Lorsque le Pays au Quotidien, à la mi-octobre, levait le lièvre, la gestion de la fortune de Hissène Habré par la Compagnie bancaire pour l’Afrique de l’Ouest (Cbao) Abdoul Mbaye qui en était le Directeur général à l’époque, n’avait pipé mot. Mais, quelques jours plus tard, La Lettre du Continent, toujours bien informée, enfonçait le clou en termes précis : « Annoncé comme imminent, le procès de Hissène Habré devant une juridiction ad hoc à Dakar pourrait fragiliser le Premier ministre sénégalais Abdoul Mbaye, Directeur général de la Compagnie bancaire pour l’Afrique de l’ouest (Cbao) de 1989 à 1997, si la justice venait à se pencher sur les conditions de gestion des fonds que l’ancien Président tchadien a emmenés dans sa fuite précipitée de Ndjaména. C’est du moins ce qui ressort de la lecture d’un rapport d’audit commandité fin 2007 par le groupe marocain Attajariwafa Bank, repreneur de la Cbao et auquel La Lettre du Continent a pu accéder. Préalablement à la reprise de la banque au groupe Mimran, Attajariwafa Bank avait réclamé « un audit de pré-acquisition confié à 36 experts, dont les membres de la branche américaine du cabinet international Ernest§Young. Durant plusieurs mois, ces experts ont passé au crible les comptes et les opérations de la Cbao. Leurs conclusions sur la gestion de la banque sont pour le moins sévères. Elles révèlent l’utilisation de comptes appartenant à des clients décédés ou fictifs qui ont permis d’accueillir les fonds appartenant à l’ancien Président tchadien en exil au Sénégal. Au cours de l’année 1991, des ordres ont été donnés pour que la Cbao émette plusieurs « Bons de caisse au porteur », remis en liquide à Hissène Habré. L’existence d’un listing de comptes de clients fictifs soustraits au contrôle interne de la banque et au contrôle de gestion, est également relevé par l’audit. D’autres opérations auraient par ailleurs exposé la banque à des sanctions de la Bceao en créant un passif «latent/potentiel » de plusieurs milliards de FCfa « susceptibles d’impacter sur la valeur de la Cbao ». Enfin, le même rapport explique que les organes de contrôle et de gestion ont été systématiquement tenus à l’écart, tout comme les administrateurs et actionnaires. Forts de ces conclusions, les Marocains d’Attajariwafa Bank ont bien failli renoncer à la reprise de la Cbao. En 2008, ils ont finalement conclu la transaction pour 100 milliards Cfa ».
Malgré ces graves révélations, datées du 23 octobre dernier, qui jurent avec les discours du nouveau régime sur la gouvernance transparente, honnête et vertueuse, le Premier ministre avait gardé le silence. Mais l’affaire était gênante pour l’Etat et le procès de Habré, courant décembre, imminent …
Abdoul Mbaye, banquier et donc quelque part taiseux, a tout de même rompu le silence. Certainement encouragé ou obligé par le Chef de l’Etat, le PM, au cours d’une curieuse conférence de presse, s’est expliqué sur l’affaire qui peut le mener à la barre du tribunal si les questions d’argent sont soulevées au procès Habré. Mais Dieu, quelle mauvaise défense pour ne pas dire mauvaise foi. Extraits de la réponse, cavalière, aux accusations détaillées : « La moindre des choses quand on accuse quelqu’un de blanchiment d’argent, c’est de vérifier comment ce délit est défini dans la loi. Une loi qui date de 2004, alors que les faits qu’on me reproche remontent à 1990. Dés qu’on dit blanchiment on parle d’argent sale, il y a donc diffamation si le délit n’est pas avéré. En 1990, le Sénégal, quand je dis le Sénégal, ce sont les autorités sénégalaises, qui ont accueilli Hissène abré, ancien président de la Habré ancien président de la République du Tchad Habé Habré, ancien président de la République du Tchad. Il est entré avec de l’argent qu’il a cherché à déposer auprès des banques. J’étais administrateur général de la Cbao. J’ai d’abord demandé aux autorités si je pouvais accepter cet argent comme dépôt auprès de ma banque. Pourquoi voulez vous que je n’accepte pas, alors que la banque était à l’époque dans une situation catastrophique ? Pourquoi voulez vous que je n’accepte pas des dépôts qui n’ont aucun problème, avec l’assentiment des autorités sénégalaises ? Vingt deux ans après ces faits, personne n’est venu dire que cet argent a été acquis dans des conditions anormales. Ceci dit, je ne vais pas porter plainte pour diffamation, je suis dans mon rôle de Premier ministre. On m’attaque, je suis la cible privilégiée ».
Les explications du Premier ministre sont inacceptables et n’ont pas besoin d’être commentées outre mesure. Libre à lui de croire qu’un dictateur en fuite, sur la tête de qui planent mille et une accusations de meurtres, tortures et autres crimes économiques transportent des dizaines de milliards gagnés à la sueur de son front. Libre à lui de s’abriter sous le parapluie des autorités sénégalaises et de la Beceao. Libre à lui de penser que « tout ce qui n’est pas interdit est permis ». L’essentiel, à ses yeux, dans cette affaire, est qu’il n’a pas violé la loi sur le blanchiment d’argent, car elle n’existait pas quand « l’aubaine qu’aucun banquier ne refuserait » s’esr présentée. Quant aux accusations d’utilisations de comptes de clients décédés ou fictifs et autres tripatouillages, c’est crotte de bique. Nul besoin de s’y attarder. Soit, mais si l’affaire avait été ébruitée lorsqu’Abdoul Mbaye était directeur de banque, ses clients auraient certainement pris la tangente. Certes un banquier doit inspirer confiance à ceux qui lui confient leur argent et leurs projets. Mais un Premier ministre doit inspirer une plus grande confiance à ses concitoyens, car contrairement au banquier qui gère des affaires privées, il travaille pour l’intérêt général. Tout le monde conviendra avec nous qu’un Premier ministre du Sénégal doit, aujourd’hui plus qu’hier, être au-dessus de tout soupçon.
Le prudent président Sall a certainement dit à son PM, en l’engageant pour assainir les comptes de l’Etat, qu’on ne gérait pas d’affaires privées à cette station-là. La patrie avant la banque.
Souleymane Ndiaye
Lesenegalais.net