Le Président sénégalais a soldé ses comptes à travers anecdotes et révélations, jeudi dernier. C’était lors d’un dîner que lui a offert Laurent Gbagbo. Tout en confessant comment on a tenté de le brouiller avec Simone Gbagbo, l’épouse du chef de l’Etat ivoirien, Me Wade n’a pas du tout raté Obasanjo qui, selon lui, le connaissait mal. De manière voilée, le chef de l’Etat a aussi tiré sur Benno Siggil Sénégal, non sans dévoiler le contenu de l’audience qu’il avait accordée à l’envoyé spécial d’Hillary Clinton.
C’est un Abdoulaye Wade en forme, qui a prononcé un long discours devant son homologue ivoirien et son épouse, à la suite d’un dîner que lui a offert le couple présidentiel. Prenant, en effet, la parole, le Président sénégalais, visiblement aux anges, a déclaré : « Je suis comblé, parce qu’à vrai dire, j’ai pensé qu’après un bon dîner, on allait échanger des toasts, on allait applaudir et chacun allait se retirer. Mais, Laurent Gbagbo m’avait préparé un guet-apens. D’abord, en transformant ce grand dîner en une sorte de causerie de famille autour du feu. (…) Un jour, un journal d’ici a écrit : « le Sénégal a pris la place de la Côte d’Ivoire dans le monde ». J’ai dit, parlant de l’auteur de l’article : « le pauvre, il n’a rien compris ! C’est la Côte d’Ivoire, qui n’a pas pris sa place ; mais, moi, j’ai pris la mienne ». Si la Côte d’Ivoire avait pris sa place, nous serions deux chefs d’Etat africains dans les rencontres internationales où, souvent, j’étais seul. Cela montre l’estime que j’ai pour la Côte d’Ivoire ».
« Ce que j’ai dit à Abdou Diouf, quand Gbagbo était en prison ! »
Wade de révéler : « J’ai indiqué, tout à l’heure, au Président Gbagbo, que mon père a vécu en Côte d’Ivoire, après la guerre 1914-1918. Mon oncle a vécu à Grand-Bassam de la fin de la guerre 1914-1918 à 1945. Il s’est marié et a eu des enfants avec une Ivoirienne. Moi-même, j’ai travaillé ici, en tant que consultant de la Bad et de l’Oua. J’ai passé la moitié du temps ici et l’autre moitié à Addis-Abeba. Je connais Abidjan. J’ai eu beaucoup d’amis. (…) Moi, je n’ai pas de pétrole au Sénégal… Je me serais contenté de la deuxième place derrière la Côte d’Ivoire. Et je n’aurais pas manqué de mérite, parce que je n’ai pas de ressources autres que les ressources humaines. Quelque chose me lie à Gbagbo. Il s’est retrouvé mis en prison par Houphouët. À l’époque, moi, j’étais ministre d’Etat de Diouf. Lorsqu’on nous a dit qu’on a mis Gbagbo en prison et que je n’ai pas entendu de réaction, j’ai dit à Abdou Diouf qu’on ne va pas le laisser en prison ! Bien que lui soit socialiste et moi libéral, on ne peut pas le laisser en prison ! ». Abdou Diouf a dit : « qu’est-ce que tu vas faire ? ». Moi, je lui ai dit que j’irai voir Houphouët. Il n’a rien dit. Je suis allé pour qu’Houphouët m’accorde une audience. Je l’ai retrouvé à Paris. On a parlé de beaucoup de choses et je lui ai dit : « Monsieur le Président, il faut sortir Gbagbo de prison ». Il me dit : « Gbagbo venait ici. C’est mon enfant ». Je lui ai rétorqué : « justement, c’est une raison de plus, pour le sortir de prison ». Il me répond, en ces termes : « il a été condamné, il a fait appel. Il faut qu’il se décide par rapport à son appel. On va le laisser partir ». Il y avait aussi un avocat sénégalais, Me Badara Cissé, qui faisait la liaison. Je lui ai dit : « va dire à Gbagbo qu’Houphouët va le libérer ». D’abord, Gbagbo lui dit : « il faut voir les amis membres du Comité directeur de mon parti ». Ensuite, l’avocat me dit : « le Comité directeur dit avoir pris acte, mais il demande qu’Houphouët s’engage par écrit ». J’ai dit : « Quelle catastrophe ! ». Et puis après, il a été libéré. Alors, ce sont des souvenirs. Et même lorsque Gbagbo était opposé à Konan Bédié, chaque fois que je venais ici, il venait me voir et l’on parlait de beaucoup de choses ».
« Obansanjo ne me connaissait pas. Cela s’est mal terminé, mais… »
Me Wade, en direction de ses interlocuteurs, déclare : « les différences idéologiques existent. Je ne peux pas dire que cela n’existe pas. Encore que les journaux du Sénégal ont dit que moi, je ne suis pas un libéral, mais plutôt un socialiste. J’ai un de mes amis socialiste ou marxiste qui m’a dit : « Avec ce que tu fais, nous, quand nous allons arriver au pouvoir, qu’est- ce que nous allons faire ? Tu fais beaucoup de socialisme, notamment l’habitat, entre autres ». Donc, beaucoup de choses nous lient, notamment notre attachement commun au panafricanisme. Parce que moi, j’atteste que, depuis que nous nous connaissons, je n’ai jamais vu Laurent Gbagbo développer des idées isolationnistes ». Parlant toujours de son homologue, il poursuit : « Je ne l’ai entendu parler que d’unité de l’Afrique, du panafricanisme. Nous en avons parlé, lui, Obasanjo et moi, à Yamoussoukro, parce qu’on voulait passer à une unité politique supérieure. Cela a toujours été une obsession pour moi, mais cela s’est mal terminé avec Obasanjo. Même si on s’est réconcilié après. Parce qu’il ne me connaissait pas. Il a fallu que Pedro Pirès lui dise qu’il se trompait. Sérigne Diop, qui avait mon livre intitulé « Un Destin pour l’Afrique », le lui a tendu et il lui a dit ceci : « Président, il y a longtemps que Me Abdoulaye Wade défend l’unité du continent ». Alors, j’ai dit à Obasandjo : « Il y a longtemps que j’ai proposé un gouvernement continental. Et à l’époque où je le faisais, toi, tu étais encore au garde-à-vous ». Tout cela s’est passé devant Monsieur Gbagbo. Nous nous sommes battus pour beaucoup de choses. Malheureusement, la vie étant ce qu’elle est, je crois qu’un des grands dangers pour des gens qui veulent travailler ensemble, c’est de rester longtemps sans se voir ».
« Des gens sont venus me dire : Gbagbo t’aime, mais Simone ne veut pas te voir, même en peinture »
Pour se confirmer, le chef de l’Etat sénégalais fait une révélation : « Il y a des gens, qui sont venus me voir pour me dire : « Monsieur le Président, Gbagbo t’aime bien, mais c’est Mme Gbagbo, qui ne veut pas te voir, même en peinture ». J’ai dit : « Ah bon ! Et pourquoi ? ». Je n’ai pas eu de réponse. Et, l’autre jour, à Libreville, lors des obsèques de Monsieur Bongo, j’étais assis, et Madame Gbagbo était de l’autre côté avec les Sarkozy. À ce moment, moi, j’étais avec d’autres personnes dans une grande salle. Et quand il s’est agi d’aller signer le livre de condoléances, chacun se levait et allait le faire à tour de rôle. Alors, Madame Gbagbo s’est levée. Elle a traversé la salle et elle est venue me saluer. J’étais surpris, mais pas tellement surpris. J’ai beaucoup apprécié ce geste et plusieurs autres personnes avec moi. Et, pourtant, tout le monde pensait qu’on allait se crêper les chignons ». Mais, moi, dit-il « je n’en avais pas. Alors, j’ai beaucoup apprécié le geste. Cela veut dire qu’il faut se voir souvent ; il faut se parler. Pour éviter certaines choses, parce qu’il y a des gens qui sont faits pour raconter des histoires pour rien. ».
« On ne peut pas devenir Président avec le nœud papillon »
Comme pour dire qu’il manœuvre toujours contre la Bceao qu’il ne cesse de critiquer, le Président Wade passe aux aveux : « Avec Gbagbo, nous avons parlé de la situation de la Côte d’Ivoire, mais, au-delà, nous avons parlé d’une évolution de l’Uemoa, de notre Banque centrale, qui doit devenir une véritable banque de financement. Cela dit, j’ai écouté tous les partis politiques et j’ai essayé de comprendre. (…) C’est vrai, l’ambition politique, c’est un droit. Mais tout le monde ne peut pas être Président, je suis désolé ! Tout le monde ne peut pas l’être. On se bat pour l’être, mais, quand on ne l’est pas, je l’ai dit à l’envoyé de Madame Clinton, il y a trois jours, combien de fois je pouvais déstabiliser Diouf, parce que j’avais les forces populaires avec moi, mais jamais cela ne m’est venu à l’esprit. J’ai secoué un peu Diouf, mais je savais où m’arrêter. Parce que je me suis dit jamais je n’irais au Palais, en marchant sur des cadavres. Je n’ai jamais franchi ce pas. J’avais ma méthode qui consistait à être patient et en me disant qu’en mobilisant mes forces, j’y arriverai un jour, où l’on ne pourra plus truquer les élections. C’est ce qui est arrivé ». Il précise : « cela m’a coûté 27 ans, le fait d’être dans l’opposition. Mais, aujourd’hui, les gens créent un parti, et, demain, ils veulent être Président. Ça aussi, c’est un peu d’illusion. On ne peut pas devenir Président avec le nœud papillon. Il faut se battre. C’est un combat permanent. Mais, surtout, il faut beaucoup de patience. Parce que la politique, ce n’est pas une machine, ce n’est pas de la géométrie. Ce sont les hommes qui l’animent ».
Cheikh Mbacké GUISSE
lasquotidien.info