« U aficain » (Tu es Africaine ?). Dès l’aéroport, Aimée Thérèse Faye Diouf venait d’être adoptée par la population haïtienne. Depuis donc le 25 février 2006, elle a pu se mouvoir dans cette société où l’Africain de manière générale est placé sur un piédestal. Normal, car l’Afrique, c’est la mère patrie. Alors depuis cette date, Aimée ne cesse de s’épanouir d’autant plus que dans sa mission de volontaire des Nations Unies, elle œuvre pour « sauver des âmes ». Et cerise sur le gâteau de ce bonheur, un enfant. Papi vient pimenter cette vie déjà épicée. Mais depuis le 12 janvier, c’est le cauchemar. Aimée Thérèse, 33 ans, à tout perdu : amis, collègues, voisins, économies,…
« U aficain » (Tu es Africaine ?). Dès l’aéroport, Aimée Thérèse Faye Diouf venait d’être adoptée par la population haïtienne. Depuis donc le 25 février 2006, elle a pu se mouvoir dans cette société où l’Africain de manière générale est placé sur un piédestal. Normal, car l’Afrique, c’est la mère patrie. Alors depuis cette date, Aimée ne cesse de s’épanouir d’autant plus que dans sa mission de volontaire des Nations Unies, elle œuvre pour « sauver des âmes ». Et cerise sur le gâteau de ce bonheur, un enfant. Papi vient pimenter cette vie déjà épicée. Mais depuis le 12 janvier, c’est le cauchemar. Aimée Thérèse, 33 ans, à tout perdu : amis, collègues, voisins, économies,… elle n’a plus rien. Heureusement que Papi est là pour atténuer le traumatisme. Une douleur accentuée par le fait que le Sénégal s’organise pour aller aider Haïti au moment où au moins deux de ses enfants souffrent énormément dans une chaumière de Mbour Toucouleur sur la route de Joal. La preuve, Aimée n’a cessé de pleurer durant tout l’entretien.
L’APPEL DU FILS
« Il était 4 heures de l’après-midi quand subitement j’ai senti le besoin de voir mon fils. Vous savez j’étais en congé et je suis rentrée en Haïti le 6 janvier, et j’ai repris le travail le lundi 11 janvier. Après une absence, c’est évident de trouver beaucoup de travail à la reprise. Mon bureau n’étant pas loin de chez moi, j’avais pris l’habitude à chaque pause à midi, d’aller allaiter mon fils à 13h et revenir travailler. Ce mardi 12 janvier, je n’ai pas pu prendre la pause, car j’avais beaucoup de boulot, avec beaucoup de paperasses à évacuer. Vers 4 heures, c’est comme si c’est quelque chose d’inexplicable me disait : « Aimée, il faut que tu rentres. » J’avais les yeux rivés sur l’horloge qui tournait et il faisait 15h 45. A 16h, je me suis levée et j’ai pris subitement mon sac en disant à mes collègues : « Je vous revois demain, il faut que j’aille voir mon fils » ; et ils m’ont dit : « Mais Aimée, il n’est pas encore 17h, pourquoi tu t’en vas maintenant ? » J’ai dit : « Vous vous imaginez, je n’ai pas vu mon fils aujourd’hui et il est habitué à me voir. » J’ai appelé le chauffeur du dispatch (le dispatch, c’est la section qui s’occupe du transport) et je lui ai demandé de me déposer parce qu’entre la base logistique et chez moi, c’est 30 à 35 mn de route. Je suis arrivée chez moi à 4h 45mn et j’ai trouvé mon bébé en pleurs, sur la poussette. La femme de ménage m’a fait savoir qu’elle préparait de la bouillie pour lui mais que ce n’était pas encore prêt. D’habitude, quand j’arrive, il me suit avec sa poussette jusque dans ma chambre. Ce jour-là, Papi (surnom de l’enfant) est arrivé jusqu’au salon, il s’est arrêté et a commencé à pleurer. Je lui ai dit : « Jean Pierre (Prénoms de l’enfant) je ne peux pas te prendre. Aujourd’hui j’ai tellement salué de gens qui voulaient me voir après mon absence, que j’ai les mains sales et avec le H1N1 qui circule, je préfère d’abord prendre une douche. » A peine je suis rentrée dans la salle de bain, j’ai entendu mon fils pousser un cri strident, un cri que je n’ai jamais entendu de ma vie. J’ai eu tellement peur que je suis sortie des toilettes avec ma serviette, nue. J’ai pris mon bébé entre mes mains et la terre a commencé à trembler. J’ai senti une force me projeter sur le mur d’un côté avant de me rejeter à l’opposé. J’ai rampé avec mon fils jusque dans ma chambre et j’ai crié : « Mon Dieu qu’est-ce qui se passe !.. » J’ai entendu la femme de ménage aussi crier Jésus ! Je lui ai lancé : « Fédanie qu’est-ce qui se passe, ma maison est en train de s’écrouler. » Et quelques moments après, j’ai levé la tête et j’ai vu le plafond s’affaisser sur nous et les quatre murs des cotés de ma chambre tomber. C’était tellement brutal que j’ai perdu mon fils, il est tombé et je ne savais pas où. J’ai eu juste le temps de rentrer sous le lit et de prier le Bon Dieu. Je priais, ça bougeait, ça tremblait et je voyais sous le lit une grande fissure et j’habitais au deuxième étage d’un immeuble de trois étages. Tout à coup le calme est revenu et j’ai commencé à chercher mon fils. Tout était tombé sur nous et avec la poussière, tout était devenu obscur. Tout à coup c’est comme si j’avais vu une lumière et j’ai crié : « Oh Seigneur, c’est pour sauver des âmes que je suis venue en Haïti, si seulement cette mission est noble, sauve-moi et sauve mon fils aussi. » J’ai suivi cette lumière et je ne pouvais pas sortir au-dessus du lit car c’était rempli de gravats. Après avoir suivi cette lumière, je n’étais pas à même de pousser ces roches pour sortir. Mais Dieu a fait que j’avais cette radio (elle nous montre un appareil de talkie-walkie) qu’on donne à toute personne qui arrive dans la mission et qui permet aux gens de communiquer entre eux. Alors comme la radio était posée sur la coiffeuse qui s’est renversée, le poste radio est tombé en dessous du lit et je l’ai allumée en criant : « Mayday, mayday, il faut venir m’aider, ma maison s’est écroulée ; je suis encore en vie mais j’ai besoin d’aide. » Aucune réponse. J’ai encore crié, en vain. Alors j’ai changé de canal, et je suis allée sur le canal du dispatch, ce sont des Haïtiens et j’ai dit : « Es k gain yon mun ki capab aidem. » Ce qui veut dire « est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut m’aider. » Et j’entends quelqu’un qui parle et me dit : « Est-ce que vous pouvez donner votre situation ? » J’ai reconnu de suite la voix, c’est le chef du dispatch, un Congolais, le chef des chauffeurs ; il s’appelait Jospin. J’ai dit : « Jospin, je reconnais ta voix s’il te plait viens-moi en aide, ma maison s’est écroulée et je ne peux pas bouger. » Ensuite il m’a dit : « Aimée calme-toi ce n’est pas seulement ta maison, c’est un tremblement de terre. » Il me dit que c’est tout Haïti et que pour le moment, le building du Christopher s’est affaissé et tous les grands chefs de la Minustah sont à l’intérieur. « Actuellement c’est la débandade, les routes sont bloquées et personne ne peut arriver jusqu’à chez toi si ce n’est par hélicoptère. » Juste après, j’entends une de mes collègues, on partage le même bureau, c’est notre secrétaire administratif, une haïtienne qui s’appelle Monique. Elle me demande ma position que je lui communique tout en lui demandant de venir avec d’autres personnes car elle seule ne pourra rien faire, d’autant plus que je ne voyais plus mon fils. »
LA PRIERE DE LA SAINTE-CROIX
« Après, j’ai attendu longtemps avant qu’un chauffeur du dispatch n’arrive en compagnie de deux militaires. Ils ont pu me localiser grâce à l’antenne de la radio que j’ai fait passer entre deux blocs de pierres. Quand je suis sortie, il faisait noir et je leur ai dit : « Il faut que je sorte mon fils de là. » Ils ont essayé de me convaincre en me promettant qu’ils allaient revenir en vain. Il n’était pas question que je parte sans mon fils. Nous pensions tous qu’il était mort mais il était dans un calme plat. Je criais son nom sans résultat. Alors je me suis rappelé de la prière apprise quand j’étais aux Cvav (Ndlr : Cœurs vaillants, Ames vaillantes) et je l’ai récitée cette prière. A la fin, il a poussé un cri strident, avant de pleurer. La prière, c’était une invocation à la sainte Croix et quand j’ai fini de la réciter, Papi a crié comme par miracle. Alors on a commencé à essayer de le localiser. Pendant 3 heures, on l’a cherché, pierre après pierre. C’est lorsqu’il a pleuré une deuxième fois qu’on l’a localisé. On l’a retrouvé couché sur le dos, une main comme çà (Ndlr : elle tend le bras droit de manière perpendiculaire au corps) et l’autre main tenant une peluche sur sa poitrine. Et dés que je l’ai pris dans mes bras, il a commencé à pleurer sans s’arrêter. Maintenant il fallait sortir, on était au deuxième étage et il n’y a plus d’escalier, ni de mur, rien. Alors j’ai appelé mon agent de sécurité et je lui ai dit : « Est-ce que tu peux me trouver quelque chose, du genre une grande étoffe, et tu le prends avec Monique et l’autre chauffeur qui était venu, comme ça si je te jette mon fils au moins vous allez essayer de le capter. Même si je meurs là-dedans ce n’est pas grave, mais il faut que mon fils soit sauf. » (Et elle éclate en sanglots). Après avoir réussi à sortir mon fils, c’était à mon tour maintenant. Alors j’ai pris le risque de sauter en cherchant à atterrir sur une roche que je croyais solide. Ce que j’ai fait, mais cette roche s’est culbutée et a atterri sur ma cheville. Je n’ai pas senti la douleur tout de suite car tout ce qui m’intéressait c’était de sortir de cet endroit. Quand je suis sortie, tous mes voisins étaient dehors. Maintenant il fallait trouver un refuge. Il me fallait aussi appeler mais mon portable était resté dans les décombres. Alors j’ai crié dans la foule : « Y a-t-il quelqu’un qui peut me prêter un portable ? » Une femme s’est signalée malgré le fait que son père et sa mère se trouvaient encore dans les décombres. Elle me prête son téléphone portable mais je n’avais plus aucun numéro en tête à part celui de mon mari qui vit à Marseille. Alors je l’ai joint : « Papa est-ce que tu peux appeler ma mère et lui demander de me rappeler parce qu’on a eu un tremblement de terre en Haïti. » A ce moment il était 21h en Haïti, c’est plus 7 en France et plus 6 au Sénégal, il faisait vraiment tard. Il m’a demandé de me calmer avant de me faire répéter la nouvelle : le tremblement de terre en Haïti. Je l’ai rassuré en lui disant qu’on été vivants et qu’il demande à ma mère de me rappeler sur le numéro qui s’affichait puisque ce n’était pas le mien. Quelques minutes après, ma mère m’a appelée. Je lui ai demandé de joindre un de mes amis qui travaille à l’organisation des Nations unies à Genève car il fallait qu’on sorte de là et dans les plus brefs délais. Et tout à coup, j’ai perdu la communication. Le téléphone et l’Internet étaient coupés. Ensuite les gens de l’Onu sont venus nous chercher. Et ils nous ont amenés au bureau du Pnud en Haïti. J’ai trouvé là-bas plus de 300 personnes. Les unes couchées et d’autres debout. Des gens qui pleuraient et qui gémissaient. D’autres qui disaient des choses inimaginables. Je me suis dit : « Mon Dieu qu’est ce qu’on est venus faire là. » Et tout à coup la terre a recommencé à trembler vers 21 et 22h. Les gens recommençaient à crier. Vers 6h 30, quelqu’un est venu nous dire que la situation est dangereuse et il faut qu’on nous amène à l’hôtel Christopher d’où on sera évacués à Lombez qui abrite la base de Minustah. Mais cette nuit là, quelque chose d’horrible, d’affreux s’est passé. Parmi les 300 personnes qui étaient là, il n’y eut que dix qui ont pu se lever. Tout le reste c’étaient des cadavres. On a passé la nuit avec des gens qui avaient des pieds cassés et qui se sont vidés de leur sang, qui passaient leur temps à gémir jusqu’à mourir. C’était horrible. (Elle se remet à pleurer). Arrivée à l’hôtel, il faisait déjà jour. Et en voyant les décombres, les gens ont commencé à mesurer l’ampleur du tremblement. Je suis passée devant mon bureau, je ne pouvais même pas le reconnaître. Idem pour mon ancien bureau et le Twenty office. Et là j’ai réalisé que c’était grave. Les soldats srylankais nous attendaient pour nous évacuer. J’ai vu un vide en passant. L’immeu-ble de six étages de l’hôtel Christopher était tombé. Je me suis dit : « Mon Dieu, qu’est-ce qui s’est passé. »
UNE SERVIETTE COMME SEUL HABIT
« A bord des camions et le long de la route nous menant à Lombez, toute la population haïtienne ayant survécu était dehors portant sur leurs épaules des cadavres. D’autres portaient des blessés à bout de bras en arrêtant les camions pour demander de l’aide. On a pu prendre avec nous des gens dans un état extrêmement grave. Arrivée à Lombez, il n’y avait ni eau ni électricité encore moins à manger. Et j’avais un bébé de dix mois. On est restés dans le camp pendant quatre jours. Pour demander de l’aide aussi, les gens se sont précipités vers l’hôpital de l’Onu sans succès. La demande était trop forte par rapport à l’offre. De sorte que tous les blessés graves, qui n’ont pu recevoir les soins adéquats ont été abandonnés devant l’hôpital. Ainsi des centaines de cadavres jouxtaient les rues. C’était affreux. Après trois nuits, je suis partie voir le chef de la Minustah. Je lui ai dit que je sais que la priorité est accordée aux gens aux blessures graves et non ayant des blessures mineures comme moi. Pour ces gens, il y avait des avions pour les évacuer vers Saint Domingue ou vers Miami. Je suis partie voir le chef de l’administration pour lui demander si je pouvais partir avec les blessés parce que je dois sortir mon bébé de ce pays. Il était resté pendant presque quatre jours sans manger. Il n’y avait rien à lui donner. Et moi je n’avais rien pu sortir. Je n’avais que ma serviette et les habits que portait le bébé. Je n’avais que ça. Après, ce sont des amis qui m’ont donné des habits pour au moins cacher mon corps. Le chef de l’Onu m’a dit qu’on est en train de faire une évacuation volontaire, et m’a suggéré, si telle était ma volonté, d’aller m’inscrire sur la liste. J’avais un visa pour les Etats-Unis de dix ans et un autre de la France. Cependant, celui américain de mon fils avait expiré et pas question de partir sans lui. Donc l’option Saint Domingue fut retenue. On est restés en attente pendant encore trois jours. On dit que l’avion ne peut pas partir mais il décollera le lendemain. On passe une autre nuit de cauchemar. Ce jour, on amène quand même un peu de nourriture que l’Unicef avait envoyée. Grâce à Dieu, on a trouvé dans ces rations des biscuits mais mon fils ne pouvait pas les manger. Un ami m’a donnée du lait dans lequel j’ai trempé des biscuits. Ce n’était pas du lait pour bébé et je n’avais ni pot ni gobelet. Il fallait utiliser les moyens du bord parce que c’était une question de survie. Le lendemain, on nous a convoqués à 10h. C’était le 16 janvier. Vous savez que le tremblement de terre a eu lieu le 12 janvier. L’avion devait d’abord transporter ceux qui devaient partir à Miami vers 16h. Nous autres, nous avons quitté Port-au-Prince vers 20h. Il faisait déjà nuit pour nous évacuer vers Saint Domingue. On est arrivé là-bas vers 21h avec l’avion de l’Onu. Avec les paperasses de la Douane, on est restés à l’aéroport jusqu’à presque 22 h. Je ne connais personne et rien de Saint Domingue, et il n’y avait personne à l’accueil. Je n’avais pas un seul franc. Et pourtant j’avais pu attraper un sac avant de sauter. C’est dans ce sac que j’avais mis mon passeport et celui de mon fils, mais point d’argent. J’ai alors arrêté un taxi et j’ai dit au chauffeur : « Est-ce que tu peux nous déposer dans un hôtel mais je n’ai pas d’argent sur moi présentement. Mais je te paierai demain si mes parents m’envoient de l’argent et je pourrai même payer plus. » Par providence, le taximan a accepté de me déposer dans un hôtel. On a presque fait le tour de la ville avant d’en trouver un car ils étaient tous remplis parce que la France a pu évacuer ses ressortissants. Les Canadiens ont eu le temps d’évacuer leurs compatriotes de même que les Américains. Mais le Sénégal n’a envoyé aucun avion pour ses fils ou même pour d’autres Africains. Donc on était laissés à notre merci. J’attendais à Saint Domingue que l’Onu s’organise pour pouvoir nous évacuer. Mais les équipements de l’Onu étaient détruits. On ne pouvait partir que par la bienfaisance des gens. Après les formalités à l’hôtel, on m’a donné une chambre et je me suis installée. J’ai passé la nuit à regarder mon fils et je n’en revenais pas de le voir en vie. Je pensais à mes collègues restés en Haïti dont je n’ai encore de nouvelles. Ensuite mon mari a pu me trouver une réservation sur Air Iberia. Mais je devais faire une escale de 7 à 8 h à Madrid avant de rejoindre le Sénégal. Je n’en revenais toujours pas. Pour moi, c’est un cauchemar. Et notre conseiller du personnel en la personne de Youssoufa Niang communément appelé Docteur Niang a sa famille à Saint Domingue. Il a eu le temps d’appeler sa femme, une Française, qui m’a retrouvée à l’hôtel Mercure. En me regardant, elle m’a dit que je ne pouvais pas voyager comme ça et elle nous a trouvés des habits pour qu’on puisse arriver à Dakar dans des conditions décentes. Une fois à Madrid, avec l’argent envoyé par un ami, j’ai pu acheter des chaussures et des habits intimes que je n’avais plus. Dans l’attente du vol, j’ai vu tous les compatriotes sénégalais, entourés de leurs bagages et très contents de retrouver leur patrie. Et là j’ai eu mal, moi qui étais à côté, triste de rentrer chez mes parents sans besace sans rien du tout. C’était terrible ! Une fois dans l’avion, la première chose que j’ai demandée à l’hôtesse est de la nourriture pour enfant. La femme m’a dit qu’elle est désolée qu’elle ne sert pas de baby food. C’était comme si je retombais dans une profonde souffrance. Le bébé pleurait. Je sais qu’il pleurait parce qu’il n’avait rien dans le ventre. Une dame assise à côté de moi et qui parlait bien l’Espagnol lui supplie de trouver ne serait-ce que du lait pour le bébé. Et la femme insista pour qu’elle me trouve au moins des biscuits. Il y avait une autre passagère qui avait un bébé. Elle a sorti un biberon qu’elle m’a donné. J’y ai mis du lait en poudre et des biscuits. J’ai remué jusqu’à ce qu’il y ait un peu de consistance et je le lui ai donné. Arrivée à Dakar, j’avais comme l’impression d’être partie comme une émigrée clandestine. Personne n’est venue m’accueillir à l’aéroport à part ma mère, ma famille et quelques amis qui savaient que je venais. Lorsque je remplissais les formalités, je ne pouvais plus retenir mes larmes. C’est en ce moment qu’un douanier est venu me voir. Ce douanier m’a aidée à sortir mes bagages de l’aéroport. Un ami lui avait expliqué ma situation et lui avait demandé de m’aider une fois arrivée à l’aéroport. Je le remercie vivement. Quand j’ai vu ma famille, j’étais un peu soulagée. J’ai retrouvé un peu espoir en me disant qu’après avoir survécu, je recommence une nouvelle vie. Mais j’ai laissé derrière moi des personnes qui me sont très chères. Cinq ans dans un pays, ce n’est pas rien. Des collègues avec qui j’étais du matin au soir, des gens qui connaissent mes joies et mes peines, d’un coup, je les perds tous. C’est tellement dur de penser que je ne reverrai plus Cécile ou Dédé. Je partageais avec cette dernière les mêmes bureaux. C’est tellement dur de penser qu’on n’a pas encore retrouvé le corps de Mamadou Kondé, un frère guinéen avec qui j’ai partagé beaucoup de choses. Le plus dur c’est que j’essaie d’oublier ce 12 janvier ou encore quand je ferme les yeux et que j’ai l’impression de ressentir le même tremblement de terre. Le plus dur est de voir ma famille qui fait tout pour moi. Tout ce que je porte, c’est ma mère et mes sœurs qui me l’ont donné parce que je n’avais rien pu sortir. Le plus dur encore, c’est que des gens du Pnud m’appellent pour avoir des nouvelles. Finalement je leur ai demandé d’arrêter ; que je n’en peux plus. J’ai besoin d’argent parce que je n’étais pas partie comme une émigrée mais comme volontaire internationale. J’avais signé un contrat. C’est seulement après avoir envoyé un e-mail pour rappeler cette situation que le chef du bureau de coordination des volontaires m’a contactée pour me dire qu’il fera le nécessaire pour que je puisse rentrer dans mes droits. Je remercie le bon Dieu. »
SUBIR CES EPREUVES AVEC UNE BLESSURE AU PIED
« C’était horrible ! A l’aéroport de Saint Domingue, il y a des gens qui peuvent vous transporter, mais il faut que tu paies. Or, je ne n’avais rien à leur donner pour me déplacer en quatre roues. Je me suis efforcée de marcher avec mon bébé. C’est difficile de marcher quand on est blessé au pied. A Saint Domingue, il y avait une femme qui est venue m’aider. Elle parlait au bébé. Et à l’hôtel, elle a appelé un médecin pour qu’il me soigne le pied. Il y a posé un pansement. Et c’est avec ça que je me suis débrouillée jusqu’à Madrid. Personne ne savait que je souffrais du pied. Avec l’argent reçu à Madrid d’un ami, j’ai pu acheter une poussette pour le bébé parce que je ne pouvais plus le porter. Le temps d’attente était très long. »
CONTACT AVEC LES AUTORITES
« J’ai appelé un ami qui est en Haïti. C’est un officier et il fait partie des gendarmes sénégalais en mission là-bas. Je lui ai demandé de me mettre en contact avec des gens car j’avais besoin de parler au président de la République. Ce n’était pas pour lui dire mes malheurs mais pour l’inviter à prendre des mesures la prochaine fois pour que cela n’arrive pas à d’autres personnes. Vous savez, le deuxième jour du tremblement de terre, j’avais pu contacter l’ambassadeur de France pour lui demander si je pouvais voyager à travers le vol qui évacuait les Français à Paris parce que je suis avec des cadavres qui commençaient à se décomposer. Je n’ai pas eu de réponse. Quand je suis parti à l’aéroport, on m’a dit que la priorité est accordée aux Français. J’ai trouvé là-bas des gens d’American airlines et de la Marine. Eux aussi m’ont dit qu’ils ne vont pas me transporter malgré le fait que j’avais un visa américain. Moi qui suis sénégalaise détenant un passeport sénégalais, je n’ai pas vu un avion affrété par le Sénégal ou des partenariats qui sont noués pour affréter leurs ressortissants. Il n’y a pas de consulat sénégalais en Haïti. Depuis que je suis là, je n’ai reçu aucun contact du gouvernement sénégalais. En lisant la presse hier, j’ai eu la grande surprise de voir que le gouvernement a sorti un communiqué pour rechercher une certaine Fatou Fall qui était en Haïti. Pourtant nous aussi sommes des ressortissants sénégalais qui étions en Haïti. Ça fait très mal au cœur. Nous sommes des citoyens sénégalais et on aimerait bien avoir la sympathie du gouvernement du Sénégal. Il n’y a rien de plus écœurant que de voir à la télévision des médecins qui s’organisent pour venir en aide aux Haïtiens, des élèves qui se mobilisent aussi pour la même cause et que rien n’est fait pour les rescapés du tremblement de terre qui sont des Sénégalais.
EVALUATION DES PERTES
Cinq ans c’est beaucoup. Je ne parle pas de biens matériels parce que cela peut relever de l’égoisme par rapport à la vie que j’ai vécue. Travailler à l’Onu, c’est voyager souvent parce que l’Onu nous exige souvent de sortir d’Haïti tous les deux mois. C’est ce qu’on appelle des vacances d’antistress. C’est aussi les contacts avec d’autres nationalités, d’autres cultures. Je ne peux lister tout ce que j’ai perdu dans cette catastrophe. Mais il suffit de prendre votre propre exemple. Imaginez que tout ce que vous avez eu ou fait ces cinq dernières années se retrouvent sous les décombres en quelques secondes. Mais comme je vous l’ai dit et je le répète, la vie n’a pas de prix et je rends encore grâce à Dieu de nous avoir sauvés mon fils et moi.
RETOUR SUR LES LIEUX DU DRAME
C’est une question qui laisse perplexe. Je suis partagée. Je suis toujours sous contrat avec l’Onu et il faudrait que je respecte mes engagements. Mais je me demande si je serais capable de retrouver cette terre dans l’état où je l’ai laissée. Vais-je avoir la force de regarder cette maison sous les décombres ? Est-ce que j’aurais la force de travailler sans les amis et les collègues qui sont partis pour toujours ? Je me pose ces questions après cette catastrophe douloureuse. Seul le bon Dieu peut me donner cette force. »
DES NUITS DIFFICILES DEPUIS LE SEISME
Des nuits très difficiles. Moi au moins, je suis un adulte et ma sœur qui est infirmière me donne des somnifères qui ne servent à rien car je n’arrive pas à fermer l’œil. Pour mon fils, c’est infernal. Il a vécu tout ce traumatisme. Les nuits sont infernales pour mes deux parents parce qu’il pleure tout le temps. Il ne peut pas dormir sans s’agripper à une personne. Dans la journée, cela se passe bien parce qu’il voit les autres enfants. Il ressent beaucoup de choses. Si ce n’était pas mon bébé, je serais morte à cette heure-ci. J’ai la vie sauve grâce à mon bébé.
FATOU FALL ? CONNAIS PAS !
Je ne connais qu’une seule famille Fall. Un Monsieur Fall qui est un ingénieur et qui est en Haïti depuis 30 ans, il est marié à une haïtienne qui s’appelle Dominique, qui est devenue Mme Fall. Pour les Sénégalaises que je connaissais, parmi les civils, il y avait Fatou Diop et Germaine Gaye. Fatou Diop n’était pas à Haïti lors du tremblement et Germaine, je l’ai vue après le séisme. D’ailleurs c’est grâce à elle que j’ai pu ressembler à une femme après la catastrophe. Je souhaite et prie pour qu’on retrouve Fatou Fall.
Propos recueillis à Mbour par Aminatou M. DIOP et Mamadou BIAYE / lequotidien.sn
c’est la femme la plus courageuse dont je connais, elle est encore en Haïti en 2023, madame Faye vous êtes une héroïne, merci d’avoir accepté de subir tout ça pour nous autre les Haïtiens.