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Trafic dans le corridor Bamako–Dakar : Drogue express

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Sur le corridor Bamako-Dakar, les chauffeurs «se transportent» en prison à cause des colis de drogue. Le trafic de stupéfiants y prend une ampleur inquiétante. Les services de sécurité du Mali et du Sénégal ont fini de tirer la sonnette d’alarme tellement les quantités de stupéfiants saisies sur cette route à vocation sous-régionale battent tous les records. Ce frêt illicite fait vivre un vaste réseau de trafiquants établis dans plusieurs pays de la sous-région. En partenariat avec l’Institut Panos, Le Quotidien a tenté de percer le fléau dans son ampleur ainsi que ses implications sur la sécurité des Etats aux équilibres sociopolitiques fragiles.
Saisies record, multiplication des arrestations de chauffeurs : Sur le corridor du trafic
Réhabilité à coup de centaines de milliards pour la fluidité des échanges commerciaux entre pays membres de la Cedeao, le corridor Bamako-Dakar est la voie de circulation d’importantes quantités de drogue. Les trafiquants tiennent donc leur route bitumée. Les principales victimes sont les chauffeurs maliens.
Sur le fichier de la gare de Faladjé, au centre de Bamako, les mules ne sont pas identifiables. Pourtant, elles voyagent par camion et par bus. Leurs colis circulent sur le corridor Bamako-Dakar. Parfois, ils sont interceptés. Les porteurs aussi. Et la détention provisoire en sera le moindre mal. C’est ainsi que la psychose de la prison est devenue un psychotrope dans le monde des conducteurs routiers.
Sous une chaumière cimentée près de la mosquée de la gare des gros porteurs de Faladjé, Yancouba Koné affiche un silence d’inquiet, observant les mouvements des chauffeurs, le temps que le muezzin rappelle l’heure de la prière. Il est presque 17h. Les chauds rayons de l’après-midi perdent de leur corrosivité. Pour certains, la priorité est à la vérification technique avant d’embarquer pour Dakar. Ils auront ainsi plus de 1 000 km à parcourir avec des colis de plus en plus infestés au profit des demi-grossistes de cannabis, des détaillants de la cocaïne et de la méthamphétamine établis notamment dans les deux pays. Ce produit classé sur la liste des drogues de synthèse, difficiles à détecter, est de plus en plus fabriqué dans des laboratoires clandestins dont la plupart sont implantés au Nigeria.
La discrétion de ce patron de la gare de fret ne dissipe point une colère pour laquelle il a du mal à trouver un exutoire. Et pour cause, beaucoup de ses protégés camionneurs qui empruntent le corridor Bamako-Dakar croupissent dans les geôles sénégalaises pour transport de drogue. La dernière mule arrêtée date du 2 décembre dernier au poste frontalier de Kidira. La Douane sénégalaise y a saisi 1kg de cocaïne dans un bus en provenance du Mali. Heureusement que le colis portait l’adresse téléphonique du destinataire. Une livraison surveillée a permis aux douaniers de mettre la main sur le destinataire : un ressortissant nigérian.

29 chauffeurs maliens transférés à Bamako et deux morts
L’axe routier Bamako-Dakar est carrossable. Malgré les postes de contrôle installés des deux côtés de la frontière, il est un domaine de prédilection de la mafia sous-régionale. Vêtu d’un boubou bleu-azur, le chef de gare sous-régionale de frêt, Yancouba Koné, se lève de sa chaise dépliante. Chapelet en main, il indexe la naïveté de ses camarades chauffeurs qui payent le plus lourd tribut de ce trafic de drogue qui prend des amplitudes stupéfiantes. Au dernier recensement mené par une délégation venant de Bamako à la suite d’une visite des prisons sénégalaises, 49 chauffeurs maliens ont été incarcérés. 29 d’entre eux ont fait l’objet d’un transfert à Bamako. Deux d’entre eux sont morts dans les geôles sénégalaises en 2011.
Les destinataires des colis sont rarement arrêtés. «Nous n’avons pas le droit d’ouvrir les sacs ou les colis des voyageurs. Une fois en terre sénégalaise, les douaniers nous arrêtent et fouillent nos camions. S’ils y trouvent de la drogue, faute d’identifier le propriétaire, les chauffeurs sont arrêtés. C’est un complot», s’indigne le vieux Koné. A son niveau, le sujet interpelle ses protégés. De ce fait, il ne trouve point pertinent de se prononcer seul sur la question. Dès notre arrivée, Yancouba Koné bat le rappel de ses troupes de camionneurs. «Que chacun témoigne», recommande-t-il, l’index levé. La catharsis peut commencer.
Le cri du cœur est unanime : «Pour­quoi seulement les chauffeurs ?» Cependant, un camionneur malien rame à contre courant de son leader. Certains de ses camarades qui se considèrent toujours comme des victimes, déclare Koné, sont impliqués dans ce trafic. En d’autres termes, «il y a des camionneurs complices du côté du Mali comme du Sénégal», insiste Ousmane Traoré.
Toutefois, poursuit-il, des informateurs non identifiés vendent la mèche. Les clients sont notamment les services de sécurité sénégalaise. On prend le temps de dessiner le mode opératoire des narcotrafiquants. Ces camionneurs s’accordent qu’ils sont très souvent pris en cours de route, précisément avant le dernier poste douanier de Diboly (côté malien) et Kidira (côté sénégalais). Souvent aussi, ils échappent aux contrôles de la frontière. Une fois en territoire sénégalaise, le psy­chotrope démarre. Les étapes des postes de Kaffrine et Diamniadio sont très redoutées actuellement, indique-t-on.

Complot suspecté
Dans le bureau des gestionnaires de cette gare pour passagers, les tarifs par pays sont affichés. Les bus sont chargés au rythme de l’arrivée des voyageurs. Les marchands ambulants proposent cadeaux et rafraîchissements aux passagers. Un véritable souk.
Le secrétaire général de la coopérative d’habitat des conducteurs et chef de la gare pour passagers accuse les douaniers sénégalais d’être des complices de trafiquants. «Pourquoi on laisse passer les camions pour y détecter de la drogue à Kaffrine ou à Diamniadio ?», s’indigne Makan Traoré. Ses propos sont vite balayés par le commissaire Sékou Touré, le directeur adjoint de l’Office national de lutte contre les stupéfiants du Mali. Scotché à son fauteuil, les yeux fixés sur de la paperasse, le commissaire Touré indexe directement les conducteurs. «On leur a toujours dit d’identifier au moins les colis avant d’embarquer comme ça se fait à l’aéroport, mais ils ne le font pas. Comment veulent-ils ne pas être responsables», se désole-t-il.
Quoi qu’il en soit, dès que de la drogue est découverte dans les bagages, personne ne revendique le colis. Sur ce, la responsabilité du conducteur est engagée. En effet, cette démarche relève du droit douanier. Confortablement installé dans son fauteuil de directeur général adjoint des Douanes du Mali, le colonel-major, Modibo Kane Keïta justifie l’attitude des services de sécurité sénégalaise. «Quoiqu’universel, le Droit douanier est assez particulier. L’agent des douanes met la main sur le porteur de la drogue, à moins que ce dernier fasse l’effort d’aider à identifier le propriétaire de la marchandise. S’il y arrive, il est libéré. A défaut, il est arrêté. C’est pourquoi des chauffeurs maliens sont emprisonnés au Sénégal», explique l’officier quinquagénaire.

Le comportement des douaniers sénégalais est juridiquement fondé
L’Administration douanière sénégalaise ne veut pas polémiquer avec les chauffeurs maliens. Le chef du Bureau des relations publiques et de la communication, El hadji Abdoulaye Fall, assure que le comportement des douaniers sénégalais est juridiquement fondé. Il cite l’article 287 du Code des douanes. Celui-ci stipule : «Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude. Toutefois, les transporteurs publics ne sont pas considérés, eux et leurs préposés ou agents, comme contrevenants lorsque, par une désignation exacte et régulière de leurs commettants, ils mettent l’Administration en mesure d’exercer utilement des poursuites contre les véritables auteurs de la fraude.» En d’autres termes, il s’agit d’une question de responsabilité. Le chauffeur et ses apprentis ne sont inquiétés que s’ils ne permettent pas aux agents des douanes de poursuivre les véritables responsables de la fraude, qu’elle soit de la drogue ou toute autre marchandise. Pour preuve, le 2 décembre passé, le destinataire du kilogramme de cocaïne saisi à Kidira a été interpelé à Dakar grâce au numéro de téléphone qui se trouvait sur le colis. Le transporteur a été libéré. Les 41,1 kg de méthamphétamine découverts une semaine après n’ont pas entraîné l’arrestation du chauffeur. Ce dernier a démontré aux douaniers que la marchandise était destinée à une dame sénégalaise. Celle-ci est d’ail­leurs activement recherchée.
Toutefois, le colonel-major Keïta constate que le cannabis constitue la grande majorité des colis en provenance du Mali et saisis au Sénégal, sur le corridor. La cocaïne aussi. Tout com­me celle-ci prend parfois le sens inverse.

Soucis diplomatiques
L’officier des douanes n’a pas de chiffres entre ses mains. Il avoue tout de même que le trafic de drogue sur cet axe prend de plus en plus de l’ampleur. Les Etats arrivent à se faire des soucis diplomatiques. D’ailleurs, à ce propos on a frôlé un incident entre les deux Etats. Le 21 mai 2011 à Kayes, lors de la rencontre transfrontalière sur la fluidité des échanges commerciaux sur le corridor Bamako-Dakar, le Premier ministre du Mali de l’époque, Mariam Kaidama Sidibé Cissé, avait saisi son homologue d’alors du Sénégal en des termes peu protocolaires : «J’ai 29 de mes chauffeurs qui sont détenus chez vous et j’ai sous la main la menace d’une grève. Je voudrais que vous m’aidiez à vite trouver une solution…»
La réponse du Premier ministre sénégalais de l’époque, Souleymane Ndéné Ndiaye, a été sans équivoque : «Quand la justice se saisit d’un dossier chez nous, l’Exécutif n’y peut plus rien. Dans le cas des chauffeurs maliens, ils sont accusés de trafic de drogue, ce qui est tout de même interdit chez nous. Mais une fois à Dakar, nous allons voir ce que nous pouvons faire…» Au mois de mai passé, le Syn­di­cat malien des transports routiers a organisé un mouvement d’humeur pour réclamer la libération de ses membres détenus au Sénégal pour transport de drogue. Face à la pression, Bamako a été contraint de négocier un transfèrement de 29 prisonniers. Parmi les détenus transférés, figurent des chauffeurs de la compagnie Ghana transports.
Trouvé à la gare sous-régionale pour passagers de Songikonigo (Bamako), son directeur général, Mamadou Diarra, se désole d’avoir casqué près de 2 millions de francs Cfa à Dakar pour faire revenir ses six employés condamnés à une peine de six mois ferme et pour remettre la main sur son bus «d’une valeur de 60 millions de francs Cfa». Les amendes sont passées par-là.
Face à la pression, l’Etat malien n’a pas su rester les bras croisés. Les tractations n’ont point rassuré les acteurs du fret routier établis à Bamako. Toutefois, des camionneurs sénégalais accompagnent leurs homologues maliens en prison. Les plus chanceux parmi les Maliens espèrent retrouver le volant à la suite d’une médiation diplomatique. D’autres filent droit vers la Cour d’assises. Quant au trafic, il étend ses tentacules sur l’axe Bamako-Dakar. Avec toujours des professionnels du volant.

lequotidien.sn

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