Mercredi 13 juin, le Congrès de la Fifa, à Moscou, devra décider qui organisera la première Coupe du monde XXL à 48 pays. Deux candidats sont en lice : le Maroc, qui tente pour la cinquième fois d’accéder au statut de pays organisateur, et United 2026, qui regroupe les trois puissances nord-américaines : Etats-Unis, Canada, Mexique. Un combat inégal riche en rebondissements dont l’issue sera décidé par le vote de 207 présidents de fédérations.
Dans l’histoire quasi centenaire des Coupes du monde, la désignation du pays organisateur a rarement été une formalité. Il y a plus de 80 ans, le président de la Fifa de l’époque, Jules Rimet, décidait que la Coupe du monde 1938 devait se dérouler en France, alors qu’elle était promise à l’Argentine en vertu de l’alternance entre Europe et Amérique du Sud. Conséquence, l’Argentine boycottait le rendez-vous en terre française et ne devait plus participer à la Coupe du monde pendant vingt ans.
Depuis bien de coups tordus ont marqué le processus de désignation, jusqu’à la très controversée décision adoptée le 2 décembre 2010 par le comité exécutif de la Fifa d’attribuer deux Coupes du monde le même jour, celles de 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Les dirigeants d’alors étaient loin d’imaginer que ce serait le coup d’envoi du Fifagate, avec la mise à jour par la justice américaine d’une formidable corruption qui allait emporter une grande partie d’entre eux, à commencer le président Joseph Blatter.
Sept ans et demi plus tard, la « nouvelle » Fifa, avec à sa tête Gianni Infantino, a considérablement changé les règles du jeu. Pour sa première désignation, celle de la première Coupe du monde élargie à 48 équipes, il n’est plus question de comité exécutif, disparu au profit d’un nouvel organe plus large, le Conseil. Ce sont directement les présidents de toutes les fédérations qui vont désigner l’organisateur du Mondial 2026. Et ce ne sera plus dans le secret d’un vote à huis clos, mais au vu et au su de tous…
L’Europe et l’Asie n’étant pas conviées à faire acte de candidature pour avoir accueilli les deux éditions précédentes, ce sont donc l’Amérique du Nord (Concacaf) et l’Afrique qui se sont attelées à la tâche. Avec deux candidatures très différentes…
United 2026, le choix de la sécurité
Candidat malheureux à l’élection de 2022 au profit du Qatar, les Etats-Unis n’ont jamais caché depuis 2010 qu’ils estimaient l’issue de ce vote injuste et irrégulier. Certains dirigeants de l’époque sont même persuadés que leur disgrâce est la conséquence d’une justice américaine vengeresse. Les Etats-Unis accepteront difficilement une nouvelle désillusion, d’autant qu’ils ont associé à leur démarche leurs voisins du Nord, les Canadiens, et ceux du Sud, les Mexicains. Tout en s’assurant la plus grosse part du gâteau puisqu’ils accueilleraient 60 des 80 matches programmés, ne laissant que dix à chacun de leurs associés.
United 2026 constitue donc une puissante machine à gagner soutenue par des sponsors enthousiastes et la promesse pour la Fifa de bénéfices chiffrés à 11 milliards de dollars. Un record. Le tout sans aucun risque, puisque la plupart des infrastructures, dont les 16 stades qui accueilleront les rencontres, sont déjà disponibles. Le comité d’évaluation, la fameuse task force chargée de noter les deux candidats, a décerné à United 2026 une note de 4 sur 5. Certes, les difficultés sont là aussi, à commencer par celle d’accueillir une Coupe du monde dans trois pays différents, alors que la seule organisation commune, en 2002, entre le Japon et la Corée du Sud avait laissé un souvenir mitigé. Une difficulté aggravée par l’attitude isolationniste du président américain Donald Trump, soulignée par les opposants au projet. Un écueil que le président Trump se serait chargé de dissiper en s’engageant par écrit auprès du président de la Fifa à garantir l’accès à son pays aux supporters de tous les pays qualifiés.
Maroc 2026, le choix humain
Face au mégaprojet nord-américain, le Maroc a eu l’immense mérite de ne pas se dégonfler et de monter un projet en un temps record. Bien entendu, il n’a pas cherché à rivaliser dans le gigantisme en misant surtout sur la taille humaine de son engagement. Des distances raisonnables entre les villes hôtes, la proximité avec l’Europe où évoluent la plupart des stars du football ainsi que le plus fort bassin de supporters, la garantie pour les télévisions européennes de pouvoir diffuser les matchs aux meilleurs horaires. A cela s’ajoute la réputation touristique d’une destination de plus en plus prisée, avec une offre hôtelière riche et variée, avec la possibilité pour les supporters moins fortunés de pouvoir assister à des matches à des prix abordables.
Certes, la plupart des 14 stades prévus ne sont que des projets, et des investissements importants seraient à faire en matière d’infrastructures (routes, chemins de fer, aéroports, télécommunications). Une perspective qui n’a pas rassuré les membres de la task force, dont la note (2.7 sur 5) a laissé un goût amer au Maroc. Mais le royaume chérifien reste persuadé qu’avec un soutien massif de l’Afrique et de l’Europe, ainsi que du monde arabe, la victoire est possible.
Avant la dernière présentation des deux organisateurs, ce mercredi, quinze minutes à chaque candidat juste avant le vote, le suspense est-il toujours de mise ? Les Marocains ont en travers de la gorge un tweet de Donald Trump, fin avril, où le président américain menaçait les pays recevant de l’aide américaine de voir cette assistance remise en cause en cas de vote contre les Etats-Unis. Une entrée en campagne que la Fifa s’est bien gardée de condamner et qui a politisé un dossier qui devait rester uniquement sportif…
Est-ce pour cette raison que certains pays africains se sont déjà démarqués de la candidature marocaine s’engageant en faveur d’United 2026 ? Ni le Liberia, ni la Namibie, ni l’Afrique du Sud ni le Zimbabwe n’ont invoqué les menaces de Trump pour expliquer leur choix au détriment de leur voisin marocain. Dans l’hôtel luxueux sur les bords de la Moskova que les accueille, les dirigeants africains qui doivent voter ce mercredi sont majoritaires à refuser de confirmer leur vote. Si le président nigérien Djibril Hima Habidou, plus connu sous le nom de Colonel Pelé, ou l’Ivoirien Sidi Diallo (hors micro), nous ont confié leur engagement à soutenir le Maroc, d’autres, tout en souhaitant la victoire marocaine, ont évité soigneusement de dire qu’ils allaient voter pour le candidat africain. Autre difficulté, et non des moindres, pour le projet marocain, l’hostilité de l’Arabie Saoudite, qui cherche à entraîner ses pays proches en faveur des Etats-Unis. Enfin l’Europe, malgré le soutien actif de la France ou de la Russie, est loin de s’enflammer pour le candidat méditerranéen, l’Angleterre et ses proches ainsi que l’Europe de l’Est sont majoritairement pro-américaines…
Le suspense, ou ce qu’il en reste, sera levé ce mercredi après-midi, lors d’un vote électronique qui devra dégager une majorité absolue pour l’un ou l’autre. A moins que les délégués ne préfèrent, comme cela leur sera également proposé, de remettre la balle au centre et d’écarter les deux candidatures pour un nouveau processus de sélection ouvert cette fois aux Européens et au Asiatiques.
RFI