Finalement, seul Serigne Mbaye Sy Mansour, le khalife général des Tidjanes, a eu la bonne attitude ; l’attitude cohérente et constante face au Covid-19. Il a strictement observé et cherché à faire observer les mesures de distanciation physique, du port du masque et de l’interdiction des rassemblements, même pour des activités liées au culte. Pendant que tout le Sénégal se relâchait sur les gestes barrières et autres mesures de prophylaxie, Serigne Mbaye Sy a continué de vivre comme un reclus. Ses efforts n’ont peut-être pu être compris, mais l’histoire lui donne raison. La flambée subitement vertigineuse de la propagation de la pandémie à travers le Sénégal révèle que notre irresponsabilité, notre laxisme nous rattrapent tous. Nous avons vécu comme s’il n’y avait aucun péril. Dans les cérémonies familiales, les transports collectifs, les lieux de rencontres, les rassemblements politiques et autres, les accolades et embrassades avaient libre cours. Nul n’avait plus cure du virus qui vit et se développe parmi nous. Les doses de vaccin, difficilement acquises, ont été snobées par les populations, jusqu’aux plus vulnérables, en dépit des campagnes d’information et de sensibilisation. Le 21 décembre 2020, au début de ce qui était appelé «la deuxième vague du Covid-19 au Sénégal», dans une chronique intitulée «En attendant les vaccins de la charité», nous relevions «qu’assurément, nous sommes en proie à une nouvelle vague, tant redoutée, de la pandémie du Covid-19. Cette situation est due à notre relâchement collectif. Chacun d’entre nous a pu observer avoir personnellement fait montre de moins de vigilance, de moins de précaution, de moins d’attention. Les personnels de santé ne peuvent pas eux se relâcher, ils subissent stoïquement l’épreuve de devoir faire avec notre irresponsabilité ou notre insouciance. La désinvolture a eu pour conséquence que de plus en plus de personnes ont fini par choper le virus. Les services hospitaliers commencent à être débordés, les personnels épuisés et les moyens financiers commencent à faire défaut». Une accalmie a néanmoins été notée par la suite.
Mais aujourd’hui, le Sénégal, dont la gestion de la pandémie avait pu être donnée en exemple, retombe au même niveau que tous les autres pays. La hausse des cas de contamination grimpe de jour en jour et la liste des décès s’allonge. Les alertes lancées par les médecins et autres professionnels de la santé ont été ignorées. Et le pire est que cette troisième vague a révélé que bien des choses que l’on pouvait considérer comme acquises n’existaient que dans les discours et autres rapports officiels. En effet, si tant est que des centaines de lits d’hospitalisation avaient été acquis dans le programme d’urgence de riposte contre le Covid-19, où sont-ils passés ? Où sont passées les dizaines de respirateurs artificiels et les unités de production d’oxygène, pour qu’on en arrive à devoir en commander à nouveau dans l’urgence ? Ainsi, apprend-on que les Centres de traitement des épidémies (Cte) avaient été démontés alors que la pandémie n’était pas encore vaincue. Où sont passés les matériels démontés ? Et on découvre, comme par enchantement, que toutes les cliniques médicales privées de Dakar qui ne disposaient pas de matériels et autres appareils respiratoires ont pu s’en doter après le démantèlement des Cte. Allez savoir, mais une telle coïncidence est fort troublante ; surtout qu’on assiste à la naissance d’un nouveau business, apparemment lucratif et qui se développe, avec des privés disposant d’appareils respiratoires qu’ils mettent à disposition de malades restés à domicile faute de places à l’hôpital ou ne pouvant bénéficier d’une assistance respiratoire au niveau des structures hospitalières.
Des spécialistes de la santé considèrent que les Cte avaient été fermés pour éviter de devoir payer des primes aux personnels de santé intervenant dans les opérations de prise en charge des malades. L’exemple le plus parlant serait le Cte de l’hôpital Le Dantec, démonté dans la précipitation, en dépit des avis contraires des médecins qui préconisaient une veille durant un certain temps. On voit que les protestations du Pr Moussa Seydi (la figure la plus emblématique de la lutte contre le Covid-19 au Sénégal) et du Dr Abdoulaye Bousso (ci-devant directeur du Centre des opérations d’urgence sanitaire), entre autres, quant aux conditions qu’ils jugeaient insatisfaisantes de la prise en charge de la pandémie, n’étaient pas que des querelles de chefs. En outre, dès l’instant que le niveau de contamination avait baissé, les autorités sanitaires avaient crié victoire, oubliant que la résurgence de la pandémie a été systématique dans tous les pays, avec des nombreux variants du virus en circulation. Résultat des courses ? Des arriérés de primes à payer aux personnels de santé sont accumulés et aucun service de réanimation n’est aux normes dans la région de Dakar qui concentre plus de 86% des malades de la pandémie. Une démotivation réelle est observée au niveau des personnels de santé qui, il faut le rappeler, ont payé un lourd tribut à la lutte contre la pandémie. Si telle est la situation à Dakar, qu’en sera-t-il des structures de santé des autres régions ? L’urgence n’est assurément pas de chercher des responsables de tel ou tel manquement, mais de s’efforcer d’abord à faire face au chaos qui nous guette.
La fatale Tabaski
Déjà que le Sénégal n’a jamais atteint ces niveaux de contamination, avec ces statistiques de positivité de près de 40% des personnes testées, mais la situation risque de se révéler encore plus dramatique. Les jours à venir, il faudra s’attendre fatalement à une explosion des cas de contamination à travers le pays. Les migrations de populations vers toutes les contrées du pays, à l’occasion de la fête musulmane de la Tabaski, seront un facteur de démultiplication des contaminations. Les appels du chef de l’Etat à éviter les déplacements inter-régionaux en cette période de fête sont ignorés, au point que de hauts responsables de l’Etat (ministres, directeurs d’entreprise publique), sans doute dans la futile perspective de marquer des points précieux pour les batailles prochaines des élections locales, affrètent des dizaines de bus pour transporter des étudiants et autres militants pour leur permettre de passer les fêtes dans leur patelin. Ce n’est pas alors à ces personnes qu’il faudrait demander d’éviter de se rassembler dans les lieux de culte le jour de la fête pour s’acquitter de la prière rituelle.
De quels moyens disposerait l’Etat pour contrecarrer la menace ? L’Etat est pratiquement impuissant. Qui ne se rappelle pas que les populations avaient bravé tous les interdits, au prix de confrontations avec les Forces de l’ordre, encouragées à cela, pour ne pas dire incitées, par des leaders politiques, des leaders sociaux et des leaders d’opinions qui développaient des agendas politiques parfois en opposition au régime du Président Macky Sall, et qui ne se rendaient même pas compte qu’ils s’exposaient ainsi eux-mêmes et aussi leurs proches aux périls de la mort ? Les Forces de sécurité devront-elles consacrer toute leur énergie à des actions de maintien de l’ordre, sans aucune assurance de pouvoir remplir leurs missions ? Le Président Macky Sall aura beau menacer de recourir à des mesures fortes que ces colères passeraient pour de vulgaires rodomontades. Il ne pourra pas mettre tout le monde en prison ou fermer à nouveau l’économie du pays qui a déjà tant souffert des contrecoups de la pandémie. Et le plus désolant est l’absence de lisibilité, de logique ou de cohérence dans les décisions au plus haut niveau de l’Etat. Comment pourrait-on demander aux populations d’éviter les rassemblements dans les lieux de prière le jour de la fête et laisser organiser à Dakar le week-end dernier des concerts géants, regroupant des milliers de personnes pour chanter, danser, s’amuser et faire la fête sans aucune mesure particulière ? Qui pourra empêcher à l’impertinent du coin de considérer que si le concert de la vedette musicale Julien Bouadjie, plus connu sous le nom de scène Tayc, a pu se tenir à Dakar, sans aucune mesure d’interdiction dans un tel contexte, c’est justement parce que son public est composé de filles et fils de riches, des enfants des «en-haut d’en-haut», qui sont seuls capables de s’offrir les tickets d’entrée qui coûtent le prix d’un mouton de Tabaski ? N’avait-on pas bien observé que durant les périodes de couvre-feu de l’année dernière, seuls ces fils et filles de riches disposaient de laisser-passer et autres autorisations pour sortir nuitamment et faire la fête jusqu’à provoquer des drames ? Nous sommes en proie à une véritable insouciance dans un contexte lourd de dangers et de menaces. Cela rappelle un passage d’une chronique du «célébrissime» Abdou Sow dans l’hebdomadaire Walfadjri dans les années 1990, qui disait que les passagers du Titanic faisaient la fête sur le pont du bateau, pendant que le paquebot sombrait. Le président de la République lui-même n’a pas manqué de pécher par un excès de confiance, vu les statistiques optimistes des derniers mois, jusqu’à engager des tournées économiques en pleine pandémie. Cependant, il peut s’estimer heureux que les régions et localités qu’il a eu à visiter ne font pas partie des zones touchées par la nouvelle vague de la pandémie, bien après la période d’incubation.
Peut-être qu’on ne rechignera plus à prendre le vaccin
Un véritable problème de sécurité nationale se pose. La situation est partie pour être difficile. La panacée se trouve dans l’administration à grande échelle des vaccins. Le Sénégal, comme tous les pays africains du reste, peine à en trouver. Les dons sont faits de manière parcimonieuse, car les plus grands donateurs songent d’abord à mettre en sécurité leurs propres populations. Les limites des moyens de nos Etats ne leur permettent pas de faire de grosses commandes, encore qu’il faudrait trouver des laboratoires en mesure de satisfaire aux éventuelles commandes dans des délais d’urgence. Le Président Sall a eu la bonne idée de positionner le Sénégal sur le terrain de la production de vaccins anti Covid-19. Le Sénégal est parti pour être le premier pays africain producteur de vaccins de ce type. Cette initiative fort heureuse est à saluer.
L’échéance de juin 2022 pour la production à Diamniadio des doses de vaccin ne devra point être manquée. L’enjeu devrait d’ailleurs être de travailler à rapprocher autant que possible cette échéance. Des livraisons prochaines de 500 mille nouvelles doses provenant de l’étranger sont annoncées et on ose espérer que quand les vaccins seront disponibles en quantités suffisantes, les populations ne rechigneront plus à prendre d’assaut les centres de vaccination. La désaffection du vaccin avait poussé le Président Sall à fulminer jusqu’à dire qu’il risquait de donner les vaccins en souffrance à d’autres pays qui en auraient besoin. La presse a eu à faire état de lots de vaccins jetés à la poubelle pour cause de délais et conditions de conservation qui les auraient rendus impropres. Peut-être que pour une fois, la leçon sera retenue !
Serigne Babacar Sy Mansour, l’exemple (Par Madiambal Diagne)
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