Le Sénégal, dont 70% de la population vit en milieu rural, a quatre raisons de recourir à la finance islamique, qui est ’’un mode de financement éthique et viable, conforme à ses convictions religieuses et à ses coutumes marquées par la solidarité’’, a expliqué jeudi, Ibrahima Ndiaye, directeur de l’exploitation de la Mutuelle d’épargne et de crédit islamique (MECIS).
Animant une conférence publique sur la finance islamique, Ibrahima Ndiaye a relevé que ‘’quatre raisons peuvent justifier’’ le recours à ce mode de financement.
‘’Plusieurs facteurs militent en faveur de cette finance islamique dans notre pays, à savoir que nous sommes des musulmans et c’est elle qui est conforme à notre religion qui rejette l’intérêt’’, a dit en wolof, M. Ndiaye.
Il a ajouté que la finance islamique est aussi ‘’plus conforme à notre tradition de solidarité’’, là où le système capitaliste classique assaille son débiteur en lui en imposant des intérêts à payer.
Lors de cette conférence organisée dans le cadre de la ‘’Caravane de l’espoir’’ du Rassemblement islamique du Sénégal (RIS-Alwahda) qui séjourne depuis lundi dans la capitale orientale, M. Ndiaye a, dans un exposé ponctué de comparaison entre la finance capitaliste classique et celle islamique, souligné les atouts de cette dernière.
Ibrahima Ndiaye a noté qu’en plus du fait qu’il répond aux aspirations religieuses des Sénégalais (qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes), le système d’entraide préconisé par l’islam, ‘’a toujours été un élément important dans nos sociétés africaines’’.
‘’Le système financier islamique fonctionne comme le système classique avec une spécificité que toutes ses transactions doivent être en conformité avec la charia islamique (la législation islamique)’’, a indiqué l’économiste.
D’après lui, cette finance qui existe depuis le temps du Prophète (PSL) sous le nom d’activités commerciales conformes à l’Islam, a pris sa forme actuelle depuis les années 80.
Elle repose sur des principes comme l’interdiction du ‘’gharar’’ (tromperie) du ‘’maysir’’ (incertitude, spéculation). Elle ne finance pas non plus les secteurs illicites (haram). Pour ce qui est des prêts, il y a une obligation de partage des profits et des pertes, mais aussi le principe d’adossement d’un actif tangible.
Le système financier islamique est ‘’le plus éthique et le plus viable’’, comme en atteste la crise économique qui a frappé le monde en 2007 -2008, a relevé le directeur d’exploitation de la MECIS, créée en 2002 et présente dans 10 régions du pays.
Il a noté, à ce sujet, que seules les banques qui pratiquent la finance islamique y avaient échappé. Ce qui explique d’ailleurs a-t-il fait constater l’intérêt grandissant qu’ont les pays occidentaux comme l’Angleterre, la France, l’Allemagne, entre autres.
La quatrième raison pour laquelle le Sénégal devrait y recourir est que la finance islamique est un ‘’système qui n’est pas exclusif’’, car elle ‘’peut travailler avec toutes les couches de la population, qu’elles soient pauvres ou riches’’.
Le Sénégal étant constitué à 70% de populations rurales, un système qui pratique l’intérêt exclut ainsi la majorité qui n’a pas suffisamment de capitaux. D’où le taux actuel de bancarisation des Sénégalais est de ‘’6 à 7%’’, a relevé Ibrahima Ndiaye.
Le système islamique permet à l’ouvrier ou à l’étudiant nouvellement sorti de disposer de capitaux pour entreprendre une activité.
Il a souligné la différence de vision entre le système capitaliste classique, où le taux d’intérêt sert à rémunérer le temps qui s’est écoulé entre le prêt et le remboursement, la ‘’location’’ de l’argent, alors que pour le système financier islamique ‘’l’argent en lui-même est improductif’’.
‘’L’’argent ne peut être un objet qui se vend ou se loue car il n’a de valeur en soi, c’est seulement un outil de mesure, et d’intermédiaire des échanges ; son rôle de réserve de valeur n’a pas été admis’’.
‘’La particularité du système financier islamique, a-t-il poursuivi, est que le temps est considéré comme une création de Dieu et lui appartient, en conséquence il ne peut faire l’objet d’aucune transaction commerciale’’. ‘’Sans l’association du travail, toute opération ou rémunération basée uniquement sur le temps est illicite’’, a-t-il noté.
L’intérêt ou riba qui signifie littéralement en arabe augmentation est interdit par plusieurs versets coraniques et plusieurs hadiths du Prohète Mouhammad (PSL).
Citant l’universitaire française Géneviève Causse-Broquet, auteur de ’’La Finance islamique’’ (2009), il a indiqué que cette interdiction n’est pas propre à l’islam, car autrefois dans la religion juive le ‘’tarbit’’ (intérêt et usure) était interdit, avant d’être autorisé uniquement lors de prêts à des étrangers.
Les chrétiens, sur la base de l’Évangile, avaient dans un premier temps, condamné la pratique de l’intérêt. Une distinction fut ensuite faite entre l’intérêt et l’usure. L’auteure française, d’après la présentation dont l’APS a obtenu copie, souligne également que cette distinction n’est pas faite dans la religion musulmane où c’est le terme riba qui est utilisé.
Le conférencier a aussi signalé qu’à l’instar de l’Islam, ‘’de grandes figures des sciences sociales comme Aristote, Karl Marx, Keynes ont une attitude défavorable à l’égard de l’intérêt’’.
Pour Aristote, la monnaie est stérile, elle ne saurait engendrer de la monnaie, comme la vache donne naissance à des vaches. La monnaie n’a pas d’existence naturelle ; elle n’existe que par la loi qui lui confère sa légitimité. ‘’La manière la plus détestable de s’enrichir est l’usure ou intérêt qu’il appelle ‘tokos’ ’’.
John Maynard Keynes, dans son ouvrage ‘’Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie’’ (1936), dans lequel il cherche à sortir le capitalisme de la crise économique des années 1930, situe l’intérêt au cœur de la crise, par son ‘’impact négatif sur l’économie’’.
Keynes éprouve un sentiment de mépris pour le rentier qui ne vit que de revenus d’intérêt, ‘’ce capitaliste qui exploite la rareté du capital, ce qui lui confère un pouvoir oppressif cumulatif’’.
’’Il faut oser’’, a-t-il dit, précisant en marge de la rencontre qu’aussi bien les autorités étatiques que certains intellectuels se sont montrés favorables à l’introduction de la finance islamique.
‘’Ce sont les populations qui restent’’, a-t-il relevé, soulignant la difficulté à leur faire admettre la possibilité de prêts sans intérêts. Pour cela, il y a tout un travail à faire.
Il noté que l’expérience de la MECIS, dans ce domaine, a été présentée dans plusieurs forums internationaux où elle a été bien appréciée.
Aps.sn