En cette période estivale de l’année, le niveau de fréquentation des différentes plages de Dakar a fortement chuté, du fait du mois béni de Ramadan.
À la plage Anse Bernard, derrière le palais présidentiel, un amas d’ordures fait partie du décor derrière les tentes dressées pour accueillir les visiteurs. Une ambiance morne et placide y règne. La mer, tranquille, est à peine envahie par quelques baigneurs dont la tranche d’âge varie entre 8 et 13 ans. À côté, un groupe de jeunes hommes, assis sur les rochers du mont au dessus de la plage, discutent tout en contemplant l’horizon. «On a fini les cours tôt pour venir passer le temps entre amis en ce mois de ramadan», explique Mohamed Diagne, étudiant. «Si ce n’était pas le mois de ramadan, nous allions nous baigner. Et mieux, on serait en compagnie de nos copines», renchérit son ami Assane Diallo. Un peu plus loin, vers la plage, sous une tente, se trouve une jeune fille du nom de Liliane. Le cahier entre les mains, tête penchée, elle est accompagnée d’un garçon allongé sur une natte. Elle laisse entendre : «je ne suis pas venue pour me baigner, mais juste pour mieux me concentrer sur mes études». Par contre, à la plage du Terrou-bi, une odeur de poisson vous titille les narines dès que vous franchissez le périmètre de la plage. Un tas d’ordures est accommodé au milieu du quai.
Dans un contour de roches, un groupe de mômes s’amuse. Un des gamins, Ousmane Sané, 12 ans, confie : «Nous avons l’autorisation de nos parents pour venir ici chaque samedi, mais nous restons juste sur la rive, pas plus loin». À côté, des jeunes hommes aux muscles saillants font du sport de maintien. Derrière le bivouac des maîtres-nageurs, sont amassées des cartons en plastique et des grandes bouteilles confisqués aux baigneurs. À Ngor, le nombre de baigneurs s’est sensiblement réduit. Sur la rive, sont campés une dizaine d’estivants venus pour la plupart en famille. «Il y a quelques harcèlements, et ça se comprend car les gens viennent divers horizons et chacun avec sa mentalité», souligne, sous le couvert de l’anonymat, une baigneuse accompagnée de sa famille. Du côté de la plage de la Bceao, les vagues se déroulent avec de vaillants rouleaux qui s’écrasent sur la grève.
Des cas de noyade sur certaines plages de Dakar
L’écume blanche file sur le sable jusqu’aux débris qui jonchent certaines parties de l’endroit. Une suite de tentes longent plus d’une centaine de mètres la plage. Ici, les activités commerciales ont pris une grande ampleur. Buvettes, cantines, échoppes sont érigées un peu partout. Faisant partie des plages non autorisée, celle de la Bceao draine pourtant plus de monde que les autres lieux visités. Torse nu, le crucifix suspendu autour du cou, ce trentenaire s’étonne de constater que cette plage soit interdite à la baignade. «Je suis étonné que la baignade soit interdite alors qu’il y a des maîtres-nageurs sous la tutelle de la mairie de Dakar», constate-t-il. Cette période caniculaire qui devrait assurer une ambiance tumultueuse sur les plages se trouve très morne à cause du ramadan, changeant le cours normal des activités estivales dans ces lieux. L’ignorance et l’entêtement devant le danger conduisent souvent à certaines noyades sur des plages. En réalité, malgré les normes établies sur les plages interdites aux baignades, des personnes persistent et outrepassent les consignes.
Dimanche 14 juillet. Il est 10 heures lorsque nous nous approchions des bordures de la mer des Parcelles Assainies. Ici, le ramadan a fini d’installer une ambiance morose. Trouvé en train de scruter les vagues, le jeune Aliou Guèye, candidat au Bfem, déclare : «J’ai peur de la mer. C’est la deuxième fois que je viens sur les lieux pour me libérer du stress et de la pression terribles liés à l’examen du Bfem». En affirmant que la plage de Cambérène est dangereuse, Madiop Bâ confie qu’en 1999, il avait assisté impuissant, avec ses camarades, à un cas de noyade. «Mais finalement, la personne est sortie sauve», explique-t-il. Un autre témoignage indique que cette zone est connue pour être un endroit dangereux. «La mer trompe parfois les nageurs avertis, malmènent ceux qui bravent les interdits maritimes et tuent les curieux étrangers», ajoute-t-il. Bien qu’habitué de cette plage, Joseph Augustin Sarr refuse de s’y baigner. «Ces vagues sont en général houleuses. Vouloir s’y immerger, c’est vraiment mettre sa vie en péril».
Ignorance ou entêtement devant le danger ?
Si pour eux, leur prise de conscience du danger de ces plages leur interdit de s’y baigner, d’autres, par contre, sont aveuglés par leur ignorance ou leur entêtement devant le danger. «On ne m’a jamais dit que l’endroit était interdit à la baignade», se dédouane Ibrahima Diallo. Originaires de Touba et de Mbour, Coumba Fall et Aminata Bâ ont été informées du danger de se baigner sur la plage de Cambérène. Une situation qui, du coup, les a faites changer d’avis. «Nous n’allons plus venir ici», décident-elles à l’instant, les yeux écarquillés. Natif de Joal, Maurice Ndong dit être un bon nageur. «En début d’année, on a repêché des eaux un corps sans vie qui était dans un état de décomposition avancée», confie-t-il. Pour lui, l’entêtement des jeunes est une des causes de noyade. Tailleur de profession, Maurice fait savoir qu’un baigneur a été récemment sauvé de justesse. Mohamed Ndiaye abonde dans le même sens : «à Ngor aussi, une fille allait se noyer, je l’ai sortie de l’eau». Venue passer les vacances à Dakar, loin de sa région d’origine (Ziguinchor), Fina n’était pas au courant de l’interdiction de se baigner sur ces lieux ; contrairement à Boubacar Djiba qui a une bonne connaissance des normes établies, mais qui s’entête à s’y baigner.
MAÎTRES-NAGEURS, SAUVETEURS ET SURVEILLANTS DE BAIGNADE : Entre insuffisance de personnel et manque de moyens
L’insuffisance de maîtres-nageurs, sauveteurs et surveillants de baignade constitue une contrainte majeure dans la lutte contre les cas de noyade. À cela, s’ajoute un sous-équipement.
En ce début d’après-midi du samedi 13 juillet 2013, la baie de Ngor, d’habitude très prisée par des baigneurs de tout âge, affiche une atmosphère inhabituelle. On est loin du temps où la plage grouillait de monde. Ramadan oblige ! Les vagues déferlant de loin atterrissent sur le sable fin qu’elles mouillent à peine, sous le regard cocasse des potaches qui s’amusent. Cet endroit, réputé être depuis toujours l’une des destinations privilégiées des baigneurs, s’est vidé de son monde. Une situation qui n’a fait que des heureux du côté maîtres-nageurs, sauveteurs et surveillants de baignade. Ces derniers, en nombre très réduit, éprouvent d’énormes difficultés à accomplir correctement leur mission. Le salut est venu avec le ramadan, période où le taux de fréquentation est considérablement revu à la baisse. «Il y a seulement une semaine, la plage était noire de monde. On a souffert le martyr pour veiller au grain du fait qu’on est pas en nombre suffisant», explique Assane Samb, chef des maîtres-nageurs, selon qui, pour y faire face, ils ont introduit récemment une demande de renforcement du personnel. Seulement, ajoute-t-il, il n’y a pas eu de suite favorable jusqu’à présent. «Alors que nous gérons des milliers de baigneurs». Il signale que le taux de fréquentation a augmenté, et que par conséquent la municipalité doit revoir sa gestion en ce sens. Faisant partie des plages autorisée de la région de Dakar, Ngor enregistre très rarement des cas de noyade. «En deux ans, il n’y a eu qu’un seul cas», précise M. Samb avec un brin de fierté. Autre lieu, même réalité, la plage de la BCEAO. Ici, même si l’endroit a été inscrit sur la liste des plages non autorisées, maîtres-nageurs, surveillants de baignade, sauveteurs ou simple volontaires se sont organisés pour veiller au grain. Par moment, le concert de leurs sifflets, mêlé au bruit incessant des vagues houleuses, donne à cette place une atmosphère électrique.
Manque d’équipement
Bien qu’attiré par le plaisir de l’eau, on est tenu d’observer les consignes des surveillants pour ne pas prendre de risque. Confortablement assis sur une chaise, Moustapha Diène a les yeux fixés sur la rive. Pour pallier l’insuffisance de maîtres-nageurs, il prône un recrutement massif de personnel afin de pouvoir couvrir cette partie allant de la cité Diamalaye à la plage de Malika. Pour lui, cette zone fait partie des endroits les plus dangereux de la capitale et on y enregistre le plus souvent des cas de noyade. «On a déjà eu 9 décès en deux mois.
Ce qui veut dire que tant qu’il n’y aura pas de surveillants bien formés et mis dans des conditions de performance, on continuera à vivre le même scénario», souligne Ibrahima Fall, qui ajoute qu’il y a de cela deux jours seulement qu’un cas a été signalé dans la zone des Parcelles Assainies. Ce qui témoigne de l’ampleur du phénomène.
Si une meilleure surveillance des plages passe par un recrutement en nombre suffisant de maîtres-nageurs, leur équipement est aussi une autre condition à remplir. Devant la ruée des gens vers les plages pendant certaines période de l’année, le sous-équipement constitue un souci majeur pour les sauveteurs. Une donne qui, selon eux, augmente les cas de noyade. Nombreuses sont les plages dépourvues de boîte à pharmacie, pour pouvoir assurer les premiers soins en cas de nécessité. «Nous n’avons qu’une seule planche, pour le reste on se débrouille», regrette Ameth Ndiaye trouvé à la plage de Terrou-Bi. À Ngor, Assane Samb et ses dix camarades partagent deux pairs de palmes. Des impairs qui, selon lui, doivent être corrigés par la mairie. Momar Betty Sène, avec 20 ans de service, s’insurge contre la précarité dans laquelle il évolue. Il pense qu’il s’agit d’une absence de considération de la part de la ville de Dakar, eu égard au travail colossal que les maîtres-nageurs abattent au quotidien.
Empêcher les cas de noyade
En dehors du recrutement d’un personnel suffisant, bien formé et bien équipé pour réduire de manière substantielle les cas de noyade, Ousmane Fall, officiant à la plage Anse Bernard, en centre ville, suggère le respect des recommandations des maîtres-nageurs. «Le risque de noyade sur les plages interdites est lié pour la plupart du temps au fait que les gens ne respectent pas les consignes des sauveteurs. Ils vont au-delà des balises autorisées». Selon lui, il y a aussi une absence de communication entre les différents protagonistes. Pour sa part, M. Samb souligne l’ignorance des baigneurs de certains paramètres.
À son avis, en matière de baignade, certaines attitudes traditionnelles restent toujours de mise pour la majorité. «Le premier rôle du maître-nageur doit être la prévention. La baignade isolée et les jeux dangereux doivent également être interdits du fait qu’ils augmentent les risques de noyade», note-t-il.