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Serigne Mor Mbaye, psychologue-clinicien : «Karim Wade me donne l’impression d’un enfant à la maternelle»

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Dans la troisième et dernière partie de l’entretien qu’il a accordé au journal Le Quotidien, Serigne Mor Mbaye estime que le Président Wade, n’ayant pas droit à un troisième mandat, doit passer la main et laisser le pouvoir à une nouvelle génération pour que celle-ci achève certains chantiers qu’il a entamés. Fling­uant au passage Karim Wade, le psychologue-clinicien préconise l’émergence d’un groupe, qui a les moyens institutionnels de pouvoir conduire les nécessaires changements dans le pays.

REACTIONS FACE AU BLOCAGE DU PAYS
«C’est un pays bloqué, on aurait pu le débloquer en 2000. On n’a pas réussi parce qu’il y a des forces centrifuges, une société anthropophage, «tu te lèves, on te bouffe. Tu as beaucoup de volonté d’aller, mais il y a des forces qui te ramènent en ar­rière». Mais, il faudrait que les gens se parlent, au-delà du politique, et qu’ils puissent fédérer des énergies pour des situations de rupture.

(…) Quand je parle des élites, je parle plus des élites intellectuelles. Il y a des forces féodales qui font que les gens qui y sont ont une idéologie de jouissance et surtout d’exploitation. Nous, on veut mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. On veut des individus émergents, qui deviennent créatifs, libres et qui sachent produire. Pour ce faire, nous avons choisi d’être une République. Une République a des règles et si les gens fédèrent leur énergie, c’est ce qu’il y aura de meilleur dans notre société, parce que notre société, c’est une faune. L’élite intellectuelle est aussi une faune extraordinaire. Donc, il faut que ce qu’il y a de meilleur se coalise pour se battre et opérer les nécessaires ruptures pour débloquer cette société.

Même dans les élites religieuses, aujourd’hui, émergent des personnages qui savent pertinemment qu’il faut de nécessaires ruptures, qu’on ne peut plus tenir le même langage qu’avant, on ne peut pas enrôler nos populations dans des voies de garage. Il faut qu’on travaille tous à libérer des énergies et à débloquer cette société pour l’arrimer sur une voie de progrès.»

POUVOIRS EXHORBITANTS DE KARIM WADE
«C’est un drame pour le pays, et même pour le Président. Peut-être c’est une erreur ou des circonstances qui l’ont fondé, mais ce n’est ni bon pour le pays ni bon pour Karim Wade ; et nous payons les pots cassés. C’est une situation qui ne peut plus perdurer. Parce que quel que soit son talent, dont je doute parfois, un pays, ce n’est pas une banque ou autre et il faut y être enraciné, le connaître ; ce qui n’est pas son cas. Pour conduire des programmes tels que c’est énoncé, il a énormément de limites. Surtout qu’il est un peu narcissique. Parfois, il me donne l’impression d’un enfant d’école maternelle : Pipi, caca, cadeau. Je le dis et je le pense. Cela veut dire, en fait, qu’il joue, alors que nous sommes pressés, nous souffrons et nous voulons changer. Donc, il serait même de l’intérêt du personnage de pouvoir prendre du recul, de laisser le pays aller vers les nécessaires changements dont il a besoin de façon urgente. Mais on ne peut pas faire du sur-place. Ce n’est pas non plus de l’intérêt du Pds de laisser faire. Chaque jour que Dieu fait, des pans entiers s’effritent dans un parti qui a quand même un capital d’au moins 20 ans d’opposition, qui a secoué le baobab du Parti socialiste, qui est le baobab séculaire. Ils ont réussi à le déboulonner avec d’autres forces sociales.»

TROISIEME MANDAT DE WADE
«Même s’il (Wade) y avait droit, il doit penser à son peuple qui lui a tout donné. Il a eu ses chances ; il a fait ce qu’il a pu faire dans ses limites. Comme tout être humain, il a des limites. Au départ, il pourrait y avoir beaucoup de volonté de faire, mais il y a eu des erreurs extraordinaires. Il n’a pas pris la juste mesure de ce que son peuple voulait en termes de situation de rupture. Il a posé tellement d’actes qui ont contrarié, en fait, ce que les gens voulaient.

La position affirmée, dès le départ, de participer, d’émerger d’un registre de chapelles, par exemple de dire que je suis tel ou tel, parce que nous avons su sauvegarder des identités de Président, ça veut dire quand même que le président d’une Répu­blique démocratique, sa foi, ce qu’il en fait, c’est son affaire personnelle. Il n’a qu’à aller le faire où il veut. Mais, nous avons un peu couru le risque d’une dissension sociale à partir de cette affirmation-là. Il a aussi eu à avoir peur de beaucoup d’autres ruptures nécessaires et il est revenu sur beaucoup de choses. Mais, il a fait ce qu’il a pu et à la mesure de son génie propre. Et même si la Constitution lui donnait droit à un troisième mandat, ce n’est vraiment pas le moment. Il est arrivé à un âge où l’on n’a plus toute son énergie. Il a quand même énormément de forces ; il tient le coup, mais rien que pour nous permettre de parvenir à opérer des changements et des ruptures. Il pouvait dire merci au pays et organiser une sortie honorable, en termes d’organisation d’élection et laisser faire d’autres personnes, une nouvelle génération pour achever certains chantiers qu’il a amorcés. Ce qu’on peut dire et qui est vrai, il a osé là où ceux qui étaient là avant lui n’ont pas osé. C’est quelqu’un qui est quand même très volontaire, c’est vrai et, ce volontarisme a donné du bien. Dans certains cas, il a été submergé. Mais il faut savoir s’arrêter, passer la main à d’autres personnes qui ont aussi d’autres talents, parce que ce pays nous appartient.»

IDRISSA SECK POUR SUCCEDER A WADE
«Je ne pense pas forcément à lui, mais c’est une identité remarquable. Pour l’avoir fréquenté, je trouve qu’il est pragmatique, rationnel et ancré socialement. Et il a aussi beaucoup de créativité. Le fait d’être moderne et ouvert sur le modernisme, c’est très important. Il a le monde dans sa tête et, en cela, c’est quelqu’un qui peut participer aussi à ce changement (…) Les gens n’ont pas compris. Beaucoup de gens n’ont pas de mémoire. Il n’a jamais fait quelque chose qu’il n’a pas dit avant. Il a affirmé des choses claires et nettes, mais les gens en veulent tellement parfois au pouvoir qu’ils ont voulu, par exemple, que lui soit l’épée, la force à tel point qu’ils ne voient pas qu’il a une stratégie qu’il a affinée. Et en homme politique, à des moments, il a troqué sa volonté d’aller au pouvoir et tout cela avec les intérêts du pays. Les pays sont parfois dans une posture de fragilité où, en homme politique responsable, tu ne peux pas, quelle que soit l’opportunité que tu as, si tu évalues le coût du changement, dire : «Tiens, peut-être que le changement n’est pas venu à maturité.» Donc, c’est cela qui fonde qu’il a cette stratégie qui est de respecter l’Etat, le chef de l’Etat, d’aller discuter avec lui et de négocier avec lui. Parce que quand même, il participe du même projet au départ.

Mais pour quelqu’un qui a une hargne contre le pouvoir, parce que le pouvoir contrarie tes aspirations et tout cela, mais tu te dis : «C’est un individu qui fait du brac-micmac», alors que c’est faux. Il a une cohérence en politique ; il l’a tracée et dit clairement. Et il est dans ce schéma-là. Il dit : «Le Pds, c’est mon parti. Je n’ai pas démissionné ; on m’a exclu. Mais j’y reviens, parce que c’est avec ces gens-là que je suis arrivé au pouvoir. C’est avec ce qu’il y a de meilleur dans ces gens-là, pas la Génération du concret – parce que ça, c’est les «cons qu’on crée» – que je veux aller de l’avant.»

Idrissa aussi a été clair : ce pays ne peut pas se construire sans qu’on fédère des énergies. Ce n’est pas une histoire de parti seulement. Il a très clairement dit : La Casamance, il y a des talents. Il y a un Landing Savané là-bas.»

IDY ET LA DEVOLUTION MONARCHIQUE DU POUVOIR
«On veut bien accuser Wade, mais il n’a jamais dit : «Je prends mon fils, je le mets au pouvoir.» Il a tout simplement donné à son fils des attributions qui font peur. A partir de ce moment-là, il lui a permis aussi de contribuer à saper les bases du Pds originel, du Pds qui est arrivé au pouvoir en créant ses «cons». Et à partir de ce moment-là, légitimement, on a peur et il faut ruer sur les brancards. On ne peut pas avoir lutté pendant 30 ans, pour la démocratie, et percevoir quelque chose qui ressemble à une dévolution monarchique du pouvoir. Avant lui, je dis, tiens : «Si lui prend le pouvoir, moi je prends le maquis.» Je ne peux pas aussi avoir lutté, moi Serigne Mor Mbaye, en tant que citoyen de ce pays et voir que mon pays recule. Ce n’est pas diriger contre Karim Wade en personne, mais contre des pratiques pour lesquelles nous avons consacré notre vie. Donc, Idrissa, quand il le dit, c’est en démocrate qu’il le dit.»

APPELS DE TOUBA ET TIVAOUANE AU DIALOGUE ENTRE L’OPPOSITION ET LE POUVOIR
«Ce pays a des capacités de récupération inouïes. Il y a des dialogues qui confinent à la collaboration de classes. C’est comme quand ils vous disent que le Sénégal est un crâne, on ne peut pas le séparer en deux. Il y a des forces sociales qui ne sont intéressées qu’à une chose : leurs prébendes par rapport au pouvoir politique. Ils ne peuvent pas être les meilleurs acteurs pour opérer des situations de rupture, j’en suis sûr et certain. Dans leur histoire, il n’y a rien qui ressemble à cela ? Si ! Il y a eu des personnages extraordinaires qui, intellectuellement du fait de l’idéologie et de leur foi, les ont opérées. Mais depuis ce temps-là, c’est autre chose. Donc, il faut être assez vigilant pour que, chaque fois que nous voulons amorcer des situations de rupture, qu’il y ait des forces centrifuges qui arrivent, dopent et re-mélangent tout ça et qu’on ne puisse pas émerger. Ce que nous voulons, c’est une République dé­mo­cratique qui tienne compte de notre culture dans ce qu’elle a de meilleur. Mais aussi une République qui ose affronter les forces les plus réactionnaires de notre société dont l’idéologie est basée sur l’exploitation et qui sont des forces héritières de l’esclavage et de toute autre chose.»

L’OPPOSITION, LE «PRINTEMPS ARABE» ET LE SENEGAL
«(…) Ce qui se passe dans le monde arabe, c’est ce qui se passe ici. Ce sont les mêmes ingrédients qui sont là. Il y a une chose : les pouvoirs politiques arrivent tout simplement à faire en sorte que les rancœurs, l’énergie de réaction des gens puissent être contenues par des forces payées pour contenir les populations. Jusqu’à quand ces forces-là peuvent les contenir ? On ne sait pas, mais j’aurais souhaité que ce qui se passe dans le monde arabe arrive chez nous. Qu’en fait les populations n’arrivent peut-être pas avec le même caractère violent, mais qu’elles soient dans une posture de subversion en termes de vouloir transformer cette société, les rapports sociaux pour inventer autre chose.

J’aurais souhaité que les élites y participent, qu’elles ne soient pas complètement débordées. Les changements qui ne sont pas aussi accompagnés idéologiquement, par une orientation, sont parfois plus coûteux. Donc, j’aurais souhaité qu’émergent des élites capables aujourd’hui d’orienter. Donc, tout ce qui se fait en matière de réflexion, dans ce sens-là, est remarquable. Mais ne disons pas : «Ah oui, les pays arabes !». Les pays arabes, ce sont des sociétés qui étaient complètement bloquées et, tout d’un coup, les gens n’en pouvant plus ont réagi. Ce qui est évident c’est qu’en arrière, il y a autre chose. Il y a des gens qui cherchent à contrôler ces mouvements sociaux. Car, il y a des gens qui veulent le changement, et d’autres qui poussent au changement, mais à des fins de récupération.»

REMISE EN CAUSE DE LA FIABILITE DU FICHER ELECTORAL
«Il faut parvenir à faire en sorte qu’il y ait de la transparence et aucune contestation. C’est tout bénéfice pour le pays. On n’a aucun intérêt à continuer à castagner, à se taper dessus.
Le pays a besoin de stabilité, il faut mettre le pays au travail et nous perdons énormément de temps, personne n’y a intérêt. Le chef de l’Etat doit travailler à ce que l’opposition soit sécurisée par rapport à ce fichier électoral. On y a intérêt.

La communauté internationale est venue nous aider pour avancer sur ce fichier électoral. S’il y a encore des soupçons et des doutes, il faut s’arrêter et régler cela. Parce que ce n’est pas la mer à boire, il faut mettre les ressources qu’il faut pour que ce fichier électoral soit stabilisé définitivement. Parce qu’on ne peut pas chaque fois que Dieu fait, revenir dessus, dépenser des ressources, passer notre temps à parler, alors qu’il y a des urgences extraordinaires.»

Propos recueillis à Saly par Mamadou T. DIATTA
lequotidien.sn

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