique en septembre 2017. Suite à la révélation de la divulgation d’un pot de vin colossal qu’aurait versé une société malaisienne à l’ex ministre de l’Intérieur, il est agressé au poing et frôle la perte d’un œil lors de l’altercation.

Il déplore qu’aucune loi encadrant l’accès à l’information n’existe au Sénégal, contrairement aux pays où règne la démocratie. Un enjeu de taille qui entrave la mécanique de l’enquête. « Lorsqu’on investigue sur la magistrature, les finances publiques, le militaire ou le secteur minier au Sénégal – en somme dans les services d’état – ce sont les chargés de communication qui interviennent. Ceux-ci agissent en mode promotion de leur ministère », témoigne-t-il, ajoutant disposer de son propre réseau d’influence pour recueillir une information juste.

Risque sur les élections de 2024

Le Sénégal est balayé par une crise politique depuis mars 2021. Une affaire nébuleuse de mœurs entre l’opposant de Macky Sall, Ousmane Sonko et une jeune femme Adji Sarr a soulevé le pays lors de son arrestation, entraînant des violences meurtrières de citoyens par les forces de l’ordre. Des journalistes furent brutalisés, le siège du quotidien Le Soleil incendié, les signaux de captation des télévisions SEN TV et Walf brouillés, se remémore M. Faye. « Les reporters terrain ont peur car ils risquent leur vie ! Les entreprises de presse de proximité avec l’opposition risquent gros », conclue le membre du CAP, préoccupé par un troisième mandat illégal encore plausible de l’actuel président du Sénégal et les hostilités à prévoir.

Sans détour, Pape Sane ajoute qu’un journaliste critique envers le parti au pouvoir devient rien de moins qu’une « bête à abattre ». À l’instar de ses pairs, il a choisi la vocation d’investigation, avec les risques que cela comporte. Exercer dans la république du Sénégal, au nom de cette constitution comporte son lot de tensions.

« Choisir le journalisme ici, c’est déjà avoir un pied en prison… », constate-t-il.

Depuis sa cellule, Pape Alé Niang a amorcé une grève de la faim le 2 décembre en réaction à son incrimination. Un communiqué du CAP révèle son état d’esprit : « J’ai décidé d’observer une grève de la faim pour dénoncer mon enlèvement, ma séquestration et ma torture psychologique dans les locaux de la (police), mon emprisonnement injuste et arbitraire à la prison de Sébikotane ». Le Sénégal arrive au 73e rang sur 180 pays en matière de liberté de presse selon le classement de RSF.

Hélène Boucher

Journaliste indépendante et reporter voyage, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest

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