Quand le président américain Donald Trump se rendra dans Charlevoix pour le Sommet du G7, le Canada cédera une petite partie de sa souveraineté à l’escouade de protection du U.S. Secret Service. Derrière leurs costards sombres et leurs verres fumés, ces agents cachent un arsenal militaire suffisamment puissant pour repousser une attaque tactique d’envergure.
LE CORTÈGE
Partout où le président des États-Unis va, un cortège d’environ 25 véhicules des services secrets américains le suit. Le président lui-même se trouve dans l’une des deux limousines blindées surnommées « The Beast » ; l’autre sert de leurre pour diviser les risques en cas d’attaque. Plusieurs voitures ou motos de la police locale ouvrent le cortège, suivies de camionnettes noires remplies d’agents de protection rapprochée du président. Parmi eux se trouvent les membres du « Counter-Assault Team » (CAT), une équipe tactique qui, en cas d’attaque, a pour mandat d’attirer le tir sur elle pendant que le président est évacué et amené dans un lieu sécuritaire déterminé à l’avance. Le convoi est toujours précédé de deux équipes d’éclaireurs, qui ouvrent la route cinq minutes et trois minutes avant le passage du président. Les journalistes accrédités de la Maison-Blanche suivent à bord de deux camionnettes de transport intégrées au convoi.
L’ ARMEMENT
Chaque membre des services secrets américains porte ses armes de service et peut cibler une menace selon les mêmes règles d’engagement que s’il se trouvait sur le sol américain. Les membres du CAT sont en tenue de combat et ont des armes automatiques entre les mains. « Les armes que portent ces agents sont toujours un enjeu qui fait l’objet de négociations au préalable avec les autorités locales. Les services secrets sont très conscients qu’ils sont en sol étranger, et de ce que ça impliquerait d’un point de vue diplomatique s’ils ouvraient le feu », assure Pierre-Yves Borduas, ex-sous-commissionnaire de la GRC, qui a supervisé plusieurs visites de dignitaires étrangers au Canada.
En 1985, lors d’un sommet canado-américain tenu au Château Frontenac, surnommé le Sommet des Irlandais, la GRC s’était opposée au fait que les services de protection de Ronald Reagan soient armés. Devant leur menace d’annuler tout simplement la rencontre, « c’est Brian Mulroney lui-même qui a tranché la question et leur a donné le feu vert », raconte Jeffrey Robinson, coauteur du livre Standing Next to History, qui raconte la carrière de l’agent des services secrets Joseph Petro. « Le principe est rarement remis en question aujourd’hui, mais ça reste compliqué. Les agents font en sorte que ces armes soient le plus invisibles possible, pour éviter de provoquer une réaction de panique », indique M. Robinson.
LES TROIS PÉRIMÈTRES
Une fois que le président descend de sa limousine, toute personne qui a une vue directe sur lui doit être préalablement scrutée au détecteur de métal. Un premier périmètre, composé de policiers locaux en uniforme, de barrières de métal et d’un petit nombre d’agents des services secrets, assure ce premier contrôle. Autour du président se trouve un deuxième cercle de protection, composé essentiellement des services secrets et de quelques agents locaux. « Ils sont entraînés pour déceler la moindre anomalie. Ils peuvent demander aux gens de leur montrer leurs mains, ou d’enlever leurs lunettes », illustre M. Robinson. Le dernier cercle, plus restreint, comporte la garde rapprochée du président. Celle-ci doit en principe rester à distance de bras de son protégé, mais les politiciens souhaitent de plus en plus qu’ils gardent une certaine distance. « Ce sont des élus ; ils veulent donner l’impression qu’ils sont accessibles au public. C’est encore plus vrai depuis que les gens réclament de prendre leur égoportrait avec eux, ce qui est un casse-tête pour les agents », note M. Borduas.
LES « IMPROMPTUS »
On se souviendra de l’arrêt « surprise » de Barack Obama au marché By d’Ottawa, lors de sa visite officielle en février 2009, pour y acheter une queue de castor. Selon Jeffrey Robinson, ces visites « impromptues » ne sont jamais improvisées. « Elles ne sont pas annoncées, mais les services secrets le savent à l’avance, question de pouvoir préparer la route du convoi en conséquence. Vous pouvez être sûr que, cinq minutes avant l’arrivée de la limousine, ils ont encerclé l’endroit. Et en principe, le président ne boit pas et ne mange pas ce qu’il achète. Seuls les services secrets peuvent préparer la nourriture que mange le président. Ce n’est qu’une opération pour les caméras », soutient-il. Les services de l’ordre locaux qui ont aussi un rôle de protection à jouer n’en sont cependant pas nécessairement informés : « Ça donne des palpitations aux agents, mais c’est un peu devenu inévitable. Ça fait partie du combat constant entre le désir des politiciens de paraître accessibles et celui des services de sécurité de vouloir éliminer au maximum les risques », constate M. Borduas.
LES AUTRES ÉQUIPES SPÉCIALES
Les membres du U.S. Secret Service débarquent généralement trois mois à l’avance pour planifier le volet sécuritaire des moindres déplacements présidentiels. « Ils reviennent à plusieurs reprises avant l’événement, notamment pour scanner les chambres d’hôtel pour déceler des micros », indique M. Robinson. Au jour de la visite, une équipe pour contrer de potentiels tireurs isolés (counter-snipers) est déployée sur les toits des immeubles environnants. Un agent doit aussi obligatoirement être posté en tout temps à un hôpital situé au maximum à 10 minutes de route de l’événement.
L’HÔTEL DU PRÉSIDENT
Un des éléments les plus complexes à prévoir est l’hôtel où le président et son équipe dormiront. En principe, les étages au-dessus et en dessous de celui où se trouve sa chambre doivent être laissés vacants pour des raisons de sécurité. « La préférence des services secrets, en principe, c’est de rentrer le soir même à Washington. D’un point de vue logistique, c’est beaucoup moins lourd à gérer pour eux. Et comme Charlevoix est relativement proche, je ne serais pas surpris que ce soit le cas lors du Sommet du G7 », dit Jeffrey Robinson. Pierre-Yves Borduas croit aussi que M. Trump rentrera le soir même, mais pour d’autres raisons : « M. Trump est le mouton noir du G7. Il ne voudra probablement pas rester, ne serait-ce que pour montrer qu’il aime faire les choses autrement », croit-il.
LES TRAVAUX SUSPENDUS À L’ASSEMBLÉE NATIONALE EN RAISON DU SOMMET
Tout indique qu’il n’y aura pas de travaux parlementaires à l’Assemblée nationale pendant le Sommet du G7. La rumeur d’une possible suspension du travail législatif allait bon train depuis plusieurs jours. Bien que la réunion du G7 se déroule à La Malbaie, dans Charlevoix, on s’attend à ce que plusieurs manifestations convergent vers Québec. Cette situation fait craindre aux autorités que l’accès à l’Assemblée nationale soit perturbé et que la sécurité des parlementaires soit mise en péril. La décision finale n’est pas encore prise, a-t-on indiqué hier au bureau du président de l’Assemblée nationale, Jacques Chagnon, mais dans les faits, les caucus ont déjà reçu des signaux confirmant que les travaux parlementaires seraient interrompus jeudi après-midi et vendredi matin.
— Martin Croteau, La Presse