Il semble qu’un sursis vient d’être accordé in extremis à la Sir(Société ivoirienne de raffinage), créée le 3 octobre 1962 et dont la « mort » était annoncée pour le 26 janvier dernier. L’Etat ivoirien a dû venir au secours de ce fleuron de l’industrie ivoirienne à coup de plus de 35 milliards de FCfa. Mais l’ampleur des dégâts est telle qu’à l’instar de ses sœurs du continent telle que la Sar(Société africaine de raffinage) au Sénégal et même du monde, confrontées à la dure réalité du secteur, la Sir aura tout de même du mal à se relever.
En Amérique, en Europe, mais aussi en Afrique, on assiste depuis quelques mois à une vague de fermetures dans le secteur du raffinage. Au Ghana, la seule raffinerie du pays vient d’être ravagée par un monstrueux incendie qui a fait un mort et un brûlé grave. Mais l’usine qui a une capacité de 45 000 barils par jour, est pratiquement sans charge depuis février 2009, suite au fardeau d’une dette de 527 millions de dollars (environ 231 milliards de FCfa), l’obligeant à réduire ses opérations.
En Afrique du Sud, en octobre dernier, la compagnie publique PetroSA a informé ses clients, qu’elle prévoyait de fermer sa raffinerie de Mossel Bay pour des opérations d’entretien des équipements qui dureraient pendant 37 jours, tout en indiquant que la durée de fermeture risquait d’être… plus longue. Au Cameroun, la Sonara, après un arrêt au mois d’octobre dernier, voit aujourd’hui trois sur quatre de ses unités à l’arrêt. Elle est dans une situation critique du fait de l’énorme dette de l’État à son égard? : retard de paiement des administrations et non-versement des compensations pour cause de blocage des prix à la pompe.
Proche de la faillite, la Sonara cherche 300 milliards de FCfa pour s’agrandir et améliorer sa productivité. En désaccord avec ce projet jugé insensé, Total, partenaire technique et actionnaire à 20 % de la raffinerie de Limbé, a annoncé son retrait sans autre commentaire. Même scénario au Gabon avec la Sogara(Société gabonaise de raffinage) où depuis huit mois, certaines unités ne tourneraient plus.
De sorte que l’Etat gabonais envisage sérieusement sa fermeture pure et simple… Même la France est touchée par le phénomène à travers la raffinerie de Dunkerque appartenant à la compagnie Total, qui est d’une capacité de traitement de 137.000 barils par jour et qui est « en arrêt conjoncturel » depuis mi-septembre 2009. La compagnie Total a d’ailleurs annoncé sa fermeture prochaine pour la transformer en un dépôt de carburant. Quant à la Coraf (Congolaise de raffinage), à Pointe-Noire, il faudrait des milliards pour la remettre aux normes internationales. Dans ce contexte, le projet de raffinerie de 20?000 b/j proposé en juin dernier au Niger par la China National Oil and Gas Exploration and Development Corporation (CNODC) dans le cadre d’un contrat d’exploration dans le nord du pays, est à considérer avec beaucoup de réserve. Et voici que la Sir, la Société ivoirienne de raffinage, entre dans la danse folle de l’industrie du raffinage, du fait de graves problèmes de trésorerie.
Créée le 3 octobre 1962 par le gouvernement ivoirien avec le concours de groupes pétroliers internationaux, cette unité industrielle stratégique de la Côte d’Ivoire qui est l’un des rares pays au monde à posséder un hydrocraqueur (qui permet un procédé permettant de convertir des distillats lourds de pétrole en coupes légères à haute valeur marchande), est à l’article de la « mort ». Sa fermeture était même annoncée pour la fin du mois de janvier 2010, faute de brut, sur fond d’un bilan grevé par des créances impayées du fait notamment du blocage des prix à la pompe imposé par le gouvernement depuis 2008. Conséquences, un résultat estimé déficitaire de 50 milliards de FCfa pour l’exercice 2009.
De sources ivoiriennes, il semble que le sursis proviendrait de la Guinée équatoriale qui aurait permis à la Côte d’Ivoire de se procurer une petite quantité de brut, mais aussi du gouvernement ivoirien en espèces sonnantes et trébuchantes de 35 milliards de FCfa. Qu’à cela ne tienne. Tout porte à croire que la Sir est encore loin d’apercevoir le bout du pipe.
Cette situation de la Sir, toute proportion gardée, n’est pas sans rappeler le cas de sa sœur sénégalaise, la Sar(Société africaine de raffinage) qui a vécu pareille situation et qui, n’eût été l’option concrétisée par l’Etat de conserver coûte que coûte cet outil stratégique, aurait tout bonnement disparu, plombée qu’elle était par une dette de 85 milliards de FCfa laissée par les majors qui détenaient la raffinerie et qui avaient le dessein de lui faire subir le sort annoncé pour la raffinerie de Dunkerque en France et celle de Shell à Montréal : C’est-à-dire la fermer et la transformation en dépôts de carburant. Aujourd’hui en pleine restructuration, la Sar n’est cependant pas pour autant sortie d’affaire. Au contraire, dans l’espoir et l’attente de voir entrer dans son capital un partenaire en mesure de relancer les investissements nécessaires à son développement et à ses ambitions régionales, la Sar est à court de brut et la torche ne brûle plus depuis un mois.
Que se passe-t-il donc dans le secteur du raffinage qui affecte toutes ces raffineries et menace leur survie ?
Une première explication renvoie au contexte économique qui prévaut depuis plusieurs mois dans le secteur du raffinage et qui s’est dégradé à la faveur de la crise économique mondiale. L’effondrement drastique des marges brutes de raffinage (différence entre la valeur des produits finis vendus sur le marché et celle du pétrole brut), écrasées par la flambée des prix du brut, se poursuit inexorablement. Illustration : les marges brutes de raffinage (qui mesurent la rémunération du raffineur pour ses coûts et ses profits), depuis des années dans le monde entier, seraient passées de 7,4 dollars (soit 3700 FCfa) par baril en 2008 à 1,2 dollar (soit 600 FCfa) par baril en 2009. Cette situation des marges apparaît dissuasive et semble expliquer par ailleurs que la plupart des projets d’investissements dans le secteur en Afrique tardent à se concrétiser voire sont remis aux calendes grecques, alors que les raffineries existantes sont technologiquement dépassées, lourdement endettées et tournent bien en deçà de leurs capacités… Quand toutefois elles fonctionnent.
Aux calendes grecques
Avant même la crise, la Côte d’Ivoire qui avait la volonté de conforter sa position régionale avec un projet de construction d’une seconde raffinerie estimée à 700 milliards de FCfa et prévue alors dans la zone de Vridi, à Abidjan, a dû revoir ses ambitions. Le projet attend toujours. Au Ghana, un investissement de 275 millions de dollars devait porter la capacité de la Tema Oil Refinery (TOR) de 45?000 b/j à 100?000 b/j, soit le double de la consommation du pays, qui est actuellement de 50?000 b/j. Mais la situation actuelle n’y est pas favorable compte tenu des pertes subies à la suite du blocage du prix à la pompe décidé par le gouvernement, renvoyant du même coup la privatisation de la raffinerie, également à l’ordre du jour depuis plusieurs années. Assumant des ambitions régionales, le Sénégal, à travers la Sar, envisage depuis des années l’augmentation de ses capacités et n’a jamais été aussi près qu’aujourd’hui, de réaliser ce projet avec le partenaire saoudien, le groupe Bin Laden qui a manifesté son intérêt, avancé dans les négociations, mais prend son temps pour entrer effectivement dans le capital et dérouler les investissements nécessaires, alors que la raffinerie a plus que jamais besoin d’argent frais pour tourner.
Un géant aux pieds d’argile
Selon le bureau de consultants londonien Citac, sur 31 raffineries existantes en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud), seules 18 fonctionnent. Résultat, cette région, pourtant exportatrice de brut, importe la moitié de sa consommation de produits raffinés. Le cas du Nigeria est emblématique de cette situation paradoxale.
Premier producteur de pétrole d’Afrique et onzième mondial, le Nigeria extrait près de dix fois ce qu’il consomme (2,63 millions de b/j produits pour 321?000 b/j consommés), ce qui lui permet de se classer au huitième rang mondial des exportateurs. Et pourtant, le Nigeria importe le tiers de sa consommation de produits raffinés, soit une facture chiffrée entre 6 milliards et 9 milliards de dollars par an, selon les estimations. Les quatre raffineries que compte le pays (Port Harcourt I et II, Warri et Kaduna) devraient en principe suffire largement à alimenter le marché en produits raffinés avec une capacité cumulée de 438?750 b/j. Seulement, moins de la moitié de cette capacité est opérationnelle (autour de 210?000 b/j) du fait des sabotages, de la mauvaise maintenance et des erreurs de gestion. Les projets de remise en état des installations traînent, contrariés par des interférences politiques. Aussi, pour les pays de la sous-région, le Nigeria constitue un marché d’exportation alléchant. C’est déjà le premier client de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), qui lui vend 25 % de sa production alors que la Côte d’Ivoire n’en absorbe que 22 %. La SIR, en temps « normal », s’affirme de plus en plus comme fournisseur du marché ouest-africain. Elle vend à ses voisins immédiats? : le Mali et le Burkina, mais en achemine aussi par bateau vers pratiquement tous les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale depuis le Sénégal jusqu’à la RD Congo. Il n’empêche, le géant… aux pieds d’argile reste la pierre angulaire du secteur dans la zone subsaharienne du fait de sa capacité installée et de la qualité de son brut.
Petites, disparaître ?
13 raffineries de la Côte Ouest africaine possèderaient des capacités de production comprises entre 0,5 et 4 Mt/an, c’est-à-dire bien en dessous des 7 Mt/an de capacité jugées généralement comme étant le niveau optimum minimum pour la rentabilité d’une raffinerie. Dès lors, il semble que les « petites » raffineries comme la Sar sont condamnées à se moderniser et à s’agrandir pour rester dans la course. De là à épouser la thèse de la Banque mondiale qui, devant l’état de déliquescence quasi généralisée à laquelle n’échappent ni le Nigéria, ni la Sir, encore moins la Sar, prône avec insistance la suppression des raffineries et l’importation pure et simple par l’Afrique des produits pétroliers…
Si les petites raffineries sont devenues un poids insupportable pour les États africains en tenant compte de l’intervention de l’État, la corruption, la vétusté des installations et les problèmes d’approvisionnement en produits pétroliers qui en découlent, on imagine ce que coûterait à ces Etats l’importation nette de produits finis. Le coût du produit fini intègre toutes les étapes du processus de transformation du brut en plus du coût du fret. Dans un contexte de flambée des prix du brut, aucun Etat importateur net, ne tiendrait le coup. L’ »hémorragie » de devises sur l’économie des pays importateurs de pétrole brut, bien que très difficile à supporter, serait en outre amplifiée par plusieurs autres types d’épreuves à surmonter comme l’aggravation du coût énergétique par les « excès » de frais de transport et autres coûts d’approvisionnements, de distribution, de stockage etc.
Aussi, sous ce rapport, il revient moins cher de moderniser les raffineries et surtout de s’assurer une politique de raffinage indépendante.. La France est un important importateur de pétrole. Pour réduire sa dépendance, elle doit s’approvisionner en pétrole sur le marché mondial et disposer d’un outil de raffinage performant pour produire à prix compétitifs des carburants de qualité. C’est d’ailleurs le combat de l’Association des raffineurs africains (ARA), qui regroupe les dirigeants des principales sociétés africaines et qui plaide pour le développement du raffinage sur le continent. L’Ara s’alarme d’ailleurs face au pire des scénarios à ses yeux? : celui où l’Afrique importera la quasi-totalité de ses produits raffinés du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est, des régions qui concentrent actuellement 80 % des nouveaux projets de raffinage.
Toutefois, pour développer le raffinage sur le continent, il faut, en plus d’une meilleure gestion, prendre en compte certains facteurs essentiels, le secteur industriel du raffinage étant très capitalistique. Parmi les facteurs incitatifs les plus importants qui devront favoriser les investissements, figure l’amélioration des marges de raffinage. Cependant ce facteur reste très dépendant de l’évolution du prix des bruts utilisés, mais aussi de la forte pression fiscale des états africains sur les produits pétroliers en général. Et à ce besoin d’équilibrage de l’offre à la demande, s’ajoutent d’autres besoins d’investissement relatifs aux exigences de la protection environnementale. Avec ces perspectives, l’équilibre financier du raffinage risque de demeurer encore longtemps un problème capital pour l’industrie pétrolière africaine.
Par ailleurs, il convient de lever les facteurs technologiques qui entravent le développement de l’industrie du pétrole en Afrique. Les industries de raffinage des PCOA (Pays côtiers Ouest africains) notamment sont toutes de type simple, donc incapables de procéder à une profonde diversification de leurs produits. Elles sont surtout composées de tours de distillation primaire, d’où un excédent de fuel lourd résiduel (coupes lourdes), dont on ne sait trop quoi faire. Les contraintes de type commercial et environnemental indubitablement générées par la dynamique de l’évolution mondiale, imposent une plus grande rationalité et propreté de l’usage de certaines sources énergétiques, pour des raisons écologiques fort justement nécessaires à la “santé“ de l’humanité.
Les produits pétroliers légers sont donc de plus en plus demandés sur les marchés africains, progrès technologique oblige. Le niveau de complexité très faible de ces unités industrielles devient davantage inacceptable et confine les raffineries africaines à rester dans une situation d’inefficience socio-technique et économique notoire. Le problème des faibles taux d’utilisation se pose de façon cruciale à l’industrie de raffinage africaine. Mais, elle n’est qu’une des nombreuses conséquences de l’inadéquation des technologies mises en oeuvre dans ce secteur industriel.
sudonline.sn