26 septembre et ser ravivé dans la mémoire des Sénégalais, le souvenir du plus tragique des naufrages jusqu’ici connus dans l’histoire de l’humanité. C’était il y 9 ans. Le naufrage du joola engloutissement dans les eaux profondes de l’Océan pas moins de 2000 vies humaines devenant ainsi la plus grande catastrophe maritime de l’histoire de l’humanité. Une pensée pieuse pour nos disparus.
Neuf ans déjà, mais une meurtrissure si vivace, comme si elle venait d’être à l’instant. Il y a eu trop de morts dans cette tragédie. Trop de morts de jeunes, pouces prometteuses pour une nation en construit qui venaient chercher le savoir à l’Université Cheikh Anta Diop ou dans les lycées et collèges du pays où ils étaient affectés, de moins jeunes, d’hommes et de femmes qui n’ont eu le tort que d’emprunter le ferry qui désenclave la Casamance, ce jour-là. Trop de morts imputables certes à notre insouciance coupable, à notre laxisme assassin, à notre indolence déplorable, au populisme d’un pouvoir tâtonnant, mais et surtout à une crise qui refuse de s’estomper et que des « esprits malins », tapis dans l’ombre ou se pavanant même parfois sous les lambris de l’Etat, se plaisent à raviver et à alimenter tout en la cultivant comme au laboratoire, dans un périmètre bien délimité pour mieux la contrôler.
Seuls les morts et une région naturelle qui s’étiole et s’appauvrit continuellement semblent vrais dans cette crise casamançaise. Tout le reste parait procéder d’une vaste escroquerie entretenue à grande échelle par une mafia qui vit de la guerre. A regarder la cacophonie et l’amateurisme qui caractérisent depuis 11 ans maintenant, la gestion du dossier casamançais au grand dam des populations du Sud qui ne sont pas loin assurément de penser qu’elles sont maudites à force de subir les coups d’un sort aussi cruel que criminel depuis 29 ans, on peut se demander si quelque part, faute de solution, on n’a pas simplement opté pour le « pourrissement ».
Autrement, l’on comprendrait difficilement le comportement des autorités dans cette affaire. Des autorités qui donnent l’impression aux populations qu’elles ont tout bonnement démissionnées en les laissant à leur triste sort, à la merci de gangs armés. Pourtant il revient à l’Etat et à lui seul qui a le monopole régalien de la violence, d’assurer la sécurité des biens de tous les citoyens sur chaque pouce du territoire national.
D’Oussouye à Sédhiou en passant par Bignona Vélingara et Kolda, la région naturelle de la Casamance aujourd’hui subdivisée en trois, on ne compte plus les villages abandonnés par leurs habitants, parce que terrorisés, spoliés et chassés par des bandes armées qui sévissent et que l’on se plait de loger dans les camps d’Atika, la branche armée du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), morcelée en plusieurs factions incontrôlées, vivant impunément de rapines au grand dam des populations navrées.
Las de subir les assauts de ces bandes armées qui tiennent en coupe réglée la Casamance et qui semblent surtout en ces moments préélectoraux, demander leur part de la cagnotte, n’en distribue-t-on pas à qui-en-veut-en-voilà au palais ? N’ont-ils pas menacé d’interdire l’élection dans des parties de la Casamance ? De quoi penser qu’ils seraient à la solde de manipulateurs de l’ombre qui joueraient ensuite les facilitateurs et réclameraient au passage quelques commissions juteuses. Le Balantacounda comme dans les années 1997, après le massacre de Djibanar, se rebiffe. En 1997, ses populations qui avaient douloureusement ressenti le fait que leurs enfants qui fêtaient après un match navétane au foyer des jeunes, avaient été froidement assassinés par des éléments supposés appartenir au Mfdc, avaient vigoureusement réagi. Elles avaient même demandé des armes pour aller en découdre avec les rebelles. Aujourd’hui, plusieurs villages dans le département de Goudomp, récidivent. Ils ont bloqué la route nationale N°6 à hauteur de Samine. Même s’ils ne demandent pas, comme en 1997, à être armés, ils n’en exigent pas moins la multiplication des postes des forces et des patrouilles militaires pour sécuriser davantage leur secteur. Ils payent des impôts. Ils sont des citoyens. Ils ont le droit d’exiger de l’Etat, protection et sécurité… Tout comme tous leurs autres concitoyens de la verte Casamance, ils sont fatigués de voir leur terroir sacrifié par un conflit sans fin, son développement hypothéqué, ses enfants mourir sous les balles ou sauter sur les mines en allant aux champs, s’ils n’ont pas péri dans le naufrage du Joola.
Certes, il faut le dire très clairement, point de solution en-dehors d’une négociation entre le Sénégal et ses voisins immédiats que sont la Gambie et la Guinée-Bissau et avec ses fils et filles de la région qui militent ou se réclament du Mfdc et ceux qui sont en dehors de ce mouvement. La question casamançaise est avant tout une question nationale, elle intéresse par conséquent la nation toute entière. La récente visite éclaire du président Wade en Gambie pour dit-on inviter le chef d’Etat gambien à reprendre part à la gestion de la crise semble relever plus d’un souci de recouvrer l’initiative au plan international même sous régional, que d’une réelle volonté d’aborder sur un angle nouveau la résolution de la question casamançaise. On gagnerait cependant à aborder plus sérieusement cette question-là qui ne saurait relever de simples effets de manches, tant elle concerne le devenir d’une nation et la stabilité d’une sous région. Il faut par conséquent mettre un contenu constamment évalué à toute proposition de sortie de crise. Instaurer un véritable et sincère dialogue avec toutes les parties prenantes de la crise. Avoir un chronogramme clairement défini, un but précis, des négociateurs identifiés. Un contenu qui fasse droit à la nécessité de trouver des réponses utiles à une situation fort complexe, mais dont la détermination doit occuper prioritairement nos politiques.
L’armée, faute d’ordres clairs et précis et devant les atermoiements des civils, semble de plus en plus démotivée. A cela s’ajoute le fait qu’elle paie également un lourd tribut à la « guerre » en Casamance en y perdant beaucoup d’hommes depuis le début. Trop de personnes ont perdu la vie dans cette région du pays dont le paysage et les potentialités renvoient plus à la vie et à l’amour qu’à la guerre et à la tuerie. Des potentialités et des richesses qui doivent servir à développer le pays en entier. Le gâchis a trop duré. Alors, il revient au chef de l’Etat, à lui en premier, de dégrossir d’abord, de fédérer ensuite les bonnes volontés qui ne cherchent pas à vivre de la crise et d’inviter ses pairs de la Gambie et de la Guinée-Bissau à une solution concertée. La Casamance et la sous région en valent la chandelle, à défaut d’une prière. Il nous faut impérativement sortir de la tragédie casamançaise.