La Planification territoriale relève de la philosophie de la science, elle renvoie à l’utilisation de la science dans l’encadrement des actions à effectuer.
(CAMHIS, 1979)
La Banque Mondiale reconnaissait depuis les années 1990 que les territoires étaient en réalité les grands oubliés des politiques de développement. En Décembre 2012, La 6e édition du Sommet Africités qui s’est tenu à Dakar, a conclu sur la nécessité pour nos États africains de gouverner depuis leurs territoires. Depuis son arrivée au pouvoir, l’actuel régime annonce, à chaque fois que l’occasion se présente, son option pour une gouvernance axée sur la territorialisation des politiques publiques. Pour ce faire, l’État doit opter pour une planification territoriale capable d’assurer l’avènement d’une politique publique territorialisée et d’une gouvernance territoriale autonome. Mais comment parvenir à cette rupture paradigmatique ? Dans cette perspective, nous allons présenter les fondements et opportunités d’un modèle de planification territoriale pour notre chère nation. Notre postulat sera de démontrer que c’est avec les instruments de planification que l’on gouverne et que c’est depuis les territoires qu’une gouvernance se forge. Ma conviction est que la Gouvernance Territoriale est la solution pérenne et durable pour arriver à des territoires résilients, proactifs et fertiles.
Et pourquoi la Planification territoriale…
En tant que science de l’action, la planification vise la création de conditions favorables à un développement culturel, social et économique respectueux de l’environnement naturel. La Planification territoriale s’est donc imposée aux décideurs publics qui, de plus en plus devant la complexité des problématiques socio-économiques, se sont résolus à l’introduction de la rationalité dans la prise de décision politique. Je ne vais pas m’attarder à énumérer les définitions de la planification, mais je vais seulement rappeler le principe traditionnel auquel se rapporte toute définition de la Planification et qui se trouve être « Le lien entre la Connaissance et l’Action » (Meyerson et Banfield, 1955). Cette union vertueuse entre le raisonnement scientifique et la prise de décision politique engendre une logique planificatrice infaillible et surtout une gouvernance territoriale apte à formuler un projet de territoire durable et prometteur. Ainsi, la planification est cet exercice de préparation de l’action publique qui vise à garantir l’obtention de résultats souhaités et attendus. L’action publique planifiée à l’échelle territoriale suit une formulation et une intervention axées sur la vocation des territoires qui deviennent des créneaux d’excellence. De ce fait, les exercices de planification aboutissent à un niveau de diagnostic élevé, avec des batteries d’indicateurs au point et une gestion rigoureuse des plans d’action.
Au Sénégal, nous devons avoir le courage de reconnaître que la planification et la gestion ne nous embarrassent pas dans la mise en œuvre des politiques publiques. L’action publique est pilotée suivant des préoccupations d’ordres administrative et bureaucratique et aussi des questions de fonctionnement budgétaire. On est dans le maintien et dans la reproduction d’un système dont les valeurs, la finalité et les buts, échappent à tout le monde. Pour preuve, les citoyens ont, de plus en plus, le sentiment d’une détérioration du service public et nos anciens se mettent à regretter l’époque coloniale marquée par la rigueur et l’organisation. Pour l’intérêt supérieur de notre nation, cet exercice de planification consacrera la rupture paradigmatique et méthodologique que nous recherchons au niveau territorial. Rupture, dans le sens où la logique planificatrice implémente au sein de l’exécutif territorialisé une autonomie dans la gouvernance, de l’ingénierie dans le développement et des méthodes de gestion de projet axées sur des résultats souhaités. Les communautés territoriales en sortent plus soudées, elles s’assument et réfléchissent sur leurs atouts, leurs défis et leurs enjeux. Du reste, cette autonomisation et cette responsabilisation des acteurs du territoire sont en parfaite opposition vis-à-vis de notre héritage colonial fondé sur une logique de commandement et d’administration des sujets.
De ce fait, en l’état actuel, toute tentative de proposition de plan de résilience ou d’une stratégie de développement territoriale, comme il en existe des exemples un peu partout dans le monde, serait une méconnaissance des bases préalables pour une réussite des techniques et projets de développement territorial. Avant toute chose, nous devons définir un calendrier, un processus et un cadre législatif, réglementaire et normatif, aptes à faire des territoires du Sénégal des espaces d’incubation, de planification et de conduite de leur propre projet de développement. C’est aux territoires d’identifier leurs propres défis et enjeux et ils leur incombent d’assumer le fait qu’ils doivent être les architectes de leur propre développement. Notre mission c’est d’orienter ce processus d’apprentissage du milieu, de capacitation des acteurs, d’outillage méthodologique et technique et de mutation sociopolitique.
Quelle planification pour le Sénégal des territoires … ?
Trois formes de planification territoriale existent : La planification radicale, la planification d’allocation et la planification interactive.
La première forme de planification dite radicale, ne reconnaît pas les acquis techniques et méthodologiques des régimes précédents. L’important est de marquer l’avènement d’une réorientation complète et radicale. Elle est plutôt problématique, car nous savons que l’expérience du passé est importante pour arriver à une méthodologie efficiente. À contrario, nous avons une approche planificatrice partant de l’existant et que nous appelons la planification d’allocation. On est dans une marche sans remise en question de la vision politique. C’est simplement les fonds qui vont déterminer le niveau d’exécution des tâches. Ce cas s’apparenterait plus à notre situation nationale. Entre ces deux extrêmes se situe une planification territoriale dite innovatrice et c’est cette formule que je propose pour une planification territoriale à la Sénégalaise. L’idée est de partir du principe que le territoire fait face à des enjeux et défis (externes comme internes) en perpétuel changement. Cette conception dictée par l’objet (ici le territoire) nous amène à prendre conscience de l’aspect changeant des forces et des formes des territoires en perpétuelle mutation. Cette planification innovatrice nécessite, de la part des gouvernants à l’échelle du territoire, un potentiel normatif et une autonomie à la fois financière et décisionnelle. Pour la planification innovatrice, la vision est construite de l’intérieur du territoire et la recherche des solutions peut se faire en dehors de l’espace (coopération décentralisée et contrat État-région).
Cependant, une bonne politique de planification territoriale ne repose pas seulement sur une approche fondée sur l’innovation. En effet, au plan technique, il faut faire le choix de la catégorie de planification adaptée au fait territorial. Un rapide survole des quatre catégories de planification répertoriées (Marc Urbain Proulx) par la sociologie des politiques publiques nous montre l’existence de la planification rationnelle globale (PRG). Ici se sont les valeurs générales de la vision politique énoncée qui déterminent les options stratégiques qui s’offrent aux planificateurs. Le recoupement entre les valeurs de la vision et les options stratégiques identifiées est l’étape clef de cette forme de planification. Ensuite, nous avons la planification par petits pats éclatés (PPP) dont la mission essentielle est de corriger les erreurs du passé. Ainsi se sont les résultats et les options du passé qui dictent la logique planificatrice. La planification d’allocation ne s’appuie donc pas sur une vision et il faut préciser que la correction des options du passé est en fonction des moyens disponibles. L’élément structurant de La planification stratégique, qui est la troisième catégorie de planification, est la division des finalités de la vision en axes stratégiques composés chacun d’objectifs spécifiques. Dans ce type de planification les orientations stratégiques potentielles deviennent des programmes et les objectifs spécifiques des projets. D’ailleurs, c’est cette logique d’une gestion axée sur les résultats que le Sénégal essaye d’appliquer et chaque année des ministères quittent la gestion par ligne budgétaire (qui date des indépendances) pour aller vers la gestion par budget programme. C’est le fameux CDS-MT (cadre de dépense sectoriel à moyen terme) qui se compose de programmes d’action budgétisés. Les actions budgétisées ont un temps d’exécution précis, un acteur identifié comme le responsable de l’action (principe d’imputabilité), un indicateur pour l’évaluation de chaque action et le moyen de vérification pour chaque indicateur.
Enfin, la dernière catégorie est la planification dite interactive, que je préconise pour le Sénégal et qui est en parfaite harmonie avec la vision innovatrice préconisée un peu plus haut. Cette planification s’adapte au fait territorial évolutif et à la dimension sociétale de la notion de territoire. Par l’interaction, les acteurs locaux en charge de la gouvernance sont responsabilisés et impliqués au tout début du processus de formulation. La planification interactive est ce qui se rapproche le plus du concept de développement durable. Comme son nom l’indique, elle repose sur une mobilisation sociale comme base de la planification territoriale. L’analyse des problèmes et l’ouverture aux critiques doivent guider la définition des objectifs partagés par l’ensemble des acteurs du territoire considéré. La planification interactive doit engendrer une prise en main collective par le dialogue et l’échange. Au-delà des objectifs spécifiques à atteindre au niveau du projet de territoire, cette forme de planification va permettre la création d’une véritable gouvernance territoriale. Les acteurs doivent être en équilibre entre la structure statique en charge de la gouvernance et la dynamique évolutive impulsée qui s’occupe quant à elle de la gestion du projet de territoire.
Pour le Sénégal, l’adoption de cette logique interactive serait une prise de conscience des limites de l’option bureaucratique et de la posture de commandement des administrés qui ne peuvent s’appliquer dans des exercices avant-gardistes d’observation, de veille stratégique et de formulation d’une méthodologie spécifique à un territoire donné. Nous devons impérativement consacrer des efforts dans la planification, la gestion et l’évaluation des politiques publiques pour une gestion rigoureuse et heureuse de nos capitaux collectifs. Ma pensée va vers la Casamance où une telle logique planificatrice aurait l’avantage de créer une mobilisation territoriale forte autour d’un projet de territoire porté par les fils du terroir avec deux premières orientations stratégiques évidentes :
1- la Casamance terre de paix et de Sécurité
2- la Casamance base d’une industrie agro-alimentaire Sénégalaise.
Nous ne devons pas avoir peur de restructurer le Sénégal en des entités éco-géographiques et de responsabiliser les acteurs locaux autour d’une gouvernance socio-économique territorialisée. Car développer le Sénégal, c’est développer ces territoires. Un territoire est dit développé quand ses résidents ont un niveau de vie satisfaisant, un cadre de vie attrayant et un milieu de vie source d’épanouissement. Ces conditions de vie attrayantes ne peuvent être l’objet du hasard. Mais elles sont plutôt des résultats souhaités, recherchés et programmés dans chaque territoire du Sénégal. En réalité, il s’agit de permettre aux fils de la Casamance de reconstruire leurs terroirs, aux Foutankés de raviver leur terre, aux Baol-Baol de reconstruire leur économie, aux Dakarois de renforcer la durabilité de leur milieu urbain. Bref, il faut donner à chaque entité territoriale le droit, les moyens et la voie pour assumer et entreprendre son propre développement. Car un président et 30 ministres ne peuvent égaler le rendement d’une politique territoriale assumée par une équipe territoriale performante, organisée, engagée, triée sur le volet, contrôlée et évaluée de manière systémique et sur chaque domaine de compétence municipale par l’État central, la société civile et les populations.
Conclusion :
En somme, nous pouvons dire que le Sénégal doit opter pour une forme de planification territoriale qui fera de l’innovation l’aptitude vectrice d’une adaptabilité vis-à-vis des mutations perpétuelles. Par la technique dite interactive, cette planification innovatrice pourra réunir les forces vives du territoire autour d’un processus de mobilisation sociale pouvant garantir la construction d’un territoire fort, conscient et capable de maitriser ses enjeux et ses défis. Cette volonté politique louable nécessite avant tout un cadre juridique consacré à la territorialité, des stratégies de développement économique adaptées aux formes et forces des milieux du Sénégal et enfin une Gouvernance territoriale forte. À bien y regarder, c’est ce fil d’Ariane que j’ai voulu respecter dans les trois articles publiés à date :
– Le cadre juridique instaurant la territorialité par l’Acte III de la décentralisation,
– La question des méthodes et techniques de diagnostics et d’intervention par le biais des SDT (Les Stratégies de Développement Territorial).
– L’application de la planification territoriale innovatrice et interactive pour asseoir une gouvernance territoriale apte à porter le développement durable et équitable de nos territoires.
Tout au long de l’élaboration de mes textes, une affirmation d’un de mes anciens professeurs M. Amady Aly Dieng, m’est souvent revenue comme une hantise. Il soutenait dans le cadre d’une discussion avec Maitre Abdoulaye Wade que « de l’histoire de l’humanité, les capitaux étrangers n’ont jamais été à l’origine du développement économique d’une nation pauvre ». Plus ma réflexion sur la pauvreté de ma nation asservie évolue, plus cette affirmation prend sens à travers cette croyance absolue que j’ai en nos territoires comme l’unique solution pour la sortie du sous-développement.
Moussa bala fofana – Montréal – CANADA
Ancien Conseiller Technique de Cabinet Ministériel
Cadre Responsable de la Planification de la Politique des Pouvoirs publics
– Ingénieur d’étude territoriale (Aménagement et Urbanisme) de l’INPL –
Institut National Polytechnique de la Lorraine NANCY – FRANCE
– Spécialiste en Sociologie Urbaine, du Développement, des Organisations et de l’Action Publique
– Expert en Développement Territorial, Développement Local et Transfrontalier
Chaque semaine, un sénégalais, en général de la diaspora, nous offre un texte qui a comme principal mérite de nous apprendre le niveau de maîtrise de la langue de molière de son auteur.
Je dois reconnaitre qu’ils sont très forts…
By the way vous devriez changer de croyance absolue sur le développement, avec des gens comme vous , je ne suis vraiment pas sur qu’on se développe un jour
Bravo, ces idées et cette vision doivent être divulgués le plus possible..nous pays africains devons savoir que le développement partira de nous même et depuis nos territoires.et un état doit faire de la planification et ne pas passer sont temps à faire de la politique et laisser le pays entre les mains des bureaucrates, fonctionnaires ….bon travail continué comme cela et n’écoutez les aigris ….il y’en aura qui peut importe votre niveau de rigueur de recherche vont s’arrêter sur des détails…c’est votre deuxième article que je lis sur xalima et chaque fois la qualité est là….continué de tenir la barre haute!
Faut-il afficher tout son CV au bas de l’article? Ancien conseiller du ministère…! Vos connaissances ont-elle été mise en application pendant votre court passage au ministère?
A mon avis, il fallait rester au Sénégal même le Saloum a besoin de l’urbanisation mieux que de crier derrière votre clavier.
Cheikh a tout à fait raison,
Ces émigrés – je veux dire migrants – veulent nous faire croire qu’ils peuvent réinventer la vapeur d’eau à partir de l’eau de pluie et qu’avec cela ils pourraient booster notre agriculture, vers des objectifs d’auto suffisance alimentaire et par là la gestion de nos cotés ..
J’ai travaillé 20 ans à Tougal, et à Kawbeu entre Paris et Londres, mais je préfère prôner l’humilité que de céder à la crédulité de ceux qui écoutent ces vendeurs d’inepties.
Ce sont hélas souvent des virtuoses de la palabre et de la plume.
Illusion ou ineptie pondu par les pseudo-intellectuels :
» Réinventer la vapeur d’eau à partir de l’eau de pluie et avec cela, booster nos agricultures sub sahariennes, vers de subjectifs d’autosuffisance alimentaire »
……………… Voici la rengaine, le lieu-commun que l’on entend depuis 50 ans .
C’est louable de partager avec les nationaux le fruit de ses reflexions sur le devenir de notre pays.Merci pour cette belle générosité.