Sidy Lamine Niass en est convaincu : la traque des imams ne traduit ni plus ni moins qu’une croisade continue contre l’Islam, de Senghor à Macky. Pour lui, l’étincelle qui met le feu aux poudres, ce sont les rapports sur fond d’intoxication des services secrets français, au sujet de liaisons dangereuses entre certains imams et des groupes terroristes. Et pour clore ce chapitre, il estime que l’interdiction du voile intégral est une déclaration de guerre contre la religion musulmane. Toujours dans le cadre de cet entretien exclusif, le patron de Walf parle de la crise au sein de l’Assemblée nationale et donne son point de vue sur le Cnra. Lisez ce qui suit.
Traque des imams-terroristes «Je considère que l’Etat du Sénégal, la Sécurité nationale et l’Administration sont en train de retourner à la case de départ. C’est-à-dire, à l’époque coloniale. J’ai essayé de fouiller l’histoire de ce pays, depuis René Caillé qui est passé par le Mali pour arriver au Sénégal. J’ai lu et relu ses notes au sujet de l’Islam. Je me suis également intéressé aux écrits du journaliste Paule Marty qui a fouiné partout dans les foyers religieux, chez tous les marabouts avec des photos à l’appui, dans les daaras ainsi que chez les imams. Je me suis aussi penché sur les écrits de Bacary Samb. Et je me suis retrouvé avec la synthèse selon laquelle, c’est la France qui n’est pas empirique dans ses études comme sont les Etats-Unis et les autres pays. Elle préfère plutôt diaboliser l’autre pour le dégager et pour reprendre sa place. C’est une politique qu’elle a commencée depuis les explorateurs. «Et de nos jours, cette étape néocoloniale se poursuit. Tout tourne autour d’une diabolisation de l’Islam, des musulmans et un appui sans réserve à l’Eglise. Cette situation est de nature à donner l’impression qu’il existe, au Sénégal, une politique de deux poids deux mesures dans la manière de traiter les deux religions dominantes : celle qui est laissée pour compte, en l’occurrence l’Islam et l’autre carrément prise en charge au détriment des gens d’une autre croyance». «L’Islam diabolisé à travers ses symboles» «La première étape dans ce combat colonial contre les gens de religions – et cela avec une volonté claire et manifeste – a été de combattre tout le monde : les confréries comme les non confrériques. Par la suite, il a fallu ménager les confréries pour faire face aux autres, considérés comme des éléments anti-confrériques, donc des intégristes. Les colons ont, en particulier, visé les daaras dans leur croisade contre l’Islam. Les imams ont été diabolisés dans le cadre de leur combat contre les confréries, à travers les armes. Mais il y a eu en face la résistance pacifique incarnée par Cheikh Ahmadou Bamba «Serigne Touba». Parmi les chefs d’inculpation retenus contre lui par le colon figurait le moudjahid. «Serigne Touba a assumé son statut de moudjahid, mais a tenu à en expliquer la forme. Il s’agissait, pour lui, d’un moudjahid constructif, synonyme de développement, d’enseignement et de culture, plutôt que d’un moudjahid destructif incarné par la résistance armée. D’ailleurs, il l’a expliqué dans certains de ses poèmes. Dès lors, il apparaît clairement que cette traque des imams n’est qu’un combat contre l’Islam à travers la diabolisation des hommes qui l’incarnent, notamment les imams». De Senghor à Macky, un combat continu contre l’Islam «Ceci n’est que la continuation du combat contre l’Islam et tous les présidents du Sénégal se sont illustrés dans cette voie. Chez Senghor, son combat était de «faire des musulmans de mauvais pratiquants», tel qu’il a été cité par l’ancien président de la Cour suprême, Ousmane Camara, dans son livre, quand il parlait du conflit entre Senghor et les mourides. Pour sa part, Diouf parlait de la famille abrahamite pour mettre les chrétiens, juifs et musulmans dans la même pirogue. Il s’agissait tout simplement d’un cocktail qui allait dans le sens de noyer le poisson dans l’eau, comme en atteste sa célèbre phrase lorsqu’il disait au sujet des marabouts : «Même quand ils parlent au téléphone, s’ils disent allô, les disciples pensent qu’ils communiquent avec Dieu.» Voilà une manière contournée de présenter les marabouts comme des mystificateurs. «Quant à Wade, il a toujours revendiqué son appartenance à la communauté mouride. Mais on sait qu’il a terminé par cette flagrance en présentant Serigne Saliou Mbacké comme un élu local à Touba. Ce qui a démontré que ses initiatives ont toujours tourné autour du projet colonial avec comme méthode de banaliser et de diaboliser les marabouts. «Arrive le régime de Macky Sall qui, dès l’entame de son mandat, a assimilé les marabouts, et non les religieux, à de +simples citoyens+. Lui aussi, a visé l’Islam dès le début de son règne. En atteste son soutien à la marche contre l’attentat de Charlie hebdo. Oui, il est allé marcher aux côtés des auteurs des caricatures du prophète de l’Islam. Les Sénégalais gardent encore en mémoire que le défunt Pr Oumar Sankharé a montré, dans son dernier ouvrage intitulé : «L’Islam et la culture grecque», que le Coran n’est qu’une inspiration et une copie de la culture gréco-latine. Ce qui a choqué plus d’un car il s’est agi de banaliser une croyance, une institution ancrée dans les cœurs des uns et des autres. «L’on se rappelle enfin que le ministre de l’Intérieur a récemment prôné l’obligation de surveiller les moquées et de requérir l’autorisation préalable de l’autorité avant d’en construire une. Cette singularité a été dirigée contre les mosquées et non les lieux de culte d’une manière générale. Et ce n’est pas le fait du simple hasard. Pourtant, même dans certains pays occidentaux, il existe un Etat religieux au sein même de l’Etat républicain. C’est ce que représente le Vatican dans l’Italie». Rupture d’égalité entre catholiques et musulmans «Viser l’Islam par l’un de ses symboles les plus importants que sont les imams est constitutif d’un combat continu contre la religion musulmane. Il est regrettable de constater que, au Sénégal, le clergé est constamment protégé par la loi. Cette loi qui ne vise pas les religieux, en général, mais seulement cette frange de la communauté religieuse du pays cité. La France est en train encore de revenir vers ses pays colonisés par le biais de leur administration qu’elle utilise sans cesse comme moyen pour faire bégayer l’Histoire». L’Intox des Français «Sur le plan sécuritaire, les rapports français parlent d’insécurité. J’en avais été témoin oculaire en 2000, lorsque ces mêmes rapports prédisaient qu’il y aurait feux et flammes aux élections présidentielles. J’avais fait une déclaration pour dire que c’est du Français. Que cela n’existait pas et qu’il y aurait des élections apaisées. Le même scénario s’était reproduit en 2012 quand les Français avaient annoncé, dans leurs rapports, des lendemains sombres. J’avais également pris l’initiative de parler aux Sénégalais pour leur dire qu’il n’y aurait rien du tout. Ce n’était pas de la voyance, mais une lecture d’un homme du terrain qui sait, de par son analyse, ses observations et sa vision personnelle des choses, distinguer la réalité du faux. «La sécurité du pays n’est pas dirigée par un Sénégalais, mais par un blanc qui coordonne pour toute l’Afrique de l’Ouest. A chaque fois, c’est de l’intox qui est envoyée aux services secrets et de renseignements des pays concernés. La première chose que doit faire le régime, c’est de faire attention à ces gens qui servent de l’intoxication. Il en était de même lorsque le pouvoir avait interdit le meeting de l’opposition, pour cause de troubles à l’ordre public. Au final, il n’en avait rien été. J’avais en son temps dit à Macky Sall de laisser le Pds tenir sa manifestation politique car rien n’allait déborder. Et il en a été ainsi !». «Les résultats de l’oppression seront fâcheux» «Le pouvoir doit laisser ces imams et arrêter de les diaboliser. Ce n’est pas bon pour le pays. Pourquoi ne leur permettrait-il pas de pouvoir bénéficier du même traitement que l’abbé Diamacoune Senghor quand il avait été confié à l’Eglise qui l’avait confiné dans une paroisse, plutôt que de le renvoyer en prison ? Dieu est juste et Il n’aime pas l’injustice. Quand on fait de l’injustice dans un pays, il y aura inévitablement des résultats fâcheux. Le pays a assez reculé en partie à cause de cette oppression qu’on ne cesse de mener sur des hommes et des femmes qui croient à une religion». Des accusations fallacieuses «Dans le cadre des résultats de l’enquête, publiés dans la presse, il est fait état de 450 millions de dollars (soit 225 milliards) retrouvés avec les deux dames incriminées dans la procédure contre l’Imam Alioune Badara Ndao et ses codétenus. Je me suis posé la question de savoir quelle banque peut garder autant d’argent pour une période ? Je ne vois pas une institution financière qui soit en mesure de pouvoir garder une telle somme. Je me suis également posé la question de savoir par quel moyen peut-on faire rentrer dans ce pays une somme aussi importante ? Jusqu’à ce jour, je n’ai pas reçu de réponse ni du milieu journalistique où l’on parle d’erreur d’appréciation sur les chiffres, ni des autorités. «L’accusation retient qu’il a été trouvé au domicile de l’imam Ndao, lors de la perquisition faite par des éléments du Gign (Groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale, Ndlr), deux téléphones satellitaires. Quel Sénégalais n’a pas les moyens de se payer un téléphone satellitaire ? C’est un appareil cellulaire que l’on peut avoir dans l’optique de l’utiliser dans des zones non couvertes. Est-ce un crime ou un délit le port d’un téléphone satellitaire ? La réponse ne peut être, à mon avis, que négative». Vices de forme dans l’enquête préliminaire «La supposée connexion des personnes incriminées avec des gens douteux n’est pas encore prouvée pour procéder à des arrestations qui, du reste, ont été marquées par des violations de certaines dispositions du Code de procédure pénale en matière d’interpellation et de garde à vue. Et cela risque de conduire droit vers une annulation du procès-verbal d’enquête préliminaire, pour vice de forme. «L’accusation retient aussi contre les inculpés placés sous mandat de dépôt, depuis vendredi dernier, et transférés à la Mac de Saint-Louis, mercredi, un autre grief relatif à l’apologie du terrorisme. Or, un livre écrit par le chrétien Théodore Ndock Ndiaye Quel Sénégalais pour demain, post-facé par Moustapha Niass, colle la citoyenneté à la christianité, pour un Sénégal chrétien et citoyen. Il s’agit, là, d’une manière qui incite les autres à travailler avec les moyens dont ils disposent pour établir un Etat chrétien. Ici, le terme utilisé par l’auteur est croisade qui renvoie, chez les musulmans, au djihad. Et cette manière de penser comme quoi l’on ne peut trouver le salut du peuple que dans un Etat chrétien en employant le mot croisade, n’a jamais suscité le moindre soupçon de discours terroriste. Mieux, l’ouvrage fait allusion à une «nation décidée à s’inscrire avec dignité et honneur», «faire de notre pays le Sénégal un état organisé», entre autres. «Pourquoi permettre aux uns de tenir un discours d’apologie de la croisade sans permettre aux autres d’en faire autant ? C’est-à-dire, de tenir un discours pour faire l’apologie du djihad ? Un tel traitement semble relever d’une rupture d’égalité qui ne dit pas son nom». Le voile intégral, une recommandation divine «Le voile intégral est une recommandation divine. Son nom varie selon la culture et la civilisation d’un peuple à un autre. Meulfa pour le Naar, grand boubou pour le wolof, Nikhab chez les bédouins, Djilbab chez d’autres croyances, etc. Par voie de conséquence, interdire le port du voile intégral, c’est déclarer la guerre à Dieu, à ses enseignements, au Saint Coran, à la Charia ainsi qu’aux textes explicites qui encadrent cette pratique religieuse. Le voile intégral est décrété par le Coran qui ordonne au Prophète de dire aux femmes des croyants de le porter et de ne faire apparaître que ce qui doit l’être». Oui à la résistance, non à l’agression ! «Croisade chez les chrétiens signifie djihad chez les musulmans. Il faut traiter toutes les religions de la même manière. Je refuse cette politique de deux poids deux mesures. Et ceci, quel que soit le secteur dans lequel elle est appliquée : la justice, l’administration, l’économie, la politique, etc. Il faut que les Sénégalais se sentent traités de manière équitable devant la loi. «L’Islam est la première religion sortie d’un enseignement moral pour aller vers la société. Mouhamed (Psl) est ainsi le premier prophète ayant livré des combats dans les deux sens. Tout est question de défense et de stratégie. La meilleure manière de se défendre, c’est d’attaquer pour prévenir. Dans l’Islam, il y a une culture de résistance. L’islam est contre l’agression. C’est un débat qui mérite une large réflexion. Ce ne sont pas des choses que l’on établit pour sa propre volonté car cela risque de conduire vers des dérives et des lendemains sombres». Règlements de compte et concurrence déloyale du Cnra «Le Cnra (Conseil national de régulation de l’audiovisuel, Ndlr) fait dans la concurrence déloyale. Dans sa composition, il y a des patrons de presse à qui l’Etat a donné les moyens de faire face à leurs concurrents. On leur a donné l’occasion de briser leurs adversaires. On ne s’attendait pas à voir un journaliste devenir un gendarme de l’audiovisuel. Ces anciens journalistes qui y officient, sont devenus des gendarmes pour leurs confrères restés toujours dans la profession. «C’est comme si l’autorité de l’audiovisuel tente d’arrêter la circulation sur l’autoroute de l’information. Mais c’est peine perdue, car personne ne peut arrêter la mer et ses vagues par ses propres bras. Avec la mondialisation, on n’a plus besoin de tract pour s’exprimer. Les journaux ne font que reprendre ce qui a été déjà vu ou entendu sur internet. «Quand nous voyons le Cnra combattre le théâtre en interdisant la diffusion de certaines productions audiovisuelles par le biais de son avis trimestriel, nous avons l’impression que les citoyens n’ont pas le droit à la distraction et au divertissement qui font aussi partie du rôle des médias au-delà de l’information. Il faut comprendre que les religions représentent des civilisations. J’en profite pour lancer un appel à une large concertation autour de la question». Des journalistes qui jouent aux gendarmes contre leurs confrères «Mais attention ! Dans le cadre de l’audiovisuel, il y a tout d’abord la responsabilité dans la liberté. Liberté et responsabilité vont de pair dans les activités de presse faites par des hommes responsables. Le public, à travers ses réactions, est assez en position d’alerte pour que les uns et les autres deviennent davantage responsables. Un organe de régulation ne peut que refléter cela et ne doit pas dépasser les limites de sa compétence fixée par la loi, pour des règlements de compte. C’est ce qu’on semble voir quelquefois dans la manière de servir des mises en demeure à certaines chaînes de télévision de la place. C’est le cas notamment lorsque l’on condamne des attaques dirigées contre certains politiciens et que l’on n’en fasse pas autant lorsque ces mêmes actes sont commis, en retour, par la partie adverse». Conflit Fada-Pds «C’est un problème interne au Parti démocratique sénégalais comme il en existe d’ailleurs dans toutes les autres formations politiques au Sénégal. Et les militants ont le dernier mot pour décider de la nature du règlement des conflits internes du parti, ainsi que des sanctions applicables aux auteurs de violations des dispositions du règlement intérieur. Dans le conflit qui oppose Modou Diagne Fada au Pds, la finalité sera ce que dira la Justice. Cette affaire a besoin d’un jugement et le moment venu, il en sera ainsi lorsque les deux parties en contentieux vont se déployer sur le terrain judiciaire. Et il semble que cela a déjà commencé…». Crise à l’Assemblée nationale «J’adhère entièrement aux propositions selon lesquelles il faut dissoudre l’Assemblée nationale. Un Parlement est d’abord légitime avant d’être légal. C’est un débat entre la légalité et la légitimité et j’estime que la dernière option doit être de mise. Je suis pour la légitimité. Valider des signatures apposées sur une liste sur la base de faux en se basant sur un jeu d’articles n’est pas un acte digne de confiance de la part de personnes dépositaires de la confiance du peuple. «Ce qui s’est passé avec le problème des signatures est un scandale. Les signatures reconduites sur la liste de Fada ont été validées par les responsables de l’Assemblée nationale en toute illégalité et en violation de la loi. C’est un précédent dangereux ! Toutes les personnes qui les ont entérinées doivent être traduites en justice avant même d’en vouloir à qui que ce soit et avant de parler du cas Fada qui, du reste, n’est pas le seul responsable dans cette histoire». «Traduire en justice ceux qui ont validé les signatures» «Je rejoins Me El Hadji Diouf dans son analyse lorsqu’il estime que +c’est du vol de signatures+. Les auteurs méritent d’être traduits devant la Justice comme n’importe quel voleur d’œuf, sauf que, dans le cas présent, c’est plus grave car ayant été commis avec les moyens du peuple. L’Assemblée nationale est responsable, sur toute la ligne, de la validation de ces signatures frauduleuses. Ceux qui sont les auteurs devraient être passibles de poursuites judiciaires pour le délit de «faux et usage de faux» prévu et puni par le Code pénal sénégalais. L’Assemblée nationale a ainsi perdu de sa crédibilité à cause des têtes qui ont été prises en fragrant délit de vol». Alternance générationnelle au Pds «Lors de ma rencontre avec Wade, il y a de cela un an, je lui ai dit que j’étais pour son retrait de la scène politique, après qu’il a bien accompli sa mission. Je lui ai expliqué que le Pds est un parti animé par des hommes mûrs, valeureux et valables et qu’ils peuvent prendre en charge la destinée du parti. Je suis de ceux qui croient qu’Abdoulaye Wade a beaucoup fait pour la démocratie sénégalaise, pour ce pays. C’est un patriote, un panafricaniste et tout ce que vous voulez comme éloges. Mais chaque chose a une durée de vie. Y compris le règne de Wade à la tête du Pds. Il doit quitter la scène politique plutôt que d’en rester acteur».
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