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Tiger Woods: la «dépendance sexuelle» est une victoire féministe

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Certains comportements grossiers qui passaient autrefois inaperçus sont devenus pathologiques.

Quand Tiger Woods s’est inscrit dans la clinique pour dépendants sexuels du Gentle Path, beaucoup d’auteures et de militantes ont réagi avec méfiance et rancœur. Lemondrop s’est demandé si ce genre de traitement n’était pas «un moyen pour les coureurs de gentiment s’excuser auprès de leurs femmes bafouées». Pour Tracy Clark-Flory, de Salon, le diagnostic «est tout juste exaspérant». Un groupe de manifestantes en Australie est arrivé à un tournoi de golf brandissant des images de Tiger photoshoppées avec le chapeau et la canne de Purple Pimp, sous-entendant par-là son appartenance à une certaine noblesse coquine. Chez nous, Amanda Marcotte s’est demandée si Tiger Woods souffrait d’une quelconque maladie ou «d’un ensemble comportemental typique couplé à de nombreuses opportunités». Ou, comme elle l’a résumé, si les célébrités comme Tiger Woods qui accumulaient les maîtresses étaient des « »dépendants »? Ou juste des porcs?»

Grossiers ou pathologiques?

Admettons qu’il est difficile de se sentir proche d’un homme qui demande à sa maîtresse de modifier son annonce de messagerie vocale parce que sa femme a volé son téléphone. En particulier quand ce type est un golfeur millionnaire qui a profité de son image de gendre idéal. Mais avec un peu de distance historique, la situation semble déjà moins suspecte. Il n’y a pas si longtemps, ce n’était pas si simple de rendre publics les agissements d’un porc, qu’il soit célèbre ou pas. Le terme «dépendant sexuel» a facilité un peu cette tâche, et son introduction dans le vocabulaire psychiatrique devrait être considéré comme une étape importante dans l’histoire du féminisme. Tout d’un coup, certains comportements grossiers qui passaient autrefois inaperçus sont devenus pathologiques. Et dans la littérature médicale, l’expression «sexualité compulsive» est tout d’abord apparue non pas pour décrire des femmes hystériques mais plutôt des hommes prédateurs.

Le terme de «dépendant sexuel» a été popularisé à la fin des années 1970, quand Patrick Carnes, fondateur de la clinique du Gentle Path, publia Out of the Shadows: Understanding Sexual Addiction (titre français: S’affranchir du secret – Sexualité compulsive). Le livre s’ouvre sur une description que Woods devrait trouver péniblement familière: le moment où tout dépendant doit admettre que sa vie est hors de contrôle quand «une voiture de police vient de se garer devant chez vous, et que vous savez pourquoi» et se continue sur des «comptes rendus torrides» qui ont fait salivé des millions de lecteurs. Le premier cas décrit dans le livre est celui de «Del», mixte perfide de Roger Sterling et d’Eliot Spitzer. Del est avocat et couchait à la fois avec sa secrétaire et sa patronne. Il «abusait des relations», déplore Carnes. Il traquait les femmes dans la rue. Carnes expose là le genre de remontrances qui le feraient applaudir s’il était invité de The View. Non, vous ne pouvez pas dire à quelqu’un que vous l’aimez juste pour vous retrouver au lit avec. Non, vous ne pouvez pas dire à une personne que vous l’aimez si vous en aimez déjà deux autres en même temps.

A l’époque, les féministes avaient rejeté le diagnostic de Carnes non pas parce qu’elles voyaient dans la «dépendance» une excuse facile pour les goujats, mais parce que le livre était pour elles trop «sexuellement négatif», se souvient Robert Weiss, directeur et fondateur du Sexual Recovery Institute en Californie. «C’était une époque de totale liberté sexuelle, où les sexologues encourageaient les gens à avouer et à assumer toutes sortes de comportements sexuels.» Si des hommes se comportaient comme Woods, ou comme le personnage de Del, «il n’y avait que peu de chances» que cela soit vu en société comme un problème ou une maladie, ajoute Weiss. «C’était juste des types à qui on avait permis de le faire.»

Donjuanisme et nymphomanie

Depuis, cependant, le livre de Carnes a gagné en crédibilité et est devenu un important correctif à la manière de penser actuelle en psychiatrie concernant les déviances sexuelles. Pendant longtemps, le terme qui se rapprochait le plus de la dépendance sexuelle était celui de «donjuanisme», qui donnait à la maladie des airs baroques et libertins. Un appétit sexuel débordant n’était clairement pathologique que lorsqu’il concernait des femmes. Pendant l’époque victorienne, la nymphomanie était devenue le fourre-tout caractérisant des comportements déplacés, allant des «regards lascifs» aux aventures extraconjugales, écrit Carol Groneman  dans Nymphomania: A History. Le simple fait de mettre du parfum pouvait s’apparenter à de la «nymphomanie modérée». Le livre décrit le cas de Mme R., une veuve qui, en 1895, confessait ses «désirs lascifs» pour avoir lu trop de romans et s’être rendue à trop de fêtes guillerettes quand elle était jeune fille. C’est «avec la plus grande difficulté que j’arrive à me comporter en lady en présence d’individus du sexe opposé», se plaignait-elle à son médecin, qui lui prescrira des sangsues à appliquer sur son utérus et de la glace sur sa région génitale.

Aujourd’hui, près de 95% des personnes  diagnostiquées avec des troubles sexuels sont des hommes, selon Marty Kafka, l’expert officiel qui traite des patients au McLean Hospital de Belmont, dans le Massachusetts. Certains sont de vrais déviants, et d’autres ne sont que très peu compulsifs. Ils peuvent se masturber ou regarder un peu trop souvent des pornos, ou se ruiner encore auprès des prostituées. Souvent, la compulsion est handicapante; ils peuvent avoir l’intention de ne se contenter que d’une demi-heure de porno pour finir à gâcher toute leur journée de travail. Le sexe, en lui-même, ne leur donne en général que peu de plaisir pour beaucoup de souffrance, explique Kafka, qui étudie le trouble depuis les années 1980. De nos jours, le traitement combine une thérapie comportementale et  cognitive, avec des antidépresseurs. «On peut se chamailler sur la définition exacte», explique Kafka. «Mais je n’ai aucun doute quant à l’existence réelle de cette maladie.»

Combien de fois Woods a-t-il eu un orgasme?

Une des copines de Woods, à Las Vegas, le décrit comme un dépendant sexuel qui chasse les femmes sans relâche. Mais cela ne signifie pas forcément qu’il en soit un. L’inventaire actuel des maîtresses de Woods (18 sur six années de mariage) ne tombe pas en lui-même dans la définition clinique, sans savoir combien de rapports il avait avec ces femmes, ni ce qu’il voulait leur faire d’autre. La première question que Kafka poserait à Woods, dit-il, est: combien de fois a-t-il eu un orgasme? Selon la définition, le problème commence par sept fois par jour pendant six mois. (Oui, ça semble peu, mais visiblement six mois de masturbation quotidienne, ce n’est pas banal. Et ce n’est que la première question.) Ensuite, Kafka verra si Woods peut contrôler ses pulsions, si son comportement est globalement maniaque ou dépressif, et de quelle manière cela prend le pas sur les autres priorités de sa vie. Sur tous les détails que nous connaissons, un -qu’il a fait l’amour la nuit où son père est mort– pourrait préoccuper les cliniciens, dans le sens où cela signifierait qu’il voit le sexe comme un moyen d’auto-médication.

La plupart des addictions ont des points communs avec les troubles de la personnalité. Il a fallu cinquante ans aux cliniciens pour convaincre les Américains que l’alcoolisme avait d’autres causes que le péché et les mauvaises manières. Le jeu n’est que depuis peu décrit comme partageant certains éléments compulsifs. La dépendance sexuelle est encore plus théoriquement branlante; les structures médicales ont du mal à trouver des financements pour mener des recherches sur le sujet, ce qui fait que les études statistiquement fiables sont rares. Et à l’inverse des années 1970, la position féministe sur la goujaterie masculine s’est maintenant alliée à une interprétation morale traditionnelle, créant d’énormes difficultés pour parler de sexe comme quelque chose que, parfois, les hommes ont du mal à contrôler.

Encore un tabou

Mais cette impopularité du terme signifie que, pour des célébrités comme Woods, confesser -ou au moins ne pas nier- être en cure de désintoxication sexuelle est une chose risquée. Et donc si une célébrité prend un tel risque, peut-être devrions-nous lui donner un petit peu de crédit. Quand David Duchovny a admis suivre une cure de désintoxication sexuelle en 2008, il fut porté aux nues par la communauté des sex-addicts, comme l’explique Benoit Denizet-Lewis, auteur de America Anonymous. La plupart des célébrités préfèrent dire qu’elles suivent des cures de désintoxication pour leur usage de drogues, ou leur alcoolisme, c’est plus socialement acceptable. «Je ne vois pas quel est le réel avantage de se reconnaître comme dépendant sexuel», dit Denizet-Lewis. «C’est toujours un truc très stigmatisant.»

La visite de la femme de Woods, Elin, à la clinique de Gentle Path, a rapidement fait fleurir des blagues sur les visites conjugales. Mais, en réalité, une cure de désintoxication sexuelle est une vie de moine, sans la moindre miette de sexe ou de masturbation permise. Pour les femmes et les petites copines, dit Denizet-Lewis, «c’est la première fois que leurs maris ou petits copains admettent avoir un problème. Après des années de mensonges, d’excuses, de double vie, ils avouent « j’ai un problème et je tiens suffisamment à notre couple pour me faire aider »». Voilà peut-être une raison suffisante pour ne pas traiter le gars de porc.

Hanna Rosin

Traduit par Peggy Sastre

Image de une: le 15 november 2009. REUTERS/Mick Tsikas

slate.fr

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