Senegal: vers une banalisation du meurtre? par Bosse Ndoye

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« Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie.»  A. Malraux

L’actualité sociale au Sénégal a été pour le moins macabre ces derniers temps: un taximan tué par balle à Grand-Yoff à la suite d’une banale dispute; un jeune homme tué pour une cigarette à Pikine; un autre tué à Camberène pour 100 F Cfa ; un autre encore poignardé à mort pour avoir refusé d’offrir du café à un voisin à Thiaroye ; une femme tuée par son mari à Mbour parce qu’elle  refusait de se donner à lui ; un jeune homme de 16 ans tue son grand frère de 40 ans par machette; un Chinois tué par plusieurs coups de couteau à Bel-Air…ont été entre autres les malheureuses, tristes et regrettables nouvelles qui ont défrayé la chronique et/ou fait la une de nombreux journaux. Outre la cruauté de ces meurtres, ce qui a choqué et inquiété plus d’un c’est la légèreté et l’insignifiance des mobiles : dispute, café, 100 FCFA, cigarette.  Bref, autant dire que les victimes ont été tuées pour des prunes. Par conséquent leur mort a eu un impact si traumatisant sur nombre de nos concitoyens qu’ils en appellent à un retour de la peine de mort, esperant ainsi faire baisser la violence inquiétante et grandissante dans le pays à défaut de pouvoir la juguler totalement. Mais en plus de nous indigner, ces meurtres doivent nous pousser à nous interroger pour essayer de comprendre ce qu’ils cachent puisqu’ils sont révélateurs et symptomatiques d’un certain malaise social. Cette interrogation est d’autant plus nécessaire qu’elle peut aider à éviter les conditions de la survenance de tels actes dans l’avenir, car « En chacun de nous existe un Mr Hyde; le tout est d’empêcher que les conditions d’émergence du monstre ne soient rassemblées, » disait Amin Maalouf. Dés lors – sans essayer  de dédouaner les meurtriers de leurs actes reprehensibles encore moins de les exonérer  de leurs responsabilités – il convient alors de connaître les conditions d’émergence du « monstre » et d’essayer de trouver des solutions autant que faire se peut parce qu’il est toujours difficile, voire impossible de prévenir un acte isolé, incompréhensible et imprévisible.

Les conditions d’émergence du « monstre » sont actuellement nombreuses dans la société. De prime abord, la perte de certaines valeurs vient à l’esprit. Par le passé, les différends entre personnes et familles étaient souvent réglés par des dialogues et/ou des médiations pouvant aller des parties en conflit à l’imam ou chef de quartier. Mais avec l’individualisme qui régne de plus en plus dans le pays, la société qui se judiciarise, l’absence de confiance grandissante d’ une bonne partie de la population envers sa justice qu’elle juge partiale et inique, le dialogue perd progressivement le pied; ce qui fait que beaucoup de gens règlent leurs problèmes devant le juge ou n’hésitent pas à se faire justice eux-mêmes.

Avec la mondialisation et le développement des nouvelles technologies, les pays pauvres sont plus poreux aux mauvaises influences venant d’ailleurs car ne disposant pas de moyens pour filtrer les mauvais programmes passant par Internet et les satellites ou même par les frontières terrestres. Dès lors – la disparition des modèles et le mimétisme aveugle aidant – certains jeunes s’identifient à des « idoles » étrangères dont les valeurs qu’elles représentent ne sont pas forcément conformes à celles de notre pays.

Le facteur social ne peut pas être invoqué sans le facteur économique, car ils vont souvent de pair. Une jeune population confrontée à un chômage endémique constitue souvent un cocktail dangereux. S’il s’y ajoute un usage régulier et abusif de la drogue, l’intolérance et la promiscuité, l’injustice sociale et le sentiment grandissant d’une justice clémente envers les riches et les célébrités et une autre plus dure à l’égard des déminus, le cocktail ne peut devenir que plus explosif. Telle est malheureusement la situation au Sénégal.

Que faire maintenant est-on tenté de se demander? Il faudrait d’abord nous réconcilier avec nous-mêmes. Cela passe forcément par une éducation appropriée de nos valeurs et des hommes qui les ont incarnées le mieux dans notre histoire afin de susciter des émules chez les plus jeunes dès l’école primaire, sans oublier une éducation familiale basée elle aussi sur ces mêmes valeurs. Ensuite, il faut mieux utiliser  l’argent public. Au lieu de le detourner ou de le dilapider, les décideurs publics et certains politiciens véreux doivent avoir pitié de la population et penser à son bien-être. Les nombreux milliards détournés ou mal utilisés auraient pu servir à améliorer – ne serait-ce qu’un tantinet – la vie de certains concitoyens en les aidant à sortir de l’oisiveté qui, ne l’oublions pas, est la mère de tous les vices. Beaucoup de jeunes sont tombés dans la délinquance, la violence parce qu’ils ne savent pas quoi faire de leur force et de leur temps libre, même si ce ne sont pas des excuses valables. La peur d’une sanction et le respect  de l’autorité tant familiale que publique sont nécessaires pour une meilleure éducation des jeunes. Mais d’aucuns pensent que tant qu’il y aura la pauvreté il sera impossible de bien éduquer. Il faut leur dire que la pauvreté n’est pas quelque chose de nouveau dans le pays,  et ce qui fatigue beaucoup de gens de nos jours ce n’est tant la pauvreté que le besoin d’avoir plus ou la même chose que les autres  Dans notre société où le paraître tend à supplanter l’être, devenir riche est un signe de consécration sociale. Dès lors y être pauvre peut être une source de honte poussant de nombreux jeunes à recourir à la violence pour s’enrichir.  

Bosse Ndoye

Montréal

[email protected]

Auteur de : L’énigmatique clé sur l’immigration; Une amitié, deux trajectoires; La rançon de la facilité

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