Suite aux dernières pluies diluviennes qui sont tombées dans la région de Dakar et sa proche banlieue, on patauge dans tous les sens. Entre maisons abandonnées, chaussées défoncées, écoles inondées…, la grouillante banlieue revit son calvaire.
A maints endroits de Rufisque, la vieille ville, les lendemains de pluie donnent le même spectacle : de la boue, des marres d’eau et un gymkhana sans fin des piétons et automobilistes afin d’éviter les bourbiers et autres ‘piscines’ occasionnelles parsemant un peu partout la ville. A en croire les récits des habitants rencontrés, la pluie avait rempli, avant-hier, lundi, à ras-bord le canal de Dangou qui traverse la route nationale n° 1 à hauteur du passage à niveau. Plus à l’intérieur, des quartiers, pourtant récemment édifiés, ne sont guère mieux lotis. Et loin s’en faut ! A Darou Rahmane, par exemple, il est impossible de marcher dix mètres devant soi d’une seule traite, tant les eaux ont envahi rues, ruelles et dédales.
Les principales artères qui, d’habitude, reçoivent le bruyant trafic de taxis clando, se sont ainsi retrouvées complètement défoncées ou tout bonnement coupées par l’eau. Contraignant les conducteurs de ces taxis collectifs à chercher toutes sortes d’astuces imaginables afin de trouver des raccourcis et ainsi préserver leurs pauvres guimbardes, déjà malmenées par le temps, de leurs autres pires ennemis : les cratères, trous et nids de poule qui infestent les chaussées de la ville. Et comme si cela ne suffisait pas au calvaire des populations, tarif des courses augmenté, dessertes détournées…, viennent en rajouter à une situation déjà insupportable pour tout le monde. ‘Ils (les conducteurs de taxis clando, Ndlr) n’ont aucune compassion ni égard à l’endroit des usagers, tout ce qui les intéresse, c’est l’argent qu’ils encaissent !’, vitupère, excédée, une maman assise à l’arrière du taxi qui nous ramène au centre-ville. ‘Ici, chacun travaille pour son propre compte, nous n’exerçons pas ce métier pour faire du social ! Durant l’hivernage, les inondations sont nos pires ennemis. Si vous vous obstinez à passer dans l’eau, vous risquez d’avoir une avarie de moteur. Et si vous faites des détours, alors, vous dépensez plus de carburant qu’il n’en faut habituellement. Vous voyez bien, rétorque le conducteur, que nous sommes devant un vrai dilemme !’
En dépit de leurs moyens dérisoires, des jeunes d’un quartier de Darou Rahmane s’organisent tant bien que mal : un petit chenal de captage des eaux provenant des différents quartiers environnants, a été ouvert pour être raccordé à l’un des principaux canaux de la ville. Même si le débit des eaux qui dévalent, est impressionnant, le niveau des inondations alentour demeure, pour l’instant, intact.
Sur les causes des inondations, tout le monde a sa petite idée : une bonne pluviométrie – bien sûr – depuis quelques années, imperméabilité du sol – ici le sol est le plus souvent argileux – absence d’assainissement, habitation sauvage… Devant le spectacle souvent déglingué qu’offre la vieille ville, F. N. s’indigne : ‘Chacun d’entre nous a sa part de responsabilité. Les populations n’ont, le plus souvent, aucun réflexe citoyen. Si les montagnes d’ordures ne bouchent pas les rares canalisations existantes, ce sont des individus qui vandalisent les couverts des égouts. Et les différentes équipes municipales qui se sont succédé, jusqu’ici, à la tête de la ville, n’ont presque rien fait !’
En tout cas, même les cités Hlm situées à l’entrée de Rufisque, naguère distinguées pour leur bon réseau de canalisation, ne sont guère épargnées depuis quelques années. Branchements sauvages et absence d’entretien des équipements existants ont entraîné la paralysie du réseau. Certes, les nouvelles autorités municipales ont initié des travaux d’assainissement, mais on est encore loin du compte.
L’éternel problème de la viabilisation
Pendant ce temps, dans la grande banlieue de Keur Massar, dans les communes d’arrondissement de Mbao (Petit Mbao, Grand Mbao, Keur Mbaye Fall…), celle de Sicap Mbao-Diamaguène, Thiaroye…, même décor, mêmes problèmes. En plus des principaux axes de communication, écoles, mosquées, hôtels de ville, centres de santé, hôtel de police…, en ont aussi pour leur grade. A Mbao, par exemple, ironie du sort, la cour de la mairie, censée constituer la tête de pont de la lutte contre les inondations, est transformée en ‘piscine’. Les deux bras de mer qui enserrent les deux villages de Mbao, de part en part, ont également fait le plein. Ici aussi, le sempiternel problème de viabilisation. Les lits des cours d’eau jumeaux ont été sommairement poldérisés, puis habités à hauteur de ce que les villageois appellent ici Extension. Résultat des courses, des blocs entiers d’habitations sont aujourd’hui dans les eaux. Devant le fait accompli, les propriétaires accusent les autorités municipales. Dans quelques années, si la pluviométrie continue à ce rythme, Mbao Extension aura ses sinistrés et réclamera lui aussi son Plan Jaxaay !
Exit Mbao et environs, et maintenant cap sur le cœur de la grande et grouillante banlieue dakaroise. A vrai dire, rien de nouveau sous le ciel menaçant de Thiaroye-Pikine ! Excepté un trafic vertigineusement dense et son inévitable cortège de go-slow, la pollution suffocante ajoutée à l’encombrement humain, on retrouve les mêmes stigmates de ces fortes pluies, que dans le lointain et vieux Rufisque. L’Hôtel de police de la ville de Pikine nage dans les eaux. Les policiers, faute de pouvoir dicter leurs lois à l’inondation, ont abdiqué. Et quant à l’artère de Pikine-Texaco qui court jusqu’à Thiaroye, elle est tout simplement impraticable, causant de grands détours aux automobilistes et piétons. Les écoles et collèges de la localité également pris par les eaux ne se comptent plus, occasionnant, du coup, une situation d’autant plus préoccupante que nous sommes à quelques semaines de la rentrée des classes. Visiblement, construction de centre de captage des eaux, installation de motopompes ou érection de tentes ne peuvent que constituer, au regard de la récurrence du phénomène, des solutions transitoires.
Aux grands maux, les grands remèdes. Il faudra bien un jour se résoudre à déguerpir, assainir, urbaniser et enfin recaser. A défaut, à chaque année, tout effort consenti aura pour destination le tonneau des Danaïdes.
‘Il suffit que le ciel s’assombrisse pour que la banlieue dakaroise soit inondée !’. Telle est, en attendant, la bonne blague qui circule dans la banlieue. Mais il ne faut pas trop se fier à son apparente légèreté. Car sous la cendre de l’humour apparent, couve chaque jour, un peu plus, les braises de la colère.