Alors que les autorités sénégalaises s’efforcent de contenir la propagation du coronavirus (Covid-19), le ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD) trouve cette période favorable pour ordonner le transfert de six gazelles oryx de la région de Matam vers Dakar causant la mort de deux d’entre elles. Cette décision relève-t-elle d’une impertinence ou d’un manque d’écoute des professionnels de la faune? La science nous confirme pourtant que le coronavirus provient d’une transmission zoonotique.
La mort de gazelles oryx lors de leur transfert de la réserve faunique de Ranérou-Ferlo (Matam) vers une ferme privée à Bambilor (Dakar) qui semble appartenir au ministre a touché le cœur de beaucoup de Sénégalais en plus d’écorcher l’image de notre pays à l’international.
Si certains journalistes qualifient cette affaire de « scandaleuse », plusieurs scientifiques et spécialistes de l’environnement s’interrogent sur la pertinence d’initier un tel transfert en cette période de pandémie du coronavirus, une maladie aussi zoonotique c’est-à-dire qui se transmet de l’animal à l’humain. D’ailleurs, au mois d’avril dernier, un premier cas connu de transmission de la maladie covid-19 d’un humain à un animal a été rapporté sur un tigre du zoo du Bronx à New York, testé positif après un contact avec un employé ne présentant pas de symptômes. Ce premier cas de transmission humain-animal permettait de faire la lumière sur la contamination de plusieurs animaux commercialisés dans le marché de Wuhan en chine, point de départ du covid-19.
Le parallélisme entre la pandémie du coronavirus et la mort des gazelles se justifie par le fait que le service des parcs nationaux, qui assure l’application des politiques de l’État en matière de protection de la faune, compte dans ses rangs des experts médecins vétérinaires pour certains et ingénieurs en production animale pour d’autres. Il convient donc de se poser la question de savoir si ces spécialistes ont été consultés pour ce transfert qui semble informel.
La mort des gazelles remet en cause les conditions et la finalité de leur transfert
La gazelle oryx (oryx gazella, Linnaeus, 1758) est une grande antilope africaine adaptée aux prairies arides et semi-arides. L’espèce a été officiellement classée éteinte dans la nature vers la fin des années mille neuf cent quatre-vingt-dix à cause, entre autres, de la chasse excessive, de la fragmentation et la dégradation de son habitat. Des initiatives d’élevage privé en enclos ou en semi-captivité ont permis à l’espèce de survivre et de servir de population source pour une restauration à l’état sauvage.
Les gazelles oryx peuvent être transportées individuellement ou en groupes sociaux. Toutefois, la translocation doit respecter un protocole de transport qui prend en compte le nombre, le sexe et l’âge des animaux en plus d’assurer une cohérence dans la structure sociale du groupe. Le respect de la structure sociale permet de réduire le risque de confrontation ou d’augmentation du niveau de stress durant le transport. Le rapport mâle vs femelle doit être respecté afin de maintenir l’agressivité à un niveau minimum. Par ailleurs, un transport en groupe est plus approprié aux jeunes animaux qu’aux adultes compte tenu de leur taille et de leur aptitude à établir une hiérarchie sociale solide.
Il est recommandé de manipuler avec précaution les gazelles pendant la capture et le transport. Pour faciliter la capture, des tranquillisants sont souvent utilisés pour endormir les animaux pendant le transport à longue distance dans des caisses bien adaptées pour empêcher les animaux de se blesser. Il faut également prendre en considération l’aménagement d’une possibilité d’accès aux animaux pour les besoins et urgences vétérinaires durant les longs déplacements. Considérant la distance (Matam-Dakar) et l’état chaotique de la route par endroits, un transport en cage à claire-voie semble plus adéquat pour faciliter une intervention vétérinaire en cas de nécessité. Le lieu de destination des animaux doit offrir un habitat qui remplit des conditions similaires à l’habitat d’origine, voire mieux. Le nouvel habitat ne doit pas être moins qualitatif en taille et ressource alimentaire pour réduire le stress et la violence entre animaux.
Tant d’effort de réintroduction de gazelles au Sénégal pour finir par en sacrifier certaines.
Dans le cadre de la volonté internationale de protection de la faune sauvage, le Sénégal a ratifié diverses conventions relatives à la sauvegarde du patrimoine naturel. Parmi ces conventions, nous pouvons en retenir quelques-unes : i) la convention de Washington qui permet de préserver la faune et la flore sauvage du commerce international, ii) la convention de Rio qui favorise la conservation de la diversité biologique.
Le cadre réglementaire en vigueur au Sénégal est à la hauteur de l’ambition nationale d’assurer une meilleure valorisation de nos ressources naturelles. Ainsi, plusieurs aires de protection de la faune sauvage ont été créées afin de sécuriser la faune résiduelle et encourager un retour des espèces endémiques ayant disparu du décor forestier. Les politiques de gestion mises en œuvre ont bénéficié d’appuis extérieurs notamment dans le cadre de la réintroduction de certaines espèces fauniques.
Les gazelles oryx dont deux ont connu une fin tragique lors de leur transport vers une ferme privée à Dakar sont le fruit d’une réintroduction réussie d’oryx en provenance de la réserve de Hai-Bar en Israël. Ces gazelles oryx ont été acheminées à la réserve de Guembeul à Saint-Louis en 1999. C’est en 2003 que huit sujets ont été transférés dans la Réserve naturelle de Ferlo Nord où des installations sécuritaires ont été réalisées avec l’argent du contribuable pour protéger ces gazelles. Ces sujets se sont bien adaptés dans ce milieu suffisamment grand pour leur développement dans la mesure où l’espace recoupe leur aire de distribution d’origine. Grâce au professionnalisme de ses agents, la direction des Parcs nationaux a réussi une prolifération des gazelles dans leur nouvel habitat. La population a passé de 8 à environ 600 têtes. Sur le plan comptable, les gazelles qui ont perdu la vie dans le cadre de ce transfert peuvent être assimilées à une perte évitable de biens publics.
Un modèle de réintroduction réussi dans des espaces naturels et non dans des zoos
Depuis les années 1970, le Sénégal a manifesté une volonté de réintroduire la faune sauvage disparue de la nature. C’est dans cette dynamique que l’État a bénéficié de plusieurs coopérations internationales et de financements pour réussir cette mission. Afin d’encourager le secteur privé et miser sur les compétences nationales, l’état du Sénégal a initié une première expérience de partenariat avec le secteur privé pour assurer la protection et la promotion de la faune sauvage. Cette expérience a donné la réserve de Bandia (Mbour), qui fait la fierté de notre pays en termes de partenariat « public – privé » dans le cadre de la protection de la faune en plus de générer des retombées économiques significatives. Un autre modèle d’accord a vu le jour entre l’État et les promoteurs privés de la réserve de Fathala à Fatick.
Il convient de préciser que ces deux modèles de partenariat trouvent place dans des forêts classées qui sont gérées par les services compétents. Il s’agit de la forêt classée de Bandia dont une partie a servi à la création de la réserve qui porte son nom et la forêt classée de Fathala dans le Delta du Saloum dont 6000ha ont été clôturés pour les besoins de la réserve de Fathala. La collaboration bien appréciée du secteur privé implique la protection des ressources (faune et flore) et son exploitation sous forme d’écotourisme. L’État est, dans tous les cas, gagnant puisqu’il bénéficie d’une collaboration avec des partenaires nationaux qui s’impliquent dans la protection de la nature et la création d’emplois.
À ce jour, aucune entente n’est rendue publique entre l’État et une ferme privée « toll » dans le cadre de l’élevage et l’exploitation d’animaux sauvages à l’image des gazelles oryx en cause. Par ailleurs, la dimension réduite de certaines fermes, pourrait réduire l’élevage des gazelles à un modèle de type Zoo. C’est donc dire que le cas présent avec le ministre est une première d’où l’indignation justifiée de la population et des experts de la protection des ressources naturelles.
On serait donc amené à se demander si on n’est pas face à cas d’abus de pouvoir ou d’une collision manifeste. Dès lors, le dossier de la ferme supposée appartenir au ministre était-il le seul dossier en candidature pour l’élevage des gazelles oryx ? En fin, ce cas de gazelles oryx ne cache- t-il pas d’autres cas similaires de transfert non publiés ?
Entorse volontaire à la législation sénégalaise sur la protection de la faune
La mort des gazelles a suscité beaucoup de réactions à caractère sympathique ou justificatif de l’incident. Si certaines réactions de professionnels dénoncent l’incident et apportent des précisions sur l’introduction des gazelles, d’autres en revanche font état de l’existence d’une loi permettant à tout citoyen qui dispose d’une ferme remplissant les conditions d’accueil et d’élevage, de pouvoir accueillir des gazelles, en vue de leur repeuplement.
Rappelons qu’une loi est un texte qui fixe des règles applicables à tous les citoyens, en tous lieux et en toutes circonstances. Elle organise le fonctionnement de la société dans une multitude de domaines incluant la protection de la faune et reste en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ou abrogée. L’adoption définitive d’une proposition de loi aux termes de la procédure parlementaire débouche normalement sur la promulgation de cette loi. Le cadre juridique de protection de la faune sauvage au Sénégal est régi par le Code de la chasse et de la protection de la faune sauvage (loi n° 84-04 du 24 janvier 1986) encadrant la chasse et le Code forestier (loi n°9803 du 8 janvier 1998) qui fixe les conditions d’exploitation des ressources forestières et assure la protection des habitats fauniques. Dans ces deux documents réglementaires, aucun article ne fait mention d’une autorisation de tout citoyen qui remplit les conditions de pouvoir élever des gazelles dans sa ferme ou terrain privé. Toutefois, l’État du Sénégal, à travers la Direction des Parcs nationaux, dispose de protocoles d’accord « agreement » avec le secteur privé qui souhaite s’impliquer dans la restauration et la protection de la faune sauvage. Un protocole d’accord, aussi appelé convention, est un engagement formel entre deux ou plusieurs parties exprimant leur commune volonté de produire l’effet de droit recherché.
Mieux encadrer les protocoles d’accord d’élevage d’animaux sauvages
Le Sénégal s’est fait une bonne réputation dans la réintroduction de la faune sauvage ayant disparu de son habitat d’origine (gazelles, élans, girafes, lions, hygiènes, etc.). Cette réussite est le fruit d’une bonne politique et de l’application de celle-ci par les services traditionnels (Eaux- Forêts et Chasses– Parcs nationaux). L’implication du secteur privé national a démontré que nous avons des citoyens aptes à contribuer à la protection de la nature et de la faune sauvage. Les cas de Bandia et Fathala sont des modèles de réussite à encourager et à répliquer. La participation de l’investissement privé permet à l’État, à travers ses services, de se consacrer aux tâches d’encadrement et de contrôle et non de recherche de financement. Il faut donc créer des mesures pour inciter l’investissement privé à s’engager davantage pour le développement et la protection de la faune sauvage.
Toutefois, face aux tentations liées à l’attractivité de l’animal, la préférence de sa chair dans certains milieux de la haute société, etc., il convient de mieux encadrer le partenariat pour éviter d’encourager un marché illicite d’animaux avec la manifestation d’intérêt de fermes privées. Le meilleur mécanisme qui semble convenable est d’encourager le secteur privé à travailler avec les collectivités locales dans le cadre de la décentralisation afin de valoriser des réserves locales par l’introduction d’animaux adaptée aux conditions du milieu et de favoriser ainsi l’écotourisme régional.
Pour ce cas présent de transfert, il serait recommandé de restituer les gazelles oryx restantes pour montrer une bonne volonté d’encadrer l’implication du secteur privé. À l’heure où le monde fait face à deux crises environnementales inédites (changement climatique et perte de biodiversité) il serait souhaitable de bonifier le cadre juridique qui régit la protection de la faune et de son habitat.
Une mise à jour le code de la chasse et de la protection de la faune sauvage afin d’être en phase avec les enjeux actuels de protection de la faune ne serait-elle pas une bonne alternative ?
Bill Benoit Tendeng,
Ingénieur forestier – Biologiste en conservation des ressources naturelles
Québec/Canada
Merci monsieur Tendeng, malheureusement quand nous sommes face à des ignorants de la nature et en plus, certains sont nommés comme ministre, c’est toujours comme ça. Là il y a la main du bon Dieu pour designer les vraies coupables de la tuerie de Boffa bayotte .Au moment où ces derniers courpicent en prison .Eux continuent leurs sales besognes. C’est la triste réalité de mon pays le Sénégal.