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Par Frédéric Tendeng
Beaucoup se sont mis à rêver il y a un an lorsque le ministre de l’Energie Samuel Sarr faisait l’éloge de la holding, cette nouvelle trouvaille qui permettrait à la Société Nationale d’Electricité du Sénégal (Senelec) de faire valoir ses prérogatives de puissance publique et en même temps d’être astreint à l’accomplissement de sa mission d’intérêt général avec satisfaction. Aujourd’hui, la seule mission que Senelec exerce avec brio est la distribution « démocratisée des délestages » pour plagier le ministre de l’Energie.
La vérité sur une holding encore invisible
Contrairement à toute la communication faite autour de cette question, la holding n’est pas un bâton magique pour sauver Senelec de son enlisement. C’est plutôt un processus entamé depuis 2007 à Paris et dont la matérialisation devait voir le jour depuis le mois de Mars 2009. Cette décision fut prise au moment où Wade devenu impopulaire malgré une réélection surprise ne pouvait que céder à la pression des bailleurs de fonds dont le lobbying devenait insoutenable pour son régime. Il faut dire que les coupures de courant étaient au pic de leur violence et la Banque Mondiale dans un rapport, avait confirmé Senelec comme le monstre ayant « plombé les finances publiques un an plus tôt entraînant (…) une baisse de la croissance économique et surtout une baisse des fonds alloués aux dépenses sociales, notamment l’éducation et la santé ». Un parterre de bailleurs du Sénégal dont l’Agence française de développement (AFD), la coopération allemande (GTZ), la coopération luxembourgeoise, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque islamique de développement (BID) et la Banque européenne d’investissement (BEI) convoque le gouvernement à Paris le vendredi 5 Octobre 2007. Ces « partenaires » tordent le bras au régime qui peinait à entretenir la situation catastrophique à Senelec.
Au sortir de la réunion de Paris, c’est Michel Layec, le chargé de l’énergie en Afrique à la Banque mondiale qui vend la mèche : la privatisation de Senelec est programmée dans le plan de restructuration du secteur énergétique du Sénégal. Mr. Layec ajoute que la réforme de Senelec et d’autres entreprises publiques du secteur de l’énergie du Sénégal sera conduite en même temps que la construction de centrales électriques. Il conclut que « des appels d’offres vont être lancés pour la construction d’une centrale en 2008 et d’une autre en 2009 ». Le gouvernement du Sénégal était alors sommé de produire une lettre de politique de développement du secteur de l’énergie qui sera actualisée et validée avec tous les partenaires. Le but était de forcer des changements institutionnels à Senelec avant que l’investissement privé trouve sa place dans le nouveau dispositif.
Dans la foulée, le premier ministre de l’époque, Cheikh Hadjibou Soumaré annonce un plan de réhabilitation jusqu’à l’horizon 2012 qui prévoit un programme d’investissements de 520 milliards FCFA afin de renforcer les capacités de production de 600 Mégawatts et réduire la dépendance vis-à-vis du pétrole par la diversification des sources d’énergie. Un an plus tard, le 28 Octobre 2008 Samuel Sarr indique dans le cadre d’un atelier sur l’évolution institutionnelle de Senelec, que le schéma de la holding est en conformité avec les dispositions prévues dans la loi 98-94 du 14 avril 1998. Il dira d’ailleurs, « après le rétablissement du déséquilibre en l’offre et la demande, et les investissements massifs de 520 milliards de nos francs, il nous a été recommandé de définir l’avenir de Senelec ».
Dès mars 2009, les activités transport, production et distribution auraient dues être séparées. Dans ce schéma, le gouvernement devait veiller sur la filiale transport, à la participation publique majoritaire, et à son contrôle stratégique par l’État, à côté du secteur privé national et étranger, des consommateurs et des travailleurs. Pour le démarrage effectif en fin juin 2009, il était prévu de finaliser la mise en œuvre des études stratégiques juridiques et organisationnelles, les mesures d’accompagnements institutionnelles, politiques et sociales, le business-plan de chaque filiale, les mécanismes tarifaires appropriés et le renforcement de la Commission de régulation du secteur de l’électricité. Ensuite venait le choix de partenaires privés et leur participation, entre juillet et décembre 2009, dans les filiales de la holding. La Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Energie (LPDSE) redéfinit un nouveau timing pour la filialisation calé pour fin mars 2010. Comme on le voit donc, la matérialisation et la visibilité de ce processus qui devait aboutir cette holding connait un retard terrible. C’est tout à l’image de la multitude de projets diffus et tous azimuts toujours annoncés par le Ministère de l’énergie et la direction de Senelec.
Une politisation et une calamité structurelle sans égale
Les choix des dirigeants, les règles de fonctionnement institutionnelles et les stratégies marchandes de Senelec n’ont jusqu’ici été que le reflet des intérêts du pouvoir et de ses proches. Le summum fut atteint en Février dernier lorsque Seydina Kane, l’actuel directeur général de Senelec déclare sans sourciller que « de la réélection de Me Wade, proviendra le salut. Pour arriver à la fin des délestages, nous devons satisfaire le critère N+2. Cela veut dire, en prenant les groupes les plus importants, à l’aller comme au retour, nous devons satisfaire la demande. Et ça nous ne le ferons qu’en 2012, quand le président sera réélu». Mr Kane venait de terminer un long exposé à des militants libéraux de Dakar sur les réalisations du régime Wade.
Les nominations et les limogeages à la tête de Senelec sont l’objet de spectacles hideux. Lorsqu’il fut limogé de son poste de directeur général de Senelec, Samuel Sarr en voulait littéralement à Macky Sall, alors Premier Ministre du gouvernement qu’il traitait « d’incompétent et de complexé ». Les guerres frontales et autres chantages rythment la marche de Senelec. Clédor Sène, condamné puis gracié dans l’assassinat en 1993 de maître Babacar Sèye accuse en Septembre dernier le ministre de l’Energie Samuel Sarr d’entretenir les délestages du mois d’Aôut 2009 pour faire l’œil doux à son père adoptif Pierre Aïm sur le dos des Sénégalais. Curieusement, ce ministre est resté silencieux face à de si graves accusations. Le pilotage à vue de cette société l’a transformée en vache à lait avec un mode de management fait d’improvisations et d’approximations dont le résultat est l’incapacité chronique à fournir de l’électricité dans les normes
Des dépenses de prestiges inopportunes aux nominations politiques, tout est fait pour truffer Senelec de courts circuits dangereux pour l’économie nationale. Rien que pour l’OCI, Senelec s’est arrangée pour dégainer 460 millions FCFA sur un réseau de 20 kilomètres permettant une alimentation sécurisée de l’ensemble des sites devant recevoir des hôtes. Mbacké Seck, à l’époque chef du département Equipement de réseau de la Senelec, racontait fièrement que Senelec a mis à contribution plus de vingt groupes secours de 1200 Kva dans les sites ciblés comme les hôtels Sea Plazza, Terrou Bi, Cap Manuel, Mamel en plus de deux départs qui seront issus du poste 30 kilowatt de Hann.
Un gouffre qui asphyxie les finances publiques
Mme Ngozi Okonjo-Iweala fonctionnaire à la Banque mondiale déclare en Février 2010 à Dakar «Il y a beaucoup de problèmes de trésorerie, de gestion interne, de manque de transparence et d’efficience». «La Senelec gagnerait à aller vers une bonne transparence dans la gestion des finances internes et dans le management. Pour cela, il faut une étude de l’entreprise». Une façon implicite de demander l’audit de Senelec. Cette lecture du mystère qui entretien le gouffre Senelec est à nouveau indexée un mois plus tard. En mission au Sénégal du 11 au 25 Mars 2010 pour la consultation et l’examen des instruments de soutien politique économique (ISPE) et chocs exogènes (facilité PCE) du Sénégal, Norbert Funke, un fonctionnaire du Fonds Monétaire International dira que le déficit budgétaire global a été supérieur en 2009 que ne le prévoit le programme, pour atteindre 5 pour cent du PIB. Les revenus ont diminué à court, surtout en raison d’arriérés d’impôts des entreprises publiques (principalement Senelec), et les dépenses courantes a été plus élevé que prévu.
Et pourtant, nous avions appris l’année dernière, du chef de l’Etat, que plus de 500 milliards ont été investis dans Senelec depuis 2004. Une année auparavant, lorsque M. Cheikh Diakhaté quittait la direction de cette société, il y avait un déficit de trésorerie de 12 milliards de nos francs, essentiellement constitués de dettes pour la fourniture de fuel. La Subvention de l’État, en cette année 2003, était de 5 milliards 600 millions de nos francs. Les coupures abusives n’étaient pas entrées dans nos mœurs. En Octobre 2006, il y avait 127 milliards CFA de déficit de trésorerie malgré un soutien de l’État de près de 60 milliards de nos francs de 2005 à 2006.
Un an plus tard, en 2007, Senelec avait un excédent brut d’exploitation (EBE) négatif de l’ordre de moins 7 297 480 665 FCFA. Or, cet EBE s’est fortement dégradé par rapport en 2006 car à cette date il était de 8 358 324 593 FCFA soit une dégradation de 187%. Le résultat d’exploitation de Senelec à la même période était négatif, allant jusqu’à l’ordre de moins 23 906 694 996 FCFA, soit une détérioration de 300% par rapport à 2006. L’activité d’exploitation de Senelec ne dégage donc aucun profit. On note dans la même période l’importance des charges financières qui sont de l’ordre de 12 417 450 054 FCFA et qui n’ont cessé d’augmenter d’année en année du fait de l’accroissement de la dette. Ceci influe fortement sur le résultat financier de l’entreprise, car les produits financiers ne représentent même pas le 1/200 des charges durant l’exercice 2007. Depuis lors, SENELEC distribue l’obscurité à tout le pays. Le ministre Samuel Sarr en est arrivé à parler de « démocratisation des délestages ».
Au demeurant, le gouvernement du Sénégal a signé le 11 février 2008 une nouvelle Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Energie (LPDSE) dans laquelle une analyse de la situation financière de Senelec a fait ressortir un besoin urgent de recapitalisation de 109 Milliards de F CFA. Au regard de l’urgence de la restructuration financière de Senelec et de la situation des capitaux propres de l’entreprise, le Gouvernement a procédé à une augmentation de capital en 2007 de 65 milliards de F CFA. Le complément de 44 milliards F CFA a été obtenu avec la Banque Mondiale et l’AFD sous forme d’appui budgétaire.
La nébuleuse GTI
Toute la diabolisation faite autour de la société GTI a maintenant montré ses limites. GTI ne produit en réalité que 10% du courant de Senelec et son retour annoncé d’abord pour mi-février 2009, n’a été effectif que le 23 Avril dernier. Ce retour annoncé en fanfare n’a rien diminué des délestages qui ont maintenant empiré puisque GTI n’a pas encore atteint son cycle combiné de 50 MW.
Le gouvernement avance que depuis la panne de GTI en 2008, l’Etat a perdu 23 milliards de francs qu’il scinde en deux parties : une somme de 15 milliards de francs Cfa (800 millions de Francs CFA versé par mois à GTI entre Juin 2008 et Novembre 2009 soit 18 mois). Le Ministre Samuel Sarr parle de surcoûts de 9 milliards sans jamais étaler les justificatifs qui fondent ce montant. Il se pose alors la question de la pertinence de l’attente jusqu’à 18 mois de non respect par GTI d’une obligation contractuelle à fournir du courant avant de faire constater par un huissier l’absence de cette société sur le réseau. La clause léonine souvent évoquée n’était certainement pas le seul motif qui justifiait le gracieux versement de 23 milliards dans les comptes de GTI entre Juin 2008 et Novembre 2009 alors que cette société ne fournissait plus du courant à Senelec puisque subitement, GTI devenait la prunelle des yeux à conserver avec précaution.
Dans le communiqué du Conseil des ministres du 05 mars 2010, le ministre de l’Energie Samuel Sarr, évoquant la situation de crise qui caractérise son secteur, faisait «état de la conclusion des discussions pour le rachat de GTI, suite au règlement à l’amiable du conflit entre cette société et Senelec ». La vérité est tout autre. Le règlement à l’amiable n’est pas le rachat de la centrale de GTI, mais plutôt l’acquisition par l’État de 90% des actions de cette société pour un coût de 12 milliards de francs Cfa. Il faut surtout noter que Senelec n’a jamais été associé directement aux pourparlers pour l’acquisition de ces actions.
Il aussi très étonnant que le protocole d’acquisition impose au contribuable et à l’Etat sénégalais de payer les dettes contractées par GTI car sur les 12 milliards de francs il y a 7,3 milliards soit l’équivalant du montant des dettes de GTI auprès d’investisseurs que l’Etat va prendre en charge. Le reste constitue le prix réel des 90% d’actions qui font aboutir au total de 12 milliards de francs Cfa annoncés comme le prix du rachat. Dans la forme comme dans le fond, rien ne change dans cette affaire puisqu’à la fin du processus, l’Etat confiera les actions acquises à un exploitant temporaire qui sera désormais l’interlocuteur de Senelec. D’autre part, le contrat liant Senelec et GTI est toujours d’actualité dans la mesure où la première nommée va poursuivre ses relations commerciales obscures avec cette société durant les sept prochaines années.
Les clients et les usagers toujours abusés
Les usagers de l’électricité de Senelec devront encore prendre leur mal en patience. Deux turbines à gaz de la centrale du Cap des Biches sont en panne depuis deux ans alors que les groupes à vapeurs ne fonctionnent plus depuis des années. Le reste des machines qui fonctionnent sont fatiguées et ne tournent plus à pleine puissance. Les centrales de Bel Air et de Kounoune se partagent ce déficit et des groupes y sont fréquemment en panne. La centrale de Kahone inaugurée en grandes pompes par Wade est insuffisante pour combler le gap. Senelec fait table rase de la centrale temporaire de 40 MW louée depuis mars 2005 à la société Agreco.
En attendant, on entretien une confusion notoire sur la construction de la centrale à charbon de Sendou. On annonce d’abord la signature Jeudi 24 Janvier 2008, à Dakar, avec Norland Suzor, président-directeur général de la société suédoise Nykomb Synergetics d’une convention d’achat d’énergie de 25 ans d’un montant de 118 milliards FCFA pour la réalisation d’une centrale électrique à charbon à Sendou (Bargny) de 125 Mégawatt suivant la formule Build own operate. Cela veut dire la société suédoise construirait ses installations et produirait de l’énergie qu’elle vend à Senelec. Ce vœu étant encore pieux, une nouvelle annonce tombe sur la table il y a une semaine. « Le Sénégal et la Corée du Sud ont signé vendredi 28 Mai dernier à Dakar un protocole d’accord aux termes duquel Séoul va construire à Sendou (région de Dakar) une centrale électrique à charbon de 250 mégawatts. Le protocole d’accord a été paraphé par le ministre de l’Energie, Samuel Sarr et le vice-président de ‘’Korea Engineering Company, INC’’ (KOPEC), Bae-Soo Lee ».
Au moment où les consommateurs paient cher pour l’incapacité chronique de Senelec à fournir les foyers en électricité, les ministres Samuel Sarr et Abdoulaye Diop dont l’animosité est souvent exposée dans les médias, sont pris dans leur propre piège et sont acculés par la BM et le FMI pour augmenter le prix de l’électricité. Ces deux hommes avaient sous-tendu, l’année dernière, le rétablissement de la vérité des prix arguant qu’il répondait aux exigences du nouveau cadre législatif et réglementaire portant sur les hydrocarbures avec la loi 98-31 du 14 avril 1998, qui fait que le marché national devait être déterminé par les cours mondiaux.
Ils étaient ensuite revenus en arrière pour, soit disant, éviter la répercussion des prix du baril sur la consommation, alors qu’il devait plutôt revoir leur politique de taxation du fuel qui ne profite qu’à une nébuleuse d’intermédiaires et aux majors, lesquels réclament toujours plus de marges bénéficiaires. Pas surprenant qu’un quotidien de la place annonce des rumeurs faisant état d’une augmentation plus que probable du prix de l’électricité, maintenant que le prix du baril de pétrole avoisine les 75 dollars US.