La face hideuse de l’Égypte
temoignages de l’interieur de l’Egypte
Ecrit par: Ibrahima Niakhaté
Depuis l’éviction du président Morsi, l’Égypte vit des scènes de violence quotidiennes. Mais depuis le Mercredi 14 Aout, la violence s’est envenimée de manière extraordinaire. Ce mercredi à jamais baptisé « le mercredi noir ». En effet, en moins de 12 heures, environ 3000 mille personnes ou plus ont perdu la vie, sous les balles et les mitrailleuses de la police et de l’armée égyptiennes, appuyées par des hommes en civils (aussi armés) que la plupart des intellectuels appellent « les délinquants du ministère de l’intérieur. » En effet, il s’agit des dizaines de milliers de malfrats, engagés au service du ministère de l’intérieur, des hommes qui sont entretenus jusque là de manière implicite, de sorte que si on les libère, ils se déchainent sur leurs victimes comme une meute enragée. Ils tuent sans pitié tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin.
Tout à commencer un mercredi 24 juillet, quand le général El Sissi, apparemment inquiet qui voit l’armée discréditée et lâcher pieds face à la détermination des frères musulmans, appelle le peuple à descendre dans les rues pour lui donner légitimité de combattre ce qu’il appelle « le terrorisme. » Le vendredi 26, les masses d’opposants sont alors descendues. Après ces menaces, il voit que les frères ne reculent pas, il tente de mobiliser l’armée, mais celle-ci n’a pas bougé. Il fut contraint de passer la commande au président intérimaire; ce dernier, aussi impuissant que l’autre, passa le témoin au premier ministre en affirmant qu’il donne plein pouvoir au gouvernement de disperser les deux Sit-in du Caire (celle de la mosquée Rabia Al-Adawia et celle de la place El-Nahda (université du Caire). C’est à ce moment que le premier ministre aussi, passe le témoin au ministre de l’intérieur qui se mit à préparer ses « chiens » pour lancer l’assaut sur les manifestations pacifiques.
A ce moment, il y eut de profondes divergences au sein du gouvernement: nous avons le camp de Mohamed ElBaradei, vice-président et ancien prix Nobel de la paix qui prône la solution pacifique, et de l’autre côté le premier ministre, le ministre de l’intérieur et El-Sissi lui-même ministre de la défense et vice premier ministre en même temps. Suite à ces divergences, ElBaradei démissionna le soir du jour même de l’assaut en affirmant: « je ne porterai pas les conséquences de décisions dont je ne suis pas d’accord. »
L’assaut sanglant
Vers environ 7 heures du matin, le mercredi 14 Aout, les forces armées attaquent les deux Sit-in. En moins de deux heures, ils ont réussi à disperser le Sit-in de l’université du Caire, en lançant d’abord des gaz lacrymogènes, puis en tirant sur les manifestants pacifiques et non armés. Ayant vu les gens se bousculer sous l’effet du gaz, la police leur annonce à travers des hauts parleurs qu’il y a une voie de sortie sécurisée. C’était un piège, car toute personne qui essayait d’y passer était abattue à bout portant, par les snipers, les tireurs d’élites et les délinquants postés un peu partout dans la zone. C’est ainsi qu’ils réussirent à les disperser en faisant des dizaines de morts (plus de 50 ans en une heure). Mais les manifestants dispersés tentèrent de se réunir encore non loin de l’université du Caire, à quelques kilomètres. Ils furent encore brutalement dispersés. Il y eut alors des hues et des dia entre la police et ses suppléants face aux manifestants pacifiques jusqu’au soir, et le bilan fut lourd pour ce front d’attaque avec une centaine de morts.
La Mosquée Rabia Al-adawia
C’était le plus important Sit-in et il était difficile de le disperser rapidement. L’assaut fut donné par des snipers et des tireurs d’élite bien placés sur les immeubles, ainsi que les hélicoptères. Ils ont d’abord brulé les tentes des manifestants sur eux. Il y eut des blessés graves par brulure et des morts par balles. Ajoutons à cela les gaz lacrymogènes qu’ils ont intensément lancés sur eux: il y eut des asphyxies. A ce moment, la population sortit au secours des manifestants, mais la police obstrua toutes les voies qui mènent aux Sit-in. C’est alors que le vrai carnage a commencé. Comme un film, les cameras montrent des manifestants debout sur la place Rabia Aladawia, sans représenter un quelconque danger, mais que la police abattait de sang froid par dizaines. Avant midi, le nombre de morts avoisinait 1000 victimes.
L’armée a aussi visé leur grenier de nourriture et de provisions et l’a détruit complètement, pour les priver de tout.
DES SCENES INIMAGINABLES
– En quelques heures, les médicaments et matériels de soin de l’hôpital de fortune construit à Rabia Al-Adawia s’épuisèrent, les médecins bénévoles furent débordés par le nombre de blessés agonisant et des morts. 3 salles furent remplies de cadavres et on demandait l’aide des ambulances pour transporter les blessés graves vers les grands hôpitaux. Mais la police empêchait les ambulances d’entrer et celles qui entraient reçurent des ordres de déposer des armes au sein du Sit-in pour que les manifestants soient qualifiés de « gens armés ».
– Les blessés gisaient partout sur la place. Quand une personne portait un blessé vers les médecins, il recevait parfois une balle et tombait probablement mort, sous les coups de feu des snipers et des délinquants de policiers habillés en civile.
– Les victimes (pour la plupart) recevaient des balles dans leurs têtes, sur le cœur, sur le front, dans le ventre et même sur le sexe.
– On voit sur une photo un char ayant écrasé une femme.
– Quand les assaillants ont dominé la place et que les restants des manifestants se soient retranchés dans la mosquée où se trouvaient des blessés et des cadavres tués durant l’assaut, on leur jeta des gaz lacrymogènes alors que les médecins tentaient de sauver les blessés. La police entra dans la mosquée et se livra à une vraie boucherie. Un témoin raconte: « Je soignais un blessé et soudain, un policier me dit: « Je vais le soulager. » Il braqua son arme vers le blessé et l’acheva. Même le caractère sacré de la mosquée n’a pas été respecté. Ils ont violé tout ce qui est encore plus sacré et qui est le sang du musulman. Au finish, ils mirent le feu à la mosquée par l’intérieur, brulant ainsi des corps.
– Les corps calcinés furent transportés par la suite dans la mosquée Al-imane. Jusqu’à ce samedi 17, 3 jours, jour pour jour, les autorités refusent de livrer aux proches des victimes, les corps de leurs parents, sauf si ces derniers signent que leurs victimes se sont suicidés ou qu’ils sont morts naturellement et non par balle.
– Le ministre de l’intérieur divague en affirmant qu’il y avait 20 mille hommes armés à Rabi Al-adawia. Par Allah, si cela est vrai comment les policiers peuvent-ils entrer dans la mosquée sans qu’aucun d’eux ne soit tué???
Les autorités affirment que 43 policiers sont morts, sans qu’ils ne nous montrent tous ces corps. Même s’ils étaient tués par les manifestants, ce serait du self-défense. Mais des témoins affirment que certains policiers refusaient d’exécuter les ordres de leurs supérieurs qui leur disaient de tirer sur les civils, alors leurs supérieurs les descendaient avec leurs propres mains, pour ensuite dire que ce sont les frères musulmans qui les ont tués.
Le bilan final du mercredi noir s’est soldé avec environ 3000 morts ou plus.
A noter que durant cette seule journée, toutes les régions ont vu des manifestations monstres qui condamnaient le bain de sang opéré. Mais ces manifestations ont aussi fait des dizaines et des dizaines de morts dans les régions.
Le jeudi 15 Aout:
Sous le choc, les manifestants du Caire se sont donnés rendez-vous le vendredi. Ce n’est que dans les régions que nous avions assisté à des protestations contre le bain de sang.
Le vendredi 16 Aout:
Des foules immenses sont sorties après la prière du vendredi dans des manifestations baptisées « vendredi de la colère ». Toutes les régions furent secouées. Au Caire, le point de rencontre était la mosquée Al-Fath au centre du Caire, dans la gare routière de Ramsès.
Cette fois aussi, la police est venue avec ses tireurs d’élite, ses snipers et ses délinquants. Aussitôt, les manifestants furent pris à parti. Les morts commencent encore à tomber. Bientôt, la mosquée Al-Fath fut transformée en hôpital de fortune pour soigner les blessés. Trois hélicoptères survolaient la place et tiraient sur les manifestants pacifiques. C’est alors que la population s’est mise à parler. Ils annoncent qu’ils ne sont ni des frères musulmans ni des salafistes, mais qu’ils sont venus protester contre le sang versés de leurs frères et sœurs.
La répression fut sanglante et au totale 243 morts dans tout le pays, en ce vendredi de colère.
La coalition de soutien au président Morsi annonce vers le crépuscule, qu’il y aura tout au long de la semaine, des manifestations quotidiennes, pour une semaine baptisée « semaine du départ ».
Depuis 23 heures, jusqu’à 11 heures ce samedi 17 Aout, la police et les bandits encerclent près de 2000 manifestants dans la mosquée Al-Fath, parmi lesquels des femmes, des enfants, des blessés et des morts. Durant toute la nuit, les délinquants postés devant les portes et les fenêtres tentent de défoncer les issues pour les opprimer. Toute la nuit, les délinquants les insultaient (selon leur propre témoignage) car certains manifestants correspondaient avec les chaines de télé étrangères sur Skype avec leurs appareils. Les chaines égyptiennes parlent de « terroristes armés » qui tirent sur les policiers, mais elles ne montrent aucune image de l’intérieur pour ne pas ainsi divulguer leur mensonge. Quand je regarde les chaines arabes étrangères qui sont en contact avec les manifestants assiégés, j’aperçois des blessés, des femmes, quelques morts tombés probablement sous les balles des snipers, mais aucune arme. Donc les mensonges des chaines locales se manifestent.
Les manifestants sont sommés d’ouvrir les portes, mais ils refusent, par peur d’être torturer par ces hommes sadiques et assoiffés de sang.
Aujourd’hui, l’Égypte est passée d’un bras de fer entre armée et frères musulmans, à un bras de fer entre un peuple contre son armée qu’il ne reconnaît plus et qui tire sur lui et le tue comme un ennemi mortel.
Si la révolution du 25 janvier 2011 a été menée pour obtenir justice, liberté et pain quotidien, alors celle qui est en cours serait une révolution islamique en passe de vaincre un État dans un État (l’armée), une institution à la charge de l’Occident et qui ne veut nullement voir un régime islamique naître en Égypte car le modèle Turque n’est pas loin. En 8 ans, la Turquie est devenue la 18e puissance économique du monde et la 6e en Europe. La Malaisie tend aussi vers ce sens. Ces modèles impressionnantes de démocratie à l’islam, attisent la crainte de l’Occident car si l’Égypte emprunte la même lancée, dans quelques années, les monarchies du golf perdraient leur prestige et Israël serait en passe de disparaître, avec un régime islamique soutenant sans faille la vraie cause palestinienne. C’est pour cela que l’on voit le double langage de l’Occident, tantôt feutré de mutisme.
Aujourd’hui toutes ces puissances appellent les partis concernés à la négociation. Pourtant, quand le président Morsi le faisait pour éviter ce qui se produit maintenant, elles ne l’ont pas soutenu, mais sont restées dans l’indifférence totale. Ensuite vient ce bain de sang exécrable que même l’État hébreux n’a pas commis envers les palestiniens pendant ses 25 jours de tuerie en fin 2008. Après tout cela, comment les frères musulmans et le peuple égyptien peuvent-ils accepter une quelconque négociation avec une armée qui, pour la première fois de son histoire, salit ses mains avec le sang de ses propres fils.
Voici une anecdote: El-Sissi demandait le 24 juillet, au peuple égyptien de lui donner légitimité de combattre une partie du peuple qu’il qualifie de terroriste. L’équation qui se pose, c’est quel sera le sort d’une famille qui comprend 3 frères: un opposant au président Morsi, un partisan et un homme de tenu? C’est comme si le frère homme de tenu disait à son frère anti-Morsi: « Donne-moi les pleins pouvoirs de tuer notre frère partisan de Morsi. N’est-ce pas là un acte fratricide????
Est-ce de cette manière que l’on doit diriger un pays? Voilà le résultat: l’Égypte s’entretue.