Langston Hugues, poète de la Negro renaissance américaine célébrant avec faste la couleur de sa peau et revendiquant courageusement son histoire déclarait dans le manifeste marquant la naissance de leur mouvement : « Nous savons que nous sommes beaux. Et laids aussi ».
Il n’y a aucun peuple parmi ceux civilisés qui ait renié son histoire et fermé les yeux sur son passé qui a réussi à se projeter vers l’avant, et se développer.
Les autodafés ne sont pas des inventions de l’histoire. Le massacre de la Saint Barthélémy n’est pas une légende. Le peuple d’Angleterre connut des rois sanguinaires qui commirent les pires atrocités. Jean Sans terre fit emprisonner Richard Cœur de Lion sur le chemin du retour des Croisades, pour usurper ignominieusement son trône. Les pires exactions et exécutions sanguinaires furent perpétrées en Europe, au nom de la religion ou au service de la royauté, dont les représentants furent longtemps considérés comme un dieu sur terre, jusqu’aux révolutions d’Angleterre qui enfanta la monarchie constitutionnelle et française dont le point d’orgue fut l’exécution du roi Louis XVI.
Aux USA, la fin de l’esclavage conduisit à la guerre de sécession et à l’assassinat de Lincoln.
Plus proche de nous, La Nuit des longs couteaux qui consacra la prise de pouvoir d’Hitler et le basculement de l’Allemagne dans le fascisme est encore vivace dans les souvenirs de la longue marche des nations occidentales vers la liberté.
Ces nations ont accepté leur histoire pour assumer lucidement leurs passés, elles ont regardé frontalement et avec objectivité les pages les plus sombres de leur évolution vers la civilisation qui fait leur force aujourd’hui, elles en ont tiré les leçons et ont voté des lois pour punir toute velléité de rebasculement vers ces tragédies humaines, et édifié des monuments pour honorer la mémoire des victimes, et les héros qui y ont mis courageusement fin.
Au Sénégal, notre Histoire nous a échappé.
Nos archives sont détenues par la France ancienne puissance coloniale qui garde notre mémoire loin de chez nous, et refuse obstinément de nous remettre nos vestiges et symboles civilisationnels sans lesquels aucun peuple ne peut se réapproprier son passé comprendre son présent et se projeter dans un futur voulu imaginé et construit par ses propres soins.
Ajoutons à cela la fausse pudeur dont on couvre des pans entiers de notre histoire car nous en aurions honte et mauvaise conscience, et la volonté inavouée de passer sous silence les hauts faits religieux et politiques qui l’ont marquée d’une trace pourtant indélébile, et nous comprendrons pourquoi nous sommes aussi extravertis et superficiels.
Un chercheur universitaire fait des recherches sur la vie et la mort par exemple d’un Lat Dior. Un griot chantre de la tradition orale ou un responsable des archives lui dira telle chose s’est passée ayant abouti à sa mort, par la complicité active de quelqu’un dont il est impossible de dire le nom, car ses descendants sont toujours vivants.
Cheikh Ahmadou Bamba était épié par des espions qui rendaient compte au colon et il était combattu par des marabouts à sa solde dont les rapports circonstanciés et les récriminations contre lui sont soigneusement consignés dans des dossiers qu’il ne faut surtout pas citer car leurs descendants sont là aussi !
Nous bridons volontairement notre histoire et refusons délibérément par-là de l’assumer, et donc de nous assumer.
À ce rythme il y a de quoi se demander de quelle Histoire du peuple sénégalais allons-nous finalement parler ?
Qu’est-ce qui nourrira notre mémoire collective et cimentera notre Nation pour la rendre Une ?
Ce n’est certainement pas cette histoire racontée selon le point de vue du colon qui présente nos rois comme des ivrognes lubriques corrompus et veules que l’on tue au bout d’une longue poursuite d’un coup de sabre dans le dos et de nos guides religieux qui auraient passé leur temps à dormir et se reposer durant tout leur exil gabonais !
Il nous sera impossible de nous développer et de construire notre futur sur de solides valeurs qui nous ancreront authentiquement dans la voie que nous nous serions choisi pour nous développer, si nous continuons à refuser de voir notre histoire en face, pour l’accepter et vivre avec elle, selon qu’elle soit belle ou laide !
Les japonais sont dans le top 4 des pays développés. Ils sont résolument ancrés dans leurs us et coutumes.
Le Rwanda a connu l’un des pires génocides de l’histoire, ils ont créé un mémorial, se sont regardé dans les yeux pour se dire leurs vérités et se sont comme une seule nation projeté vers un futur qu’ils construisent désormais selon leur propre vision. Ils ont rompu avec le français comme langue officielle, adopté l’anglais, et restent ferrés à glace sur leurs convictions de pays libre ambitieux pleinement indépendant qui ne devra son développement qu’à son propre génie, selon le systéme politique qu’il adoptera souverainement sans aucune influence extérieure.
Pendant ce temps nous autres pauvres sénégalais continuons de refuser de regarder notre histoire en face et de nous l’approprier, comme si nous avions peur d’affronter notre passé et plus grave encore de célébrer et d’exalter notre richesse culturelle, et nos valeurs civilisationnelles .
Et nous sommes en conséquence contents que la France emprisonne notre mémoire et nous coupe d’une partie de notre histoire sans laquelle nous ne pouvons souverainement construire un idéal de nation capable de nous porter vers l’émergence.
C’est un crime.
Surtout que nous avons renoncé à notre passé et ne voulons en connaitre que ce que les nouveaux griots maitres-chanteurs modernes nous disent !
Pauvre Sénégal !
L’auteur Cissé Kane NDAO
Du coq à l’âne. Pauvre con !