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Trajectoire. Youssoupha Sakho, 53 ans, directeur général de l’Armp: le technocrate

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De l’enseignant vacataire à l’école polytechnique de Thiès au ministre de l’équipement et des transports : Itinéraire du premier Directeur général de l’Autorité de régulation des marchés publics.

Un regard clair, de franches valises sous les yeux, un sourire nerveux qui ne faiblit pas, le tout supporté par une carrure digne d’un ancien sportif. À 53 bougies, Youssoupha Sakho profite de ses derniers jours dans les locaux de l’Autorité de régulation des marchés publics. Démission, départ volontaire ou forcé ? La réponse à cette question réveille le Directeur général de l’Armp. Passant, sans trop d’ordre, en lançant des regards furtifs sur son attaché de presse, Sakho prodigue une sorte de comique de la déréliction : « Je n’ai pas démissionné. J’avais prévu de me retirer au bout de trois ans, ce qui se trouve être la fin de mon mandat. Maintenant, j’ai le choix de rester ou de partir, j’ai choisi de partir. Il ne faut pas attendre qu’on n’ait plus besoin de vous pour partir ». S’exclame-t-il avec un rire à la fois sombre et jovial.

Les raisons de sa démission

On le rencontre dans son bureau dépouillé de tout artifice. Ses cheveux sont à ras. Visage marqué par de multiples expressions, teint noir, il est vêtu d’une demie saison couleur charbon. Le chic se trimbale au bras de son élégance. Sakho tournille sur un siège qui incite à l’avachissement, aimable, statufié comme le technocrate qu’il est. Son propos, dans les débuts, n’a rien qui puisse subjuguer l’auditoire. De petites phrases courtes, suivies de blanc, et d’une grosse langue de bois. Il parle de lui à la troisième personne, usant d’une langue parfaite, bien qu’un peu apprêtée. « Il ya une diminution significative des marchés de gré à gré, ils sont passés de 7O % à 8 %. Ce qui importe pour une institution, c’est qu’elle soit forte quelque soit le profil de ses directeurs générales. L’Armp est une forte institution ».

Technocrate convaincu, c’est lui qui, lors de sa conférence de presse du jeudi 28 janvier avait fait savoir que les audits ont souligné des anomalies sur les procédures de passation des marchés publics de plusiuers établissements publics. C’est à cet effet, que dans certains ministères ou agences, les auditeurs ont décelé des anomalies par rapport aux appels d’offre. A titre d’illustration, il avait cité le ministère de la Famille, où les enquêteurs se sont rendu compte qu’il a été commandé une cuillère à 37 mille F Cfa, un tapis de prière à 15 mille F Cfa, une cuisinière grand format à 2 millions de F Cfa et un couteau à 42 mille F Cfa. Ainsi débute le feuilleton Sakho-Awa Ndiaye. Fin stratège, Awa se positionne en victime. Hurle au harcèlement. Nie avoir reçu de pré-rapport. La force de Sakho est justement d’étirer le récit, d’attendre le 9 février, jusqu’après le spectaculaire, quand les gradins se vident, que l’affaire s’enlise et quitte la une des journaux. Pour répliquer : « Le rapport a été transmis par lettre. Il a été bien reçu et la transmission a été déchargée par les personnes qui sont habilitées à recevoir le courrier ». Les mois, passent. Pas de sanction en vue. On retourne travailler, on recommence à rire, même à blaguer. Sakho ne se sent-il pas frustré ? Il répond : « Non ! J’ai fait ce que je devais faire et j’ai transmis le rapport aux autorités compétentes. J’ai la conscience tranquille ». Bien sûr…

La tragédie du bateau Le Diola

Fantômes. Sakho ressemble à ce vieux rocher envahi par le varech à l’évocation de la tragédie du bateau le Diola. Il était ministre de l’Equipement et du Transport. 2001 est loin déjà, et le souvenir de ses 2000 morts ne s’efface pas. Ne s’évanouit pas. Ne se brouille pas. Engagé sur la voie de la contrition, il confie, penaud : « Je l’ai vécue de façon douloureuse comme la plus part des Sénégalais. C’est malheureux. » Son nom est désormais lié à ce drame humain, il le réfute et jure que le bateau n’était pas sous la tutelle du ministère dont il avait la responsabilité. Il peste : « Je n’avais ni la gestion technique, ni la gestion commerciale encore moins la gestion administrative. J’ai fait ce qu’il fallait faire dans cette affaire. J’ai alerté quand il fallait le faire et si les leviers de l’action étaient à ma disposition je n’aurai pas alerté, mais agi. » Il s’évade un instant dans un monde où les fantômes sont à son service et tire du souvenir de ces ombres avant de revenir sur terre : « J’ai la conscience tranquille. » S’il le dit…


Enfance et adolescence

A y regarder de près, tout dans la vie de cet ingénieur de conception en génie civil pouvait laisser entrevoir cette destinée de technocrate hors norme. Né à Saint louis en 1957, Sakho fait ses études primaires à l’Avenue Charles de Gaulle (actuelle Khar Mbengue). Enfant, il est façonné dans une époque où les jeunes se levaient à 7 heures du matin pour apprendre le Coran avant d’aller à l’école francaise. Il dit : « Je fais partie de cette génération qui a réçu une éducation très rigoureuse. J’apprenais le Coran avant d’aller à l’école. C’est dommage que cela tende à disparaitre. » Le garçon timide fréquente le lycée Charles de Gaulle encadré par un papa contrôleur des télécom et une mère au foyer. D’octobre 1977 à juillet 1982, il sort de l’Ecole polytechnique de Thiès avec un diplôme d’ingénieur de conception en génie civil. En 1983, le Korean institute of construction technologie d’Inchon en Corée du Sud lui délivre un certificat sur les techniques de construction des infrastructures de transport.

A son retour, il enchaîne avec un diplôme d’études approfondies en génie géologique et minier obtenu à l’institut polytechnique de Lorraine (Nancy-France) puis s’envole en Belgique au centre de recherches routières d’où il sort avec un certificat sur les techniques de construction et d’entretien des infrastructures routières. Enfin au canada au Centre des grands projets de Montréal soldé par un certificat sur la gestion des grands projets. Le cycle rêvé pour ce technocrate dont la vie affective se voit présenter une note sucrée : Monogame, un mariage en 1988, deux descendances.


Conseiller de Denis Sassou Guesso

Il enchaîne les boulots, allant de chef de subdivision des études routières (Cereeq) de septembre 1986 à juin 1987, en passant par la consultance internationale à la banque mondiale en 2002. Directeur exécutif et conseiller de la Saci-studi international en 2006, Sakho court entre le Congo Brazzaville comme conseiller de Denis Sassou Guesso, le Gabon et le Rwanda comme directeur exécutif de Saci-Studi international. Il répertorie les bassins, les nappes phréatiques, hume, au milieu des déserts, des traces d’eaux saumâtres, jongle, dans les grandes villes, avec les eaux usées, pour apporter son expertise. En 2000, à 43 ans, Sakho accède à l’Agence autonome des travaux routiers comme directeur général. Doté d’un savoir-faire exceptionnel, son expérience dans ce domaine l’a préparé à sa carrière de ministre de l’Equipement et des Transports.

« Je prie pour que tout aille bien ! »

Puis le discours aborde les rudes escarpements de la réalité du pays. Le portrait du Sénégal est triste, le technocrate y ressemble à un « parachutiste » alourdi par de grosses pierres. On devine, derrière lui, un groupe de technocrates réactionnaires affairés à compiler ces éléments de preuves qui finissent aux oubliettes et dont les « accusés » font la pluie et le beau temps au pays. Ces propos font sourire Youssoupha Sakho. Il soutient : « Encore une fois, je ne suis pas frustré de voir que certaines de mes conclusions ne connaissent pas de suite. J’estime que j’ai fait mon boulot qui se limite à faire un audit ». Le mélange de justicier et de laissé-pour-compte qui l’inspire est tout sauf cohérent. Par ailleurs, Sakho donne sa langue au chat quant il s’agit de donner son avis sur la situation actuelle du pays en argumentant qu’il n’est pas un observateur averti. Conscient qu’il ne convainc personne, il lance : « Je prie pour que tout aille bien ! » On aurait voulu sonder ses idées politiques. Là, il clôt illico le débat. « Je ne suis pas un politicien, je ne fais pas de la politique. »

Et maintenant ? Sakho prend le large pour scruter d’autres cieux. Ailleurs, autre que celui de l’Autorité de régulation des marchés publics. Du haut de son mètre 70, ce passionné de foot qui déteste l’hypocrisie s’en va, tout occupé de lui-même. Il dit : « Au revoir » avec la bonhomie de celui qui constate, pour s’en étonner peut-être, que ni le Sénégal ni lui n’ont encore disparu et que la caravane continue de passer.

Aïssatou LAYE
lagazette.sn

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