A quelques jours de la sortie de sa dernière galette discographie, la méga-star ivoirienne de reggae, Tiken Jah Fakoly, a présenté son œuvre à la presse, dimanche, au Parker Place à Marcory. Après une séance d’écoute de six chansons, l’artiste est revenu sur plusieurs dossiers chauds de l’actualité. La prochaine élection présidentielle ivoirienne, l’incendie de ses voitures à Bamako, le milliard d’Abdoulaye Wade, son combat pour la jeunesse africaine…
Pourquoi le titre African Revolution pour ce 10e album ?
J’estime que tous les peuples ont fait leur révolution. Si des pays comme la France et les Etats-Unis sont ce qu’ils sont, c’est parce qu’il y a eu des hommes et des femmes qui se sont battus. Nous pouvons transformer ce continent. L’album s’adresse à 90% à la jeunesse africaine. Qu’elle sache que personne ne viendra changer notre continent à notre place. Les politiques africains jouent sur les divisions ethnique, régionale et religieuse. Mais, il se trouve que le musulman et le chrétien ivoiriens qui vivent à Abobo ont les mêmes problèmes. Leurs enfants fréquentent les mêmes écoles pourries. Lorsqu’ils sont malades, ils se retrouvent dans les mêmes hôpitaux détériorés. Il suffit que ceux-ci se donnent la main pour avoir le respect des politiciens.
Qu’est-ce qui diffère cette discographie des précédentes ?
Nous avons voulu réaliser un album différent des autres, riche en instruments traditionnels (balafon, sokou ‘’instrument à corde’’, kora ‘’normale’’, la kora des jeunes et le djembé). Après 10 albums, il était important que l’artiste surprenne son public. Nous avons voulu éviter la monotonie. Aussi, il fallait prouver que nous avons atteint une autre dimension. Que nous pouvons chanter sur des rythmes différents de ce qu’on nous connaît. C’est toujours un message d’éveil de conscience, d’éducation, d’information, qui essaie de rappeler les difficultés de notre continent et lui donne une image positive, que nous lançons. Nous avons 50 ans de photocopie d’indépendance. Sans être autonome politiquement et économiquement. Avec des Etats très riches et des populations très pauvres. C’est donc un paradoxe historique. Je pense que le vrai combat du reggae, aujourd’hui, se trouve sur le continent africain.
Sur le précédent album, vous demandez aux Occidentaux d’ouvrir les frontières, et sur celui-ci, vous revendiquer un développement de l’Afrique par Afrique. N’est-ce pas un paradoxe ?
Le titre ‘’Ouvrez les frontières’’ est une revendication légitime. Une injustice qui méritait d’être dénoncée. On ne peut pas accepter que les Occidentaux viennent chez nous, quand ils veulent et comme ils le veulent et refuser l’accès de l’Europe aux Africains. Ce que je conseille aux jeunes, c’est de ne pas toujours vouloir partir. Car, si tout le monde part, qui se battra pour changer les choses sur le continent.
Qu’elle est la vérité sur cette affaire d’un milliard de Fcfa qu’Abdoulaye Wade, président sénégalais, vous aurait remis ?
En 2007, j’étais au Sénégal, lorsqu’a débuté la polémique sur la succession du président Wade. Il se disait qu’il voulait léguer son fauteuil à son fils. En tant qu’Africain, j’ai donné mon opinion sur la question. Ce qui n’a pas été du goût du président et j’ai été interdit de séjour dans ce pays. Dernièrement, dans le cadre du Festival des arts nègres, je m’y suis rendu sur invitation de Didier Awadi. Après le spectacle, j’ai eu une audience avec M. Wade. J’étais dans le bureau avec Ismaël Diaby (Ivoirien), Aziz (président des artistes sénégalais), Baba (mon conseiller), la fille du président… Nous nous sommes entretenus et à la fin, le président nous a dédicacé des bouquins. Des journalistes étaient présents à notre sortie. C’est dans les journaux que j’ai appris cette affaire d’un milliard de Fcfa. Aussi, faut-il savoir que je ne fais pas de l’artistique alimentaire. Je ne suis pas non plus un habitué des palais.
Vous chantez rarement en anglais, pourquoi l’avoir fait sur cet opus ?
Le titre de l’album est en anglais, mais, je n’ai que deux chansons sur 14, chantées dans cette langue. Aujourd’hui, nous avons estimé qu’il faille permettre aux pays anglophones d’avoir accès à notre message, vu la notoriété que nous avons acquise. Aussi, viens-je de signer un contrat avec la maison de distribution de Madonna et Jay Z., ‘’Live nation’’ qui s’est installée en France. Je suis leur tout premier artiste. J’ai un featuring avec Asha (artiste nigériane), ‘’Political war’’.
Dans la chanson ‘’Massatchè’’ chantée en malinké, vous dites (interprétation) : chef, si tu ne peux pas, quitte-là. A qui faites-vous allusion ?
Ce titre ne cible pas un pays ou une personne. Une anecdote, le titre ‘’Y a en marre’’ a été utilisé à Madagascar durant les élections. Quand j’ai chanté ‘’Quitte au pouvoir’’, on a pensé que c’était adressé à la Côte d’Ivoire, des Togolais ont pensé à Eyadema, les Centrafricains, à leur président. Chacun a utilisé le titre en fonction de sa situation. Si vous pensez que le ‘’massatchè’’ (chef), doit quitter, c’est votre avis. Chacun peut interpréter la chanson comme il veut.
Il y a quelques semaines, deux de vos voitures ont été incendiées à Bamako. Où en êtes-vous avec l’enquête ouverte par la police?
Je dirai qu’il y a une voiture et demie qui ont brûlé. La police continue son enquête. C’est un peu le prix à payer de la célébrité. Quand on est connu, on ne peut pas être l’ami de tout le monde. Je me console, car il n’y a pas eu de perte en vie humaine.
Etes-vous optimiste quant à l’organisation des élections le 31 octobre prochain ?
Oui je le suis. Depuis une semaine, ‘’le grand patron’’ ne fait que répéter que les élections auront lieu. Nous avons ses messages en image. S’il arrive qu’un jour il dise le contraire, nous allons le lui rappeler par des images. J’espère que ces élections se tiendront enfin. Nous commençons à entrer dans le rouge. Nous avons alerté les Ivoiriens à travers plusieurs titres, ‘’Mangécratie’’ ou ‘’Mon pays va mal’’. Il y a une nouvelle chance de repartir car nous sommes revenus à la raison. Nous avons eu l’occasion de contempler une Côte d’Ivoire en paix et une autre en crise. Unissons-nous et mettons-nous au travail pour que ce pays avance. Laissons nos frères de la sous-région tranquilles.
Quel est votre appel aux hommes politiques ?
Qu’ils prouvent qu’ils aiment ce pays. Nous avons besoin de preuve. Qu’ils arrêtent de faire la ‘’copincratie’’ ou la ‘’famillecratie’’. Organiser les élections le 31 octobre prochain sera la meilleure preuve d’amour pour ce pays. Je leur demande pardon. Qu’on aille aux élections afin de donner la chance au peuple d’élire son président.
Quand est-ce que le nouveau Tiken Jah sera-t-il disponible en Côte d’Ivoire ?
Le 20 septembre au matin à Abidjan, Ouagadougou, Bamako… Nous avons négocié la sortie en Afrique, une semaine, avant l’Europe. En Occident, on pourra aussi l’avoir sur internet (digital) à partir du 20. Sinon, le Cd ne sera disponible que le 27.
Où en êtes-vous avec votre concept ‘’un concert, une école’’ ?
Le concept continue. Dans le contrat que nous venons de signer, nous ferons en sorte que les recettes d’un concert de chaque tournée soient reversées pour la construction d’une école. Nous sommes à deux écoles. Un collège au Mali et une école primaire à Odienné. Il y a une école en construction au Burkina Faso. Ici, nous nous sommes rapprochés du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud), qui a décidé d’investir 30 millions pour la réhabilitation d’une école à Biafra, un quartier de Treichville à Abidjan.
Propos recueillis par Sanou A
abidjan.net