XALIMA NEWS – Ne se laissant pas distraire par l’évocation du nom du Président Deby dans la procédure, Souleymane Guengueng, «principal auteur» de la «Démarche pour la justice» ayant conduit au procès de l’ex-homme fort de N’djamena au Sénégal, plaide pour que ce dossier serve de leçon aux Présidents africains.
Depuis quand et comment vous vous êtes exilé aux Etats-Unis ?
C’est par contrainte que je me suis exilé aux Etats-Unis depuis février 2005. Je dirai que c’est le plan de Dieu. Etant en exil, j’ai travaillé efficacement. Si ce n’était pas la lutte extérieure, ce dossier n’aurait pas abouti.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous exiler ?
A notre sortie de prison, le régime de Deby a récupéré tous nos tortionnaires et les co-auteurs présumés de Habré, il les a redéployés dans l’appareil d’Etat, dans les services de sécurité. Toutes les activités que nous menions allaient contribuer à les traduire en justice, Et ils n’étaient pas désarmés et multipliaient les menaces. Par exemple, on a une fois pourchassé mon cousin alors que je n’étais pas dans la voiture. C’était une voiture remplie de militaires qui pourchassait mon chauffeur, croyant que j’étais dedans, ils voulaient m’abattre sur la route de Ngueli, une ville où je l’avais envoyé. Heureusement, qu’il était protégé par Dieu. Ils s’étaient retrouvés nez à nez avec la voiture des policiers et étaient obligés de ralentir. Par la suite, ils sont venus enturbannés pour m’enlever la nuit. Mais mes cousins et neveux qui étaient sur place ont pu voir le car (de ces policiers). Ainsi, ils se sont précipités dans le car pour fuir dans les ténèbres. Quand ils ont détalé, les enfants ont pu prendre le numéro de la plaque d’immatriculation. Et on s’est rendu compte que c’était un colonel habitant au quartier nord de N’djamena qui était le propriétaire de ce car. Tous gens-là ne faisaient que nous menacer.
Mais avant d’en arriver là, la commission du bassin du Lac Tchad où je travaillais en tant qu’agent comptable m’a renvoyé parce que je m’étais rendu aux Etats-Unis où j’ai remporté un prix de défenseurs des droits de l’Homme qu’on m’a remis en décembre 2000. Mais, quand je suis revenu, le secrétaire exécutif de cette organisation m’a adressé une correspondance pour me limoger. Parce que pour eux la lutte que je mène est politique, affecte le Président qui est au pouvoir. Je leur ai répondu par courrier que j’ai choisi de lutter et d’abandonner le travail. Tout cela avait créé des problèmes dans l’administration où le service contentieux m’avait donné raison. Mais comme la politique prime sur tout, ils ont refusé de s’exécuter et même pour me payer mes droits, ce n’était pas aussi facile.
Quelles sont vos attentes à la veille (l’interview a eu lieu vendredi) du procès de Habré ?
On veut avec mes collègues et nos avocats que ce procès ait une portée pédagogique. On voudrait que ça serve de leçon à tous nos dirigeants africains, qu’ils en tirent les leçons, qu’ils ne répriment pas leur peuple ; qu’ils ne se transforment pas en ennemis de leur peuple. Ce n’est pas normal ! Quand Dieu donne le pouvoir, c’est pour protéger, pour nourrir son peuple. Ce n’est pas pour les affamer, le détruire ou le terroriser.
Quand vous serez en face de Habré, qu’allez-vous lui dire ?
Quand je serai en face de Habré, la première question que je lui poserai, c’est de savoir pourquoi il m’a arrêté. Lui personnellement, il connaît mon problème. On a négocié mon retour du Cameroun à N’djamena avec Hissein Habré en personne et il a donné sa parole en disant : «Venez et votre sécurité sera assurée.» C’est pourquoi j’étais rentré. Quand j’étais à la Commission du bassin du lac Tchad, il était extrêmement difficile de travailler au moment où ils étaient en guerre avec Goukouny Weddey. La Commission avait été déplacée à l’extrême nord du Cameroun. Au bout de huit ans, Habré a négocié en disant qu’il y avait la stabilité, la paix, il fallait que les gens reviennent. Mais avant qu’on ne rentre, le secrétaire exécutif avait constitué une délégation…
Comment voyez-vous Idriss Deby dans cette procédure ?
C’est grâce à l’arrivée de Idriss Deby au pouvoir que nous sommes sortis de prison. Je crois que nous avons eu des problèmes sous le règne de Deby parce qu’il a enrôlé tous les tortionnaires dans son système. Si on met ces tortionnaires dans le compte du régime de Deby, c’est parce que ces derniers disent que notre lutte gêne le régime de Deby. Je n’ai pas vu Deby dire officiellement : «Ne luttez pas !». Il m’a reçu à deux reprises en tant que Président fondateur. Il a été d’accord avec nous et a considéré que c’était même une bonne chose que nous ayons entamé la voie de la justice, mais que nous rayons de nos têtes l’esprit de vengeance.
On l’accuse pour le septembre noir…
A l’heure où nous parlons, Deby est Président ; il a fait des erreurs et a ses victimes. Mais si ses victimes portent plainte contre lui, il aura à répondre. Mais à propos de la plainte que ces victimes porteront contre Deby, qu’on ne leur dise pas que Deby et Habré, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. J’ai toujours considéré que ceux qui nous disent : «Pourquoi pas Deby ?», ils veulent nous désorganiser.
Après le procès vous allez rentrer au Tchad ou vous allez retourner vivre aux Etats Unis ?
Depuis que je suis devenu Américain, je vais au Tchad régulièrement depuis 2013. J’y suis allé suivre le procès des complices de Habré pendant un mois.