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THIERNO OUSMANE SY : « Ce qui s’est passé entre Millicom, Karim et moi»

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Depuis la publication le 4 février dernier, par le site d’informations américain businessinsider.com, d’un article signé Lawrence Delevingne, accusant Karim Wade et Thierno Ousmane Sy d’avoir voulu percevoir des dessous de table dans l’affaire de la licence de Tigo, L’Observateur a essayé d’en savoir plus sur les dessous de cette affaire. C’est ainsi que nous avons pu nous procurer, au cours de nos investigations, d’un important document en dehors des circuits officiels de l’Etat ; une correspondance que le Président directeur général (Pdg) de Millicom international cellular avait adressée au Président Wade pour lui faire une offre financière dans le but d’obtenir un règlement à l’amiable du différend qui oppose sa firme à l’Etat du Sénégal. Une lettre qui cristallise le blocage des négociations entre l’Etat du Sénégal et la Millicom international cellular, pour le renouvellement de la licence de Sentel (Tigo) au Sénégal. Document en main, nous avons interpellé le conseiller du chef de l’Etat chargé des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic), Thierno Ousmane Sy qui a accepté, à notre demande, de revenir sur ce dossier qu’il a piloté avec Karim Wade. Dans cet entretien, M. Sy lève un coin du voile sur cette sulfureuse affaire et livre les détails des négociations.

L’actualité de ces derniers jours est marquée par l’affaire dite de Millicom avec le journal «Business insider» qui a publié un article dans lequel le journaliste affirme que Karim Wade et vous, aviez demandé l’argent pour que Tigo continue à opérer au Sénégal. Que répondez-vous à ces accusations ?
Ils ont dit que nous avions demandé 200 millions de dollars (90 milliards de francs Cfa) pour notre compte personnel. Ce sont des accusations extrêmement graves et fausses. Karim Wade et moi-même avons eu un certain nombre de réunions avec Millicom, mais ces réunions se sont tenues dans un cadre officiel. Karim en tant que conseiller du président de la République à l’époque et moi en ma qualité de conseiller spécial du chef de l’Etat chargé des Ntic. Et aussi avec une lettre de mission chargée du processus de libéralisation. Nous avions donc été mandaté par l’Etat du Sénégal pour renégocier les termes du contrat avec Millicom de sa présence au Sénégal, tel que cela a été défini dans l’accord qui a été signé le 9 août 2002 entre Millicom et l’Etat du Sénégal.
Je voudrais, pour rappel, édifier les Sénégalais sur ce processus. Pourquoi en est-on arrivé là et pourquoi nous négocions avec Millicom ? En 1998, Millicom a eu une licence de téléphonie avec le régime précédent, une licence qu’elle a payée à 100 000 dollars (50 millions de francs Cfa) à une époque où les licences se vendaient, notamment au Cameroun à plus de 70 millions de dollars. En 2000, le Maroc a vendu sa licence à un milliard de dollars. Après son élection en 2000, le président de la République s’est intéressé à la licence de Millicom et a demandé au ministre des Telecoms de l’époque de regarder ce dossier avec précision. Constatant que Millicom a obtenu sa licence sans la payer, il y a eu d’autres constats graves qui ont été faits. D’abord, il y a eu des manquements vis-à-vis de la convention de concession. Ainsi, en juillet 2000, on s’est rendu compte, par le biais de l’Agent judiciaire de l’Etat, que Millicom n’avait payé ses redevances au 1er janvier 2000, que Millicom avait violé ses obligations de fournitures d’informations technique, administrative et financière, et qu’il y avait des manquements quant à la couverture radioélectrique du territoire.

Quelle a été la réaction du Sénégal devant tous ces manquements que vous venez de souligner ?
Après plusieurs mises en demeure, l’Agent judiciaire de l’Etat a résilié la licence de Millicom au Sénégal. Lorsque cette résiliation a été faite, Millicom n’a pas attaqué l’Etat. Au contraire, Millicom a dit : «Je comprends que vous êtes en train de faire des réformes au Sénégal, je comprends que vous avez un nouveau Code des télécommunications au Sénégal, je comprends que vous avez mis en place une nouvelle Agence de régulation des télécommunications, ainsi, je veux me conformer à ce nouvel environnement institutionnel et je veux renégocier avec l’Etat les termes d’une nouvelle licence.» Nous leur disons soit. Le président de la République reçoit, à la demande des dirigeants de Millicom, leur Vice-président le 9 août 2002. Lors de cette audience qui s’est déroulée en présence du Chargé d’affaire de l’Ambassade des Etats-Unis à Dakar, le Vice-président de Millicom confirme tout ce que je viens de vous dire et demande ce qu’il doit faire pour renégocier une nouvelle licence, pour continuer à travailler au Sénégal. A l’époque, la Côte d’Ivoire et d’autres pays avaient renégocié leur licence et avaient, de manière arbitraire, dit aux opérateurs de payer tant pour continuer à opérer. Au Sénégal, nous n’avons pas voulu faire comme ceux-là. Nous avons fait savoir aux dirigeants de Millicom que nous sommes en train de travailler pour un troisième opérateur. Ainsi, lorsque nous saurons le prix que cet opérateur va payer pour opérer au Sénégal, nous reviendrons à eux pour discuter sur la base de ce prix. Mais, entre temps, comme Millicom avait manifesté une bonne volonté, nous avons signé un accord qui leur permettait, de manière provisoire, de continuer à opérer au Sénégal. C’est ainsi que l’accord du 9 août 2002 a été signé.

Ensuite ?
Après l’appel d’offres qui a été lancé en 2007 pour trouver un troisième opérateur, que Sudatel a gagnée pour avoir payé 200 millions de dollars versés au Trésor public, Karim Wade et moi-même avons été mandatés auprès de Millicom pour leur réclamer un minimum de 200 millions de dollars et de discuter avec eux des termes de rester au Sénégal. Cette première réunion s’est très mal passée parce que Millicom ne s’attendait pas que le Sénégal vende sa troisième licence à 200 millions de dollars. Les offres que Millicom faisaient pour rester au Sénégal étaient de l’ordre de 10, 15 et 20 millions de dollars. C’est ça qui les a mis dans une situation délicate. Il est important de préciser qu’aucune réunion ne s’est faite de manière officieuse. Nous avons des conseillers comme la Rothschild Bank, le Cabinet d’avocats Clifford Chance qui étaient toujours présents aux réunions. Quand Millicom a montré de la mauvaise volonté à payer ces 200 millions de dollars, Karim Wade a été très ferme en leur disant que ce sera un minimum de 200 millions de dollars ou tout est terminé. Il leur a dit que l’accord provisoire que nous avions fait serait même annulé et qu’on se retrouvera en justice. Devant cette fermeté, Millicom a fait dans le dilatoire en demandant encore du temps pour revoir et revenir avec une offre acceptable. Au bout de trois semaines, nous n’entendons rien de Millicom, alors le Premier ministre que nous informions régulièrement en tant qu’autorité suprême du Gouvernement a écrit à Millicom en novembre 2008 pour lui dire l’accord provisoire est terminé. C’est ainsi que nous avons introduit au Tribunal régional de Dakar, conformément aux dispositions relatives aux disputes de la convention de concession, une procédure. Parce que le Sénégal est un pays de droit. Lorsque nous avons initié cette procédure, le même jour, Millicom introduit une procédure au niveau du Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (Cirdi). Ce qui montre que Millicom n’a jamais voulu négocier en toute bonne foi.

Pourquoi continuer à négocier avec l’opérateur qui n’était pas de bonne foi comme vous le dites et, au moment où le contrat avait été résilié ?
Je renvoie à l’accord du 9 août 202 dans lequel il est écrit que «Sentel a informé l’Etat du Sénégal de sa volonté à négocier en toute bonne foi les nouvelles conditions mutuellement acceptables devant régir ses opérations au Sénégal». Et il était entendu que ce sera à l’issue du choix du troisième opérateur que ces négociations commenceraient. L’opérateur a été choisi en 2007, en début 2008 nous avons commencé les négociations qui n’ont pas abouti parce que Millicom n’a pas voulu payer 200 millions de dollars. D’ailleurs, ce n’est pas fini car lorsque nous avons initié la procédure judiciaire, le 28 novembre 2008 Millicom rappelle encore pour dire qu’elle veut renégocier. Ainsi, elle signe avec notre conseiller juridique un accord de confidentialité pour se remettre à la négociation. Après la signature de l’accord, je les ai reçus dans mon bureau, en présence de nos conseillers de Rothschild Bank et Clifford Chance et de leur expert financier. A cette réunion, ils proposent 60 millions de dollars pour la nouvelle licence. Je leur demande si c’est offre finale, ils me disent oui. Je leur fais comprendre que l’audience est terminée. Ils sortent du bureau et demandent à nos conseillers de leur donner encore quelques jours pour une nouvelle offre. Je refuse de les recevoir. Le 13 juillet 2009, ils écrivent au président de la République pour porter l’offre à 100 millions de dollars. D’ailleurs le marchandage de tapis dont l’article parle en disant qu’Ousmane Sy a demandé 160 millions de dollars, vient de là. Mais moi, je n’ai jamais rien demandé d’autre que 200 millions de dollars. Ce que dit l’article est complètement faux. Ce sont des accusations fantaisistes.

Dans les négociations, ce sont les noms de Karim Wade et Ousmane Sy qui reviennent. Dans les transactions financières, on ne sent pas l’implication du ministère des Finances. Est-ce que cette situation ne favorise pas les suspicions autour de cette affaire ?
Je vais revenir un peu en arrière. Nous sommes une équipe. Quand la troisième licence a été lancée, Karim Wade et moi ne faisions que coordonner l’opération et, nous rendions compte au président de la République. Mais nous ne lancions pas d’appel d’offres. C’est l’Artp, comme régulateur, qui a préparé les documents avec une commission. Tout cela s’est fait de manière transparente. Nous n’entrons en négociation que lorsqu’il y a le besoin. C’est dans ce cadre que nous avons été impliqués, chacun selon son expertise. Karim Wade pour les aspects financiers et moi-même pour les aspects techniques. Nous avons ainsi adjoint nos expertises à cette commission pour optimiser les retombées pour l’Etat. Encore une fois, nous ne faisions que négocier et rendre compte.

A qui ? Au président de la République seulement ?
Au président de la République et au Premier ministre. C’est ce dernier qui, depuis 2000, a fait toutes les correspondances adressées à Millicom. Nous, nous sommes simplement mandatés.

N’avez-vous pas l’impression d’avoir été piégé par Millicom car au moment où les négociations tiraient en longueur, l’opérateur continuait à gagner de l’argent ?
Encore une fois, nous sommes un Etat de droit, c’est pourquoi nous avons initié une procédure au Tribunal. Nous avons confiance en la justice sénégalaise, comme nous avons confiance en la Cirdi. Millicom a dit vouloir négocier en toute bonne foi, et toute bonne foi nous les avons laissés travailler dans la phase provisoire.

A vous suivre, on a comme l’impression que vous avez été roulés dans la farine.
Nous n’avons pas été trompés. Nous savons très bien ce que nous faisions. Nous savons très bien aujourd’hui que nous plaçons sur le marché une nouvelle licence, nous allions la placer avec un minimum de 200 millions de dollars, ce qui nous permettra d’escompter toutes les pertes. En réalité, aujourd’hui c’est Millicom qui a un problème. Millicom est côté en Bourse au Nasdaq, a signé un accord avec un Etat souverain, le Sénégal en prenant des engagements qui ne sont pas respectés. Ensuite, sa licence de 1998 a été résiliée en toute légalité, sur la base de faits avérés. Il a été aussi constaté d’autres manquements dans les opérations de Millicom pendant tout ce temps-là. Tout cela sera porté au dossier juridique.

Malgré tous ces manquements, Millicom continue à opérer au Sénégal. Quel est votre problème ?
Il y a deux manières de faire : une manière forte, mais non légale qui consiste à envoyer la Police qui saisit le matériel et l’opérateur arrête d’exercer. Ces méthodes ne sont pas les nôtres et il y a le principe de continuité auquel nous faisons attention. L’autre manière est celle dite légaliste. En effet, nous avons saisi le Tribunal qui va se prononcer. Si le Tribunal dit que Sentel doit arrêter ses activités, ce sera immédiatement exécuté.

Qu’est-ce qui explique cette lenteur car, il faut reconnaître que la procédure judiciaire tire en longueur ?
L’Etat du Sénégal a initié une procédure judiciaire en novembre 2008, le dossier est entrain d’être traité. Encore une fois nous avons confiance en l’expertise judiciaire sénégalaise.

En réaction à l’article de Business insider, qu’allez-vous faire ? Une plainte avait été annoncée contre ce journal. Qu’en est-il ?
Il est évident que Karim et moi intuiti personae, avons pris des dispositions pour attaquer aussi bien Business insider que le journaliste qui a écrit ces inepties, sans les vérifier. En aucun moment, Business insider n’a cru devoir appeler Karim Wade ou Thierno Ousmane Sy. Ils disent avoir contacté l’Ambassade du Sénégal à Washington, mais cela est très facile. Je pense qu’ils auraient dû prendre quelques précautions en prenant contact avec ceux qu’ils accusent pour avoir leurs versions des faits. Ils ne l’ont pas fait, nous allons les attaquer aux Etats-Unis avec nos avocats basés dans ce pays. Ce sera très facile et très simple.

Savez-vous qu’il y a un système de lobbying au Congrès américain ? D’ailleurs, l’on révèle qu’il y aurait un Congress-man républicain derrière ce dossier…
Ce que je veux croire, c’est les lobbies défendent ce qui est défendable. Je pense que les lobbies se basent sur la vérité pour obtenir les positions. Dans cette affaire, c’est un cas avéré de mensonge et d’ailleurs, le Millenium challenge account (Mca) n’est pas dupe. Ce genre de pratique est simplement utilisé pour ne pas payer sa licence. En gros, l’article dit ceci : «Je ne veux pas payer 20 millions de dollars et attention le Mca est là et sur lequel je peux travailler». Les Sénégalais ne sont pas dupes. C’est dommage que des personnes que l’Etat du Sénégal a mandatées et qui ont travaillé en toute transparence, soient attaquées. C’est une manière de discréditer les institutions du pays. Ce n’est pas bien.

Aujourd’hui, Millicom a une société qui s’appelle Tigo qui exploite sa licence. Il y a beaucoup de Sénégalais et de Pme qui y travaillent. Quel sera leur avenir si la licence est retirée ?
Je vous suggère d’aller interviewer ces travailleurs. D’après les informations que je détiens et que vous pouvez vérifier, plusieurs ingénieurs de Millicom qui ont attaqué en justice leur employeur parce que leur manière de recruter et de gérer le personnel suscite beaucoup de questions, d’une part. D’autre part, le secteur des Telecoms au Sénégal est très dynamique. Sudatel a beaucoup recruté et continue de recruter, l’opérateur historique aussi a beaucoup recruté et continue à le faire. Donc, ces travailleurs de Tigo savent que leur avenir dans le secteur des Telecom a une certaine garantie.

Aujourd’hui, si Millicom affichait une bonne volonté à renégocier sa licence, quel prix lui serait-il appliqué ?
Si on les a laissés travailler depuis lors, c’est parce qu’ils ont accepté de se conformer à la législation sénégalaise dans le domaine des Telecoms, mais aussi à utiliser le prix de la deuxième licence comme référence pour payer leur licence. Cette licence a été vendue à 200 millions de dollars (90 milliards de francs Cfa), c’est la référence.

Mais le secteur a évolué très rapidement. Cette licence a peut-être augmentée…
Peut-être elle a diminué aussi. C’est pour cela qu’on négocie. Mais il se faut rendre compte que Millicom n’a voulu avoir une discussion objective autour de 200 millions de dollars. Elle se lance toujours dans ce marchandage de tapis en proposant 20 millions de dollars, ensuite 60 et 100. Ce n’est pas sérieux.

Dans les discussions de tapis, il y a une flopée de montants qui a été avancée. Qui fixait la barre pour le compte de l’Etat ? C’est le Président, le ministre des Finances, ou vous et Karim Wade ?
La barre du Sénégal n’a jamais varié. C’est l’accord de 2002 qui a arrêté que la licence Millicom prendrait pour référence le prix de la troisième licence. C’est simple.

Les Telecoms se portent bien au Sénégal. Est-ce qu’un quatrième opérateur peut être envisagé ?
Nous avions pris l’engagement auprès du troisième opérateur de garder une structure de marché à trois opérateurs pendant cinq ans, au moins. Car nous savions que l’affaire Millicom est un problème pendant. C’est pourquoi, nous n’avons pas été nominatifs. Donc, l’Etat du Sénégal a des possibilités de substitution. Pour répondre à la question, nous avions verrouillé en 2007 et en début 2012, nous pouvons revenir sur le marché et présenter une nouvelle licence.

Aujourd’hui, est-il possible de retirer la licence de Millicom et de la revendre à un autre opérateur ?
Millicom qui exploite Tigo n’a plus de licence au Sénégal depuis le 14 juillet 2000.

Est-ce qu’on peut évoluer dans un secteur comme celui des télécommunications, sans licence, et opérer en toute tranquillité ?
Justement, c’est cela qui justifie l’initiation de notre procédure au Tribunal de Dakar. Je comprends que vous bouillonnez de questions comme pour dire : «cassez la baraque». Nous ne voulons pas fonctionner comme ça. Le Sénégal est un Etat de droit et nous voulons respecter notre signature et nos interlocuteurs, même si nous ne sommes pas d’accord avec eux.

NDIAGA NDIAYE ET ALASSANE SAMBA DIOP (RFM)

lobs.sn

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