A Bruxelles, les vingt-huit dirigeants de l’Union européenne ont trouvé un accord sur la question migratoire, vendredi 29 juin au petit matin, lors d’un sommet tendu, alors que les Italiens menaçaient de faire capoter la réunion faute d’engagements précis de ses partenaires européens concernant l’accueil des migrants.
« Les Vingt-Huit se sont accordés sur les conclusions du sommet, y compris la migration », a annoncé sur Twitter le président du Conseil européen, Donald Tusk, à 4h30 (2h30 TU), après des tractations marathon entamées la veille en début de soirée. Les détails de cet accord n’ont pas été précisés dans l’immédiat. « C’est la coopération européenne qui l’a emporté », s’est aussitôt félicité le président français Emmanuel Macron devant la presse, jugeant que « la solidarité que nous devons aux pays de première entrée a été actée ».
C’est « un très bon compromis », s’est réjoui de son côté le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. « Il y a des déclarations sur des relocalisations (la répartition de demandeurs d’asile, NDLR) sur une base volontaire et elles sont basées sur le consensus », a-t-il ajouté. Le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte s’est félicité d’un accord qui prévoit « une approche intégrée, comme nous l’avions demandé » avec « une Europe plus responsable et plus solidaire ». « C’était une longue négociation » mais « nous sommes satisfaits », a-t-il affirmé devant les journalistes.
« Qui arrive en Italie, arrive en Europe »
Parmi les points de satisfaction pour l’Italie, M. Conte a cité « le principe selon lequel qui arrive en Italie, arrive en Europe », « la possibilité de créer des plateformes de débarquement dans les pays tiers, sous l’autorité du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) » et celle de « créer des centres (d’accueil) dans les Etats européens mais seulement sur une base volontaire, avec une gestion collective européenne ». De plus, le compromis « pose comme principe que tous les bateaux doivent respecter les lois, donc aussi les ONG, et ne pas interférer avec les opérations des garde-côtes libyens », a-t-il encore approuvé. Cette formulation répond aux critiques de Rome contre les ONG qui secourent des migrants près des côtes libyennes, comme l’ONG allemande qui opère le navire Lifeline, que l’Italie accuse de faire le jeu des passeurs.
Angela Merkel défiée par la CSU
Le sommet a également lieu sur fond de fragilité inédite de la chancelière allemande Angela Merkel, dont l’autorité est défiée sur la question migratoire par ses alliés de la CSU, l’aile droite de sa coalition. Son ministre de l’Intérieur menace de refouler aux frontières les migrants déjà enregistrés ailleurs, de manière unilatérale, faute de mesures européennes contre les déplacements de migrants dans l’UE, appelés « mouvements secondaires ». « L’Europe a beaucoup de défis mais celui lié à la question migratoire pourrait décider du destin de l’UE », a prévenu jeudi Mme Merkel, appelant à des solutions « multilatérales » et non « unilatérales ».
Si les dirigeants européens ne se mettent pas d’accord, ils vont fournir « un nombre croissant d’arguments » à des mouvements populistes, avait auparavant prévenu le président du Conseil européen, Donald Tusk. Et ce, même si les arrivées sur les côtes européennes ont chuté de manière spectaculaire comparé au pic enregistré à l’automne 2015.
Pays européens « volontaires »
Les propositions franco-italiennes qui ont alimenté les débats entre dirigeants européens portaient notamment sur la création de « centres contrôlés » dans des pays européens « volontaires », où seraient débarqués les migrants arrivant dans les eaux européennes. Les migrants éligibles à l’asile pourraient être répartis depuis ces lieux dans d’autres pays européens, eux-aussi volontaires, répondant ainsi au souhait italien d’une « responsabilité partagée » pour tous les migrants arrivant en Europe.
Une source gouvernementale italienne a salué la « contribution importante » de M. Macron, tout en relevant que quelques pays s’étaient opposés « avec force » à ces propositions, en laissant entendre qu’il s’agissait notamment de la Hongrie. « Ce qui est arrivé avec l’Aquarius est intéressant », a fait valoir cette même source en référence à ce navire avec 630 migrants à son bord, à qui l’Italie et Malte avaient refusé l’accostage début juin. « A son arrivée en Espagne, il y a eu un partage entre pays européens » de l’accueil des passagers, a observé cette source. Quant au Lifeline, un autre bateau humanitaire que Rome refusait d’accueillir, il a lui pu accoster mercredi à Malte après des jours d’incertitude.
Des centres hors de l’Union ?
Pour réduire au maximum le nombre de bateaux arrivant dans les eaux européennes, le président du Conseil européen Donald Tusk a de son côté proposé aux dirigeants des pays de l’UE de réfléchir à des « plateformes de débarquement hors de l’Europe » pour les migrants secourus en mer, qui « mettrait fin au modèle économique des passeurs ». Débarquer les migrants hors de l’UE épargnerait aux Européens de se quereller pour la prise en charge de navires. Mais les contours du projet restent encore très flous, et il suscite de nombreuses questions sur sa compatibilité avec le droit international.
Le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a déjà fait savoir jeudi que son pays rejetait l’idée de tels centres d’accueil hos de l’Union européenne. Ce sommet du 28 juin devait initialement permettre de débloquer la réforme du régime d’asile européen, enlisée depuis deux ans. Mais cet objectif a été abandonné, les divergences étant trop fortes sur la réforme du Règlement de Dublin, qui confie aux pays de première entrée dans l’UE la responsabilité des demandes d’asile. La Commission propose de déroger à ce principe en période de crise, avec une répartition des demandeurs d’asile depuis leur lieu d’arrivée. Mais des pays comme la Hongrie et la Pologne, soutenus par l’Autriche, s’y opposent frontalement. L’Italie demande de son côté un système permanent de répartition, et l’abandon pur et simple du principe de la responsabilité du pays d’arrivée.
Rfi