Le cinquantenaire de l’indépendance a été l’occasion, pour le président du Sénégal Abdoulaye Wade, comme l’auraient fait tous les chefs d’État du monde, d’offrir un spectacle médiatico-politique et de servir à la population de copieux discours, faute de nourritures plus terrestres.
Le président a inauguré à cette occasion un monument dédié à la « Renaissance africaine », gigantesque famille de bronze de 50 mètres de haut qui aura coûté la somme de 9 milliards de francs CFA (140 millions d’euros). Devant les critiques suscitées par cette énorme dépense, Wade a prétendu que la construction de l’œuvre par une société nord-coréenne n’aurait rien coûté à l’État, puisque son financement aurait été assuré par la vente d’un terrain à la caisse de retraite sénégalaise. À l’État, peut-être, mais à la population ? Pour lui-même, en tout cas, le monument devrait être bénéfique, puisque, s’en attribuant la propriété intellectuelle, Wade attendrait plus de 30 % des recettes provenant de sa reproduction, et même, selon certains, du restaurant de luxe et de la salle de conférences attenants.
Espérée en décembre dernier avec la vidéo-participation de Sarkozy depuis la tour Eiffel, l’inauguration a dû être reportée aux fêtes du cinquantenaire de l’indépendance. Faute de Sarkozy, le président Wade n’a eu droit qu’à Brice Hortefeux, le ministre français de l’Intérieur. Un symbole en quelque sorte des « liens historiques, amicaux et affectueux qui – aux dires d’Hortefeux – unissent le Sénégal et la France ».
En effet : comme l’a déclaré Wade, le Sénégal a « repris sa souveraineté », après cinquante ans d’indépendance, sur les bases militaires françaises installées à Dakar. Et ses paroles, contestant cette présence « de plus en plus incongrue et souvent ressentie comme une indépendance inachevée », exprimaient vraisemblablement le sentiment d’une grande partie de la population. Mais la présence militaire française au Sénégal, même hypothétiquement réduite de 1 200 à 200 ou 300 hommes réunis dans ce que le ministre Hervé Morin appelle un « pôle de coopération militaire à vocation régionale », ne disparaît pas pour autant.
Quant à la Françafrique que les militaires appuient de leur présence, elle est encore moins rangée au rayon des accessoires démodés. En dehors des têtes d’affiche accrochées depuis des décennies, comme Veolia Environnement, Total, BNP Paribas, Société Générale, France Télécom ou Eiffage (ex-Fougerolle), plusieurs centaines de filiales à participation ou d’origine française opèrent au Sénégal. La politique de grands travaux du président Wade, comme le nouvel aéroport international de Ndiass ou l’autoroute Dakar-Diamniadio, concurrence désormais l’exploitation de l’arachide, mais profite toujours aux mêmes intérêts.
Sur les 12,5 millions d’habitants, seule une minorité proche du pouvoir profite des retombées de ces activités, des cadeaux destinés à développer celles-ci. L’immense majorité, elle, connaît un taux de chômage de près de 50 % et une misère qui pousse des jeunes à rechercher un travail au-delà des mers. Après les émeutes de la faim de ces trois dernières années, on comprend l’exaspération de ceux qui, cités par nos camarades de l’Union africaine des travailleurs communistes internationalistes dans leur mensuel Le Pouvoir aux Travailleurs, se sont dits ouvertement choqués par le dispendieux caprice de Wade : « Nous, on n’a rien à manger, nos salaires sont bas, les prix des denrées alimentaires grimpent et le président dépense l’argent de l’État dans du tape-à-l’œil ! »
Viviane LAFONT
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